Les premières nouvelles ce sont, bien sûr, les morts.
Chaque mort.Chaque blessé, chaque amputé, chaque vie fauchée, chaque famille brisée par cette guerre atroce.
Ce sont les bombardements qui s’intensifient, ces dernières heures, sur Hulyaipole, Sievierodonetsk, Lysychansk, ces villes du Donetsk qui sont le dernier but de guerre de Poutine.
Ce sont les tirs sporadiques sur Lviv, qui prouvent qu’il n’y a pas une ville d’Ukraine qui soit à l’abri de la fureur urbicide du dictateur.
Sans parler de la cité martyre par excellence, Marioupol, sur laquelle s’est abattue, dans la nuit de dimanche à lundi, une pluie de bombes au phosphore et où un dernier carré de combattants épuisés, parfois blessés, continue de résister dans les souterrains sans eau, sans vivres, enfumés, de l’usine forteresse d’Azovstal – mais combien de temps tiendront-ils ? avec quelles armes ? quelles munitions ? et que penser de l’appel à l’aide qu’a lancé, à travers moi, le commandant en second du bataillon, Ilya Samoïlenko : « sauf miracle, c’est fini, nous allons mourir, jusqu’au dernier » ?
Je rentre d’Ukraine.J’y retourne bientôt.
Rien au monde, aucune considération politique, géopolitique, militaire, n’effacera l’horreur de cette violence pour rien, de ces crimes gratuits et de ces villes pilonnées, parfois rasées, qui sont les Carthage, les Troie, les Babylone, les Ninive d’aujourd’hui.
Mais les nouvelles, c’est aussi la libération de Kharkiv qui se confirme.
Les amis d’Odessa dont je sens, au téléphone, malgré les missiles qui tombent encore, au petit bonheur, sur un immeuble résidentiel ou une usine, qu’ils commencent de respirer.
C’est Kyiv qui n’y croyait pas, mais où la vie revient.
Ce sont les 700 localités, parfois minuscules, que les troupes du commandant en chef Zelensky ont reprises, dimanche et lundi, dans tout le pays, et où l’on s’affaire déjà à rétablir l’électricité, l’eau, les services minimum.
C’est l’armée russe dont le repli s’accentue, lugubre et piteux, dans les régions de Melitopol, Berdyansk, Enerhodar.
Ce sont les centaines de drones descendus par des unités de défense antiaérienne ukrainiennes dont la vaillance n’a d’égale que l’ingéniosité tactique et technique.
Ce sont les ponts flottants et les transports de troupes qui devaient permettre, au nord du Donbass, de franchir la rivière Sieverskyi Donets et qui ont été détruits, en même temps que le bataillon du génie russe censé opérer la manœuvre, par des armes ukrainiennes hors d’âge disposées dans les tranchées.
Les nouvelles, c’est la troupe russe démotivée et décimée par une guerre où près d’un tiers des engagés, selon le Renseignement britannique, a succombé.
C’est la vingtaine de tankistes qui, dans la région de Zaporijia, ont préféré tirer sur leurs propres véhicules ou les mettre en panne plutôt que de monter au front. Il y a un moment, dans toutes les guerres, où l’on en revient aux raisons les plus simples.
L’un sait pourquoi il combat ; l’autre ne le sait pas.
D’un côté des unités motivées et mobiles qui, comme les guérilleros de la « Tatchanka » d’Isaac Babel venant à bout, avec leurs simples mitrailleuses vissées sur des carrioles à cheval, des artilleries les plus redoutables, infligent chaque jour de nouvelles pertes à la deuxième armée du monde ; de l’autre, des corps apeurés et cupides, ivres de vin et de stupeur, qui se cabrent, reculent et, sur les rares images que l’on a, semblent des pantins lestés.
D’un côté, une armée de citoyens soldats qui, quels que soient le déséquilibre des forces, la cruauté inhumaine de l’adversaire, la souffrance, sont résolus à ne rien céder ; et, de l’autre, une armée de violeurs et d’assassins qui, quoi que veuillent et disent leurs chefs, quelque puissance de feu qu’ils soient en mesure d’aligner, manquent de cette arme, invisible mais décisive : le moral et le sentiment, aussi, de mener une guerre juste.
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Ajoutez à cela l’Otan qui se réveille.
L’accueil que fait l’organisation à la Suède et, surtout, à la Finlande avec ses 300.000 hommes mobilisables.
L’Europe qui n’a jamais été si unie, ni si forte, que face à cette menace russe dont elle comprend enfin qu’elle est la cible ultime.
Ajoutez le mouvement de solidarité mondiale dont le dernier exemple en date est la victoire, à l’Eurovision, du groupe Kalush Orchestra et de son clip tourné dans les ruines de Boutcha et de Borodyanka.
Je plaide ici, depuis des semaines, pour que l’on cesse de chercher, non seulement des excuses, mais des portes de sortie au boucher Poutine.
J’explique que la seule manière d’éviter une guerre générale sur le continent est d’aider les Ukrainiens, sans faillir, à repousser l’envahisseur en deçà de la frontière qu’il a franchie, au mépris du droit international non moins que des lois de la guerre, en ce funeste jour du 24 février 2022.
Nous y sommes presque.
L’Ukraine est en train de nous donner une leçon de courage et d’excellence militaire.
Sa victoire dépend de nous et sera, pour la paix du monde, la meilleure nouvelle possible.
Le lancement de la campagne présidentielle de 2022 avait eu pour toile de grand fond le retour à l’exécutif afghan de l’inénarrable concept d’islamisme modéré. Le label Les Républicains s’était refait une santé en évitant un combat de coqs dont l’issue fatale eût ouvert la voie aux règlements de comptes en série ; hélas, infatué de ce rétablissement inespéré assorti d’un fugace état de grâce, le pluralisme à la papa se révélerait comme un dernier mirage avant le prénaufrage : stratégie perdante pour le ticket Pécresse-Ciotti, — la France gaullienne ne se jette ni ne se projette dans les bras de la droite pétainiste au second tour d’un enjeu majeur.
Le nationalisme en jupons avait presque achevé sa campagne d’autobanalisation, or voilà que l’agression de l’Ukraine par le banquier de Madame de Trémaine portait le coup de grâce à la marâtre ailurophile. Les contorsions d’Éric Z. sur la non-candidature au droit d’asile des réfugiés ukrainiens écœuraient, quant à elles, jusqu’aux plus xénophobes des faiseurs et défaiseurs de son règne uchronique. Sabrant le vin mousseux à point nommé, le petit ébranleur Poutine était en train de transformer notre irritant président-candidat en chef de guerre capable de contenir une menace de vitrification planétaire. Merci pour lui !
Double effet Cool War à l’ONU : 1) resserrement des États membres de l’UE + 2) renforcement de l’OTAN comme seul parapluie crédible face aux nouvelles menaces pesant sur le monde libre.
L’unification d’une Résistance ukrainienne galvanisée par le soutien logistique et militaire que lui apporteraient les grandes démocraties dans leur commun combat contre une menace inédite dans l’Histoire, où le concept de nucléaire tactique serait obscènement tiré hors d’un chapeau de magicien du musée des horreurs, nous contraindrait à une répartition des armes au sein du front de la Raison et des Humanités.
La guerre éclair ayant échoué, Poutine tablerait sur la guerre d’usure. Au durcissement des sanctions contre un ennemi mortel dont la civilisation européenne avait enfin cessé d’alimenter la menace persistante qu’il exerçait contre elle, succéderait vite la spectralisation des répercussions sur le niveau de vie, de l’accroissement des inégalités entre pays européens et entre citoyens de ces mêmes pays, d’où la nécessité de démontrer que le rapport bénéfice/risque de ces sanctions — ou du soutien de l’OTAN à l’Ukraine — penchait nettement en faveur de la poursuite du bras de fer. En effet, le risque d’un affaiblissement des États de droit eût été supérieur en cas de victoire de la Russie : risque pour l’équilibre des relations internationales : risque pour la sécurité des États-nations : risque pour la paix mondiale.
L’autocrate bénéficie du fait qu’il soit héroïsé par son peuple. Poutine tient tête à l’Occident et promet plus qu’il ne promeut un nouvel ordre mondial qui profiterait aux États de non-droit et à des populations dont leurs propres oppresseurs accusent les pays développés d’être la cause de leurs souffrances. Ni la mort de Vladimir Poutine, ni même son éviction suite à un enlisement coûteux, ne tueraient cet espoir. Le panrussisme lui survivrait, incarné par une nouvelle idole. Toute proportion gardée, la nature du régime iranien, bien qu’elle fût essentiellement spécifique à son histoire accidentée, n’a pas vraiment pâti de la victoire ni davantage de la défaite de son réformateur factice Ahmadinejad, et pour cause ; l’islamisme étant un totalitarisme, le fascisme en est le pléonasme. Le retour aux fondamentaux du fondamentalisme aurait donc pour effet prévisible de restaurer les idéaux et valeurs originelles d’une Révolution islamique aux ambitions illimitées.
Afin de neutraliser le délire de puissance et d’expansionnisme des empires déchus, il est nécessaire de démontrer à leurs peuples non seulement qu’ils ont beaucoup à perdre à se lancer dans une guerre contre l’Occident, mais aussi qu’ils auraient encore plus à gagner à exploiter leurs propres ressources intellectuelles et entrepreneuriales dans le strict cadre du droit international. Il faudrait inciter l’ex-Cité transcendantale à rejoindre son propre avenir dans une découverte de soi énergétiquement renouvelable.
À l’heure de toutes les transitions, le seul levier de la Russie est le chantage aux énergies fossiles. La sévérité de la stratégie zéro covid adoptée par le dictateur Xi, sévérité confinant à la cruauté, est de moins en moins tolérée par des fragments de population ayant goûté aux bienfaits du libéralisme économique. La demande modeste mais obstinée des peuples victimes d’une chape de plomb en matière de libéralités sociales et sociétales, remonte à la surface des Nations tel le grisou d’un futur enseveli, d’autant plus implacable qu’il demeure inodore jusqu’à l’explosion.
C’est la crainte de subir le destin de l’URSS qui avait converti au libéralisme le Parti communiste chinois. Le risque d’un réveil des aspirations individuelles en cas de mise en échec du primat de l’intérêt général sur l’intérêt particulier, est dans tous les esprits, faute de quoi, il nous tarderait d’y en loger le théorème. Lui seul a le pouvoir d’enrayer le sinistre processus d’émergence
d’un ordre mondial régi par les contre-valeurs, ou l’absence de valeurs universelles des anti-Lumières, en d’autres termes, un ordre autocratique asservisseur des peuples.
« Quelle connerie la guerre »…
Poutine, un tyran paranoïaque, un psychorigide avec des dysfonctionnements manifestes de la personnalité, portée au délire, que le monde entier, et en particulier les Tchétchènes, les Géorgiens, les Syriens résistants d’Alep et à Bachar el-Assad, les Ukrainiens de Crimée, du Donbass, de Kiev, de Boutcha à Mariopoul, ont appris à connaître au prix des violences inouïes subies, au prix de leur vie.
Un parano dangereux donc, au regard des traits de sa personnalité et de ses délires :
– surestimation pathologique de soi-même, l’égocentrisme – méfiance et susceptibilité, suspicion maladive, persécution fondée sur la théorie du complot avec fuite dans la solitude – mais aussi et surtout fausseté du jugement accompagnée de délire mystique.
En 2013, lors d’une visite à Kyïv, il a déclaré (citation reprise de Tymothy Snyder) : « Qu’on le veuille ou non, il faudra parvenir à regrouper la Russie et l’Ukraine car Dieu le veut (sic!) et les politiques ne peuvent s’y opposer. »
Le mysticisme politique du tyran a été traduit dans son grand projet génocidaire, ainsi appelé par l’auteur de « Terres noires », d’anéantissement de l’État ukrainien et de son peuple en tant que nation et culture. Un projet d’annexion à la Russie avec élimination physique de toutes ses élites, assassinées et/ou déportées en Sibérie.
Ce projet paranoïaque devenu aujourd’hui réalité est dominé par le délire (il n’y a pas autre mot) de mégalomanie et du rétablissement de la grandeur perdue de l’URSS, ébranlée et succombé à son dire non pas par effet d’autodestruction du totalitarisme communiste mais bien par la faute du libéralisme de l’Occident, par ses lois et principes démocratiques.
Les revendications systématisés du préjudice subi par la nation (même si le terme ne correspond pas à la réalité) russe, basés sur cette interprétation délirante, accompagné d’exaltation et d’agressivité militaire devraient faire réfléchir deux fois et plus encore ceux qui s’aventurent à trouver une sortie diplomatique et donc honorable au tyran Poutine.
Ils n’ont pas compris que ménager sa paranoïa ne sert à rien car elle est endogène, systématique et que donc rien ne pourra la changer. Conclure n’importe quel accord avec un tel individu et son régime, surtout s’il devait passer sur la peau des Ukrainiens, ce ne serait pas seulement une trahison, mais un pur suicide collectif.
Ce qu’il faut garder bien présent à l’esprit, dans toutes décisions et actions politiques en Europe, aux Etats Unis, et tout ailleurs de par le monde libre, c’est l’énorme rôle qui a joué et joue la résilience et la combativité de l’Ukraine de Zelensky, merci auxquelles il s’est éveillé à notre tour notre esprit d’union et de résistance face au néo-nazifascisme poutinien, à la résurgence d’un totalitarisme économique, politique, racial et sociétal dont l’objectif est porté pour nous diviser et affaiblir (à ce sujet lire l’analyse de Françoise Thom « L’autre offensive russe » sur Desk Russie, très percutante et riche d’enseignements).
Un mot de réflexion et surtout pas de conclusion nous est donné par le témoignage du grand historien Tymothy Snyder :
« Si les Ukrainiens n’avaient pas combattu, le monde aurait été beaucoup plus sombre qu’il ne l’est. Ils nous offrent tout simplement du temps pour analyser, réagir, coopérer, négocier dans tous les domaines. »