À quelque chose malheur est bon, dit le proverbe.
Vladimir Poutine aura eu, à grand renfort de crimes de guerre, l’avantage, cher payé par ses innombrables victimes, d’avoir fait découvrir l’Ukraine aux Européens, et d’avoir persuadé un peu plus, s’il en était besoin, les Ukrainiens qu’ils étaient une très ancienne et belle nation, pleinement ancrée en Europe. En conséquence de quoi, « le Navire russe pouvait aller se faire foutre. »
Il y a encore un an, l’Ukraine, véritable Terra incognita dans la conscience européenne, passait au mieux pour un appendice occidental de la Russie, une petite sœur un peu bâtarde du grand peuple russe, une sous-Russie sans vraie identité. On ne savait rien ou pas grand-chose de ce pays européen plus grand que la France, peuplé de 45 millions d’habitants, riche d’une longue histoire et parlant une langue bien à lui. Rien ne l’identifiait vraiment au-delà de ses frontières. Nul repère ou symbole, nul héros légendaire, nul monument, nul lieu-phare. Qui savait en Occident, à part leurs aficionados, que Gogol, Malevitch, Boulgakov, Archipenko, Serge Lifar, Irène Némirovsky, Vladimir Horowitz, David Oistrakh, tant d’autres, étaient ukrainiens et non pas russes ?
La guerre a changé la donne. Un peuple européen, qui, brutalement agressé, tient tête à la deuxième armée du monde, mérite d’être connu. L’Ukraine s’est installée à demeure sur nos écrans à domicile, dans les médias. Et nous vivons chaque jour ou presque à l’heure de Kiev, de Lviv, de Kharkiv ou d’Odessa. Dû à un duo féminin franco-ukrainien, Tatiana Andrushchuk et Danièle Georget, un Dictionnaire amoureux de l’Ukraine de près de cent entrées – qui vont de Babi Yar à Zelensky, de l’Holodomor à Petlioura, de Iaroslav le Sage à Chevtchenko le Victor Hugo ukrainien, de Tchernoziom à Corruption, du Maïdan au cosaque Mazepa –, s’offre aujourd’hui à nous montrer plus avant qui est ce peuple rare dont on ne soupçonnait pas la formidable volonté d’indépendance et de résistance forgée tout au long du dernier millénaire contre ses puissants voisins, baltes, polonais, austro-hongrois, puis surtout russes.
De fait, l’Ukraine, est bien plus ancienne que la Russie. Kiev, siège de la Rus’, était déjà au Moyen-Âge une capitale dont le territoire allait de la Pologne à la Volga, quand Moscou n’était qu’une bourgade au milieu de nulle part. La domination russe et la russification forcée de l’Ukraine datent du dix-huitième siècle, de Pierre le Grand puis Catherine II.
C’est cette Ukraine historique qu’explorent les deux auteurs avec passion et savoir, que Vladimir Poutine nie et tente à la fois d’arraisonner à la Russie, puissance civilisatrice bien connue, sous les tsars non moins que sous les Soviétiques. Même si le peuple ukrainien, comme le disait Kundera de lui-même, « n’a jamais confondu Tchékhov avec un char T-34 », on ne peut s’empêcher de penser que ce même peuple qui reprend possession de soi, de sa langue et de son passé dans une guerre terroriste contre les populations civiles, verra dans la langue russe, cette langue de l’Empire, qui lui fut imposée continûment, Pouchkine en tête, de Pierre le Grand à Brejnev, une des grandes sources de son oppression séculaire.
Les deux auteures ont eu la délicate attention de consacrer une entrée à BHL ou l’enthousiasme. « Toujours emporté par la fièvre de liberté », du Maïdan aux tranchées du Donbass, cet écrivain « diplomate et romantique » « s’acharne à faire vivre la France de Hugo, de Musset, celle qui s’enflamme pour la liberté. » « Parfois, concluent Tatiana Andruschuk et Danièle Georget, les peuples se sentent moins seuls. »
Slava Ukkraini ! (Gloire à l’Ukraine), un film de Bernard-Henri Lévy coréalisé avec Marc Roussel, sortira le 22 février prochain sur les écrans parisiens, un an presque jour pour jour après l’agression russe.