Des femmes qui jettent leur foulard au feu. Des femmes qui se coupent les cheveux chez elles, face caméra, et diffusent leur image sur internet, sans crainte des répercussions. Des femmes qui dansent dans la rue, acclamées par la foule qui les entoure. Partout dans leur pays, les Iraniennes de tout âge se soulèvent aujourd’hui, avec rage, avec violence et détermination, pour espérer mettre fin à l’humiliation quotidienne qu’elles subissent. Depuis quarante-trois ans. 

À l’origine de ces protestations, il y a la mort de Mahsa Amini. Il faut imaginer Mahsa, le 13 septembre dernier. Elle a vingt-deux ans, elle voyage depuis le Kurdistan iranien avec son frère. Elle arrive à Téhéran, habillée selon les préceptes religieux imposés par le régime : pas de peau découverte, un long manteau pour couvrir les formes, et puis un foulard, ce hijab islamique que chaque fille, dès la fin de l’enfance, a l’obligation de porter en public. Seulement voilà, son voile glisse un peu, quelques mèches de cheveux s’échappent. Mahsa est jeune et jolie. La brigade des mœurs, qui chaque jour sévit dans les rues, ne le supporte pas. Il faut faire payer cela aux filles. Leur jeunesse, leur beauté, leur existence même. Les arrestations sont aléatoires, arbitraires, et le 13 septembre, cela tombe sur Mahsa. La police l’emmène, elle est séparée de son frère et accusée de bad hejabi : mauvais port du hijab. La brigade des mœurs, c’est ça : la haine des femmes. Toutes les Iraniennes le savent et l’ont vécu, d’une manière ou d’une autre. Chacune a son anecdote, son mauvais souvenir personnel. Et là, c’est le tour de Mahsa. Elle n’a pas le choix, elle se rend dans les quartiers généraux de la police, sans doute imagine-t-elle subir une leçon de morale, ou tout au plus devoir payer une amende. 

Mais le 16 septembre, Mahsa meurt. Crâne fracassé. Œdème cérébral. Hémorragie. Sous la torture et la violence des coups subis durant sa détention. En Iran, ce sont des choses qui arrivent. La vie des gens, la vie des femmes, a si peu de valeur…

Depuis, le pays s’embrase. Un élan fulgurant. Les manifestants scandent « Les femmes, la vie, la liberté », les manifestants sortent et crient, les manifestants prennent des risques pour leur vie. Il s’agit de venger Mahsa, de s’insurger contre son sort terrible, de dénoncer l’absurdité de sa mort. Il s’agit surtout d’exprimer une saturation profonde, un ras-le-bol contre les humiliations que subissent les femmes depuis la révolution de 1979. Et au-delà des femmes, l’ensemble de la population, soumise chaque jour à l’oppression, à l’injustice. 

Des vidéos circulent, relayées partout dans le monde, elles sont déchirantes de tristesse et impressionnantes d’audace. 

En retour, le régime fait régner la censure. L’accès à internet a été totalement bloqué en Iran : plus de réseaux sociaux, plus rien pour diffuser l’information, afin que seule la parole officielle et mensongère du gouvernement prévale.

En retour, le régime réprime, comme toujours lorsque le moindre désir de liberté s’éveille. Plusieurs personnes sont mortes ces derniers jours au cours des soulèvements. Au crime commis contre Mahsa s’ajoute le sang des manifestants tués par la police, tués car ils ont voulu défendre leurs droits les plus élémentaires. 

Face à cette honte, il est de notre devoir de nous exprimer aujourd’hui. De prendre la parole pour ne pas laisser cet épisode à l’oubli, ne pas permettre de « retour à la normale. » Parce que le voile islamique ne doit plus être imposé aux femmes. Parce que la brigade des mœurs doit cesser ses patrouilles, doit cesser d’exister. Parce que l’idéologie islamiste, la charia et l’obscurantisme religieux n’ont plus leur place au XXIème siècle. Parce que la liberté individuelle, celle des femmes comme celle des hommes, n’est pas négociable. Parce qu’il n’y a pas de relativisme possible. Pas de complaisance, pas d’excuse. 

Les Iraniennes et les Iraniens ont besoin d’un soutien large et massif, pour que les choses puissent un jour changer de l’intérieur. 

Espérons que cet élan citoyen, porté par les femmes et leur courage, amorce un changement véritable. 


Française d’origine iranienne, Suzanne Azmayesh est écrivain. Son roman l’Interrogatoireest sorti aux éditions Léo Scheer en août 2022. 

2 Commentaires

  1. Nous avons cru à la puissance de conscientisation du libre-échange de perspectives. Nous avons voulu croire au ruissellement vaporisable selon la dynamique économe du marché. Au fait qu’il suffirait qu’une bête, fût-elle immonde, y mît la patte, pour que l’état du droit, ses valeurs-univers, son dédale de concepts, son histoire en épi, prissent possession de cet être bourru, le détournent de sa dramaturgie primaire, de l’octogone du ça où ses mauvais instincts couvrent la voix de son maître héroïque, indestructible et preux, toujours prompt à s’emporter pour mieux téléporter ses troupes au-delà d’un réel trop sinistre.
    Comprenez bien, slaves de tous les pays, que l’avenir de l’Ukraine, de sa démocratie, de sa géographie, ne sera jamais conforme à ce qu’ont imaginé pour elle ni l’empereur Kagébé, ni ses Rommel à la petite semaine, pas plus d’ailleurs que ses Brutus inconscients de leur propre destin. Nul n’enjoindra aux démocrates de Marioupol ou de Sébastopol d’anéantir leur espérance dans une quelconque fédération de Russie. Un jour prochain, il faudra que nous nous réveillions côte à côte, que ce soit à côté ou au côté de l’Autre quand, fondé sur le principe de l’État de droit, un insécable et rayonnant État-nation laissera les portes grandes ouvertes à tout Scythe réfractaire ayant vomi cette concoction d’auto-idolâtrie puant la haine de soi qu’ont engendrée les désintégrations de l’Empire des Russies et de l’Union des républiques socialistes soviétiques.
    Vous n’empêcherez jamais qu’une irréductible nation se relibère après qu’on eut tenté en vain de la réemmurer vivante. Un jour ou l’autre, les Iraniens quitteront la Ronde encanaillée de leur théocratie fourb(u)e. De la Crimée comme du Donbass, les otages de la russification en feront autant. Ils vivront libres et égaux en droit, à l’endroit même où ils sont censés l’être et par là même le faire, en Baltes, en Finnois, en voisins pacifiques prêts à défendre leur foyer holistique, pour partie historique, veillant à ce qu’un amas de peuples blessés, assoiffés de vengeance, ne soit plus en mesure de violer le sanctuaire des libertés individuelles qui font de tout individu un être à part, un univers à part entière qu’aucun phagocyte mâle ou femelle ne sera laissé libre de tyranniser.
    Alors, bien sûr, une fois démantelées, ces colonies de peuplement expropriées n’en démordront pas. Elles persisteront à revendiquer leur identité nationale en territoire dit « occupé ». Tout rapatrié prorusse bénéficiera d’un statut de réfugié héréditaire. Une solution à deux États sera proposée comme seule issue possible à l’impasse pan-nationaliste. Celle-ci nous tatouera le crâne d’un pète au casque à pointe, drama-queenera du fond de son berceau jusqu’à nous convaincre qu’il ne reste dorénavant qu’un moyen de résoudre la question petite-russienne : la dissoudre. Je vous le dis en vérité, rien de tout cela ne sera de nature à faire dévier de l’apparente virvolte sous laquelle se présente leur droiture empreinte de perfectibilité, ni l’Europe éternelle, ni ses corps constitués.
    De ce fait même, il n’est pas dit que le bourreau du Kremlin ne finisse pas sa chute sur le cul, face au proc général d’une Cour pénale alternationale. Rien n’empêche en effet que Poutine soit puni pour les crimes spécifiques dont il se rend coupable, sauf à considérer que les fils du mineur Stakhanov ont été créés pour que l’on ne puisse jamais les faire remonter à la surface. À supposer que cet affreux présupposé s’effondre, c’est l’impunité du criminel de masse qui deviendrait dure à envisager. Milošević aurait coulé des jours heureux au sol en songeant à ses heures de gloriole sanguinaire si un gouvernement serbe n’en avait pas décidé autrement. Étant soucieux de se remettre sur le droit chemin, ce dernier livrerait au TPI, avant qu’il ne croulât sous la sentence du jugement immanent de l’histoire, un criminel contre l’humanité que ne pouvait plus décemment couvrir la souveraineté de son État en cours de rédemption.
    Poutine se déguise en Truman balançant sa bombe A sur une population de kamikazes à travers qui l’Axe du mal se serait rélévé aussi jusqu’au-boutiste qu’un ange déchu. Il se trompe de siècle. Qu’il médite sur le sort que réserverait l’Ennemi américain à Ben Laden, ou à son successeur, avant de menacer les capitales occidentales d’un 11-Septembre nucléaire. S’il souhaite vraiment qu’un dirigeant actuel endosse un costume de théâtre nō, je crains que Zelensky ne décroche l’Oscar du meilleur long métrage pour un biopic de Hiro-Hito qu’en abordant le rôle sous l’angle de la satire. Plus sérieusement. Feu l’empereur du Japon et notre homme auront eu devant eux ce même leader d’un monde libre qui, en temps de guerre ou d’infraguerre totale, ne s’en laisse pas conter. De même que McArthur s’était montré « compréhensif » vis-à-vis du Soleil dans la mesure où les USA, non contents de lui avoir fait reconnaître sa propre défaite, pourraient compter sur sa pleine et entière collaboration, de même le Sovietsarévitch n’est pas à l’abri d’être absous de sa responsabilité dans l’invasion qu’il ordonna et la dévastation qui s’ensuivit.
    Nous nous déshonorerons peut-être encore en caressant d’une main la croupe d’un monstre sanguinaire afin qu’il ne nous arrache pas le rameau d’olivier que nous tendrons de l’autre à sa meute sidérée. Si le destin d’un homme, d’un peuple parmi d’autres et, par-delà chacun, de tout le genre humain s’écrit d’avance, il n’appartient qu’à nous d’en moudre la légende. Mais voilà qu’à mon tour, je m’emporte. Après moult tentatives déjouées, les Russes ont démontré à deux reprises que, pour ce qui est de négocier leurs mutations systémiques, ils ne refilent à personne la responsabilité de choisir à leur place le châtiment approprié. Romanov et Gorbi en demeurent le parfait double exemple.