Comment avons-nous pu faire semblant de croire pendant tant d’années qu’un dirigeant capable de faire assassiner par dizaines des journalistes indépendants, des opposants politiques, des hommes d’affaires qui le contestaient, capable d’abolir tout contre-pouvoir, de fermer Mémorial, d’asservir les juges, comment avons-nous pu faire semblant de croire qu’il était un dirigeant comme les autres et un partenaire possible ?

Comment avons-nous pu faire semblant de croire qu’un dirigeant capable de raser Grozny et de noyer dans le sang la Tchétchénie, de déclencher l’invasion de la Géorgie, d’annexer le Donbas et la Crimée, de soutenir Bachar el-Assad, ses massacres, ses tortures et ses bombes chimiques, et bien d’autres tyrans encore, comment avons-nous pu faire semblant de croire qu’il était un dirigeant comme les autres ?

Nous le savons pourtant : le propre des dictateurs sanglants est d’être ce qu’ils paraissent et de dire ce qu’ils vont faire. Tant de consciences russes et d’organisations humanitaires nous avaient avertis. Nous aurions dû voir, nous aurions dû savoir.

Or, cela fait deux décennies que nous avons refusé de regarder la réalité en face. Il eut été tellement moins coûteux d’agir alors. Car l’autre chose que l’on sait des dictateurs, c’est que rien ne peut les arrêter dans leur projet maléfique sauf la détermination et la force. Et que plus tôt l’on agit, moins élevé est le prix à payer. Nous avons traité Vladimir Poutine comme un acteur rationnel et nous n’avons eu de cesse de lui envoyer le mauvais signal : le message que, face à ses transgressions, nous ne ferions rien.

Notre responsabilité est immense. D’autres urgences nous distraient de battre notre coulpe, mais, au moins, tirons-en les leçons pour l’avenir. Ce ne sont pas les « droits de l’hommistes » qui sont des naïfs. Non, ce sont les supposés réalistes qui passent à côté du réel.

Dans la nuit où nous sommes plongés aujourd’hui, dans la situation épouvantable faite aux ukrainiens envahis et pilonnés, il y a tout de même des raisons d’espérer.

Désormais le masque est tombé. Tout le monde sait qui est Vladimir Poutine. Et il va falloir le mettre hors d’état de nuire. Il est bien tard mais il est encore temps.

Sur le long terme, nous savons que le nationalisme, le despotisme, la violence, la guerre ne convainquent pas les peuples. Ils ne s’imposent bien provisoirement que par les chars, les bombes, la terreur. Le goût de la démocratie, de la liberté des individus, de la paix, de la prospérité est beaucoup plus puissant. Il est une aspiration dont la force est démontrée par le courage du peuple ukrainien. Sur le long terme, c’est cette aspiration-là qui triomphera et nous vaincrons Vladimir Poutine comme nous avons défait tous les totalitarismes depuis un siècle.

La société des nations démocratiques existe. Elle est informelle, sa gouvernance est improbable, elle est lente, souvent inefficiente mais elle a progressé dans des proportions considérables au cours des dernières décennies. La preuve : sa réaction remarquable face à l’agression. Elle doit continuer d’agir avec un seul mot d’ordre : isoler Poutine, dresser autour de lui les hauts murs de la réprobation internationale. Mettre en faillite la machine économique, financière et commerciale russe ; exclure les Russes de toutes les organisations et évènements internationaux ; fermer nos frontières aux flux d’hommes et de marchandises russes ; saisir tous les actifs à l’étranger du gang Poutine ; rappeler les ambassadeurs de Russie ; interdire partout les sites et les TV de propagande russes ; etc.

Nous devons enfermer la Russie de Vladimir Poutine dans une forteresse vide et glacée pour que ses concitoyens se débarrassent de lui.

Alors, l’Ukraine ne sera pas le tombeau de la liberté des individus et des peuples. Elle sera la dernière et funeste erreur du sinistre tyran de Moscou.

Vive l’Ukraine libre.

5 Commentaires

  1. Très bien dit, merci. Moi aussi je crois que la tragédie de l’Ukraine va réassurer tout notre monde (les autres Putines eventuels inclus) que la liberté et la démocratie sont invincibles. La douleur de l’Ukraine ne sera pas en vain mais va nous inspirer pour faire le monde vraiment « a better place » pour tous.

    Amicalement de la Suède,
    Maja

  2. La différence entre le 30 septembre 1938 et le 24 février 2022, c’est le 6 août 1945.
    La Troisième Guerre mondiale impliquerait l’affrontement de deux hyperpuissances capables de s’anéantir l’une l’autre. Si l’arsenal nucléaire des deux géants américains et soviétiques fut considéré comme un facteur d’équilibre géopolitique, c’est en tant qu’il constituait une force de dissuasion écartant toute possibilité pour les deux blocs civilisationnels adverses de déclencher entre eux une guerre totale qui eût été fatale à chacun d’eux.
    Ce paradigme n’a pas bougé d’un pouce dès lors que, telle une flèche zénonique nous rapprochant de cette URSS mutante qu’est la fédération de Russie sans pour autant qu’il fût possible que nos mondes se rejoignent, la guerre froide ne cesserait à aucun moment d’avoir lieu.
    Le fait que l’Union européenne mette aux Russes des bâtons dans les roues lors d’une guerre en Ukraine représentant pour elle la même menace existentielle que lui avait exhibée l’envahisseur afin de justifier son agression, ne devrait pas être de nature à annihiler un inhibiteur de désastre d’une amplitude aussi intense et, de surcroît, complète.

  3. Excepté la barbarie, nous devons opposer à Poutine un même degré d’inflexibilité :
    1. Pas de renoncement de l’Ukraine à une candidature à l’adhésion à l’Union européenne.
    2. Pas de renoncement de l’Ukraine à une candidature à l’adhésion à l’OTAN.
    3. Pas de démilitarisation de l’Ukraine.
    4. Pas de dénazification, en d’autres termes d’irrussification de l’Ukraine.
    5. Pas de reconnaissance des Républiques crypto-socialistes crypto-soviétiques de Crimée, de Lougansk et de Donesk.
    Comme préalable à toute négociation, et ce quelles que soient les conditions du tyran, — il a les siennes, nous avons les nôtres :
    1. Accession à la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne.
    2. Accession à la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN.
    3. Livraison officielle et officieuse d’armes à l’Ukraine.
    4. Reconnaissance de la souveraineté de l’État ukrainien.
    5. Reconnaissance de la souveraineté ukrainienne sur la Crimée et le Donbass.
    La négociation suppose que chacun des partenaires ou adversaires cède à l’autre partie une part de ce qu’il possède. C’est pourquoi Vladimir Poutine veut tout nous prendre. Et c’est pourquoi nous ne lui rendrons rien, avant qu’il ne revienne s’asseoir autour d’une table.

  4. L’entrée en guerre du monde libre n’est pas la seule alternative à la destruction de cette démocratie ukrainienne qui n’a plus rien d’une Petite Russie.
    En d’autres temps, des avions de chasse avaient été sortis du hangar d’une usine Dassault et acheminés durant la nuit depuis la Manche jusqu’au rivage de l’État juif tandis que le général de Gaulle feignait de ronfler à Colombey. Scénario improbable à l’ère de l’hypersurveillance ? Alors, créons nos propres sociétés militaires privées. Défaussons-nous sur elles de nos devoirs d’État envers les populations victimes de crimes de guerre et laissons désormais les mercenaires de l’Ouest prendre par les cornes ce taureau acéphale désailé de toute puissance hors de contrôle.
    Je ne suggère pas que le camp des droits de l’homme se vautre dans le non-droit dans l’optique d’enrayer la progression des régressions barbares, mais pour paraphraser l’ennemi, nul n’aurait intérêt à se laisser embarquer dans un conflit nucléaire mondial.
    L’Union européenne s’est gardée de foncer droit dans le mur du déshonneur qu’on agitait devant elle depuis 2014.
    Elle n’a pas mis les pieds dans les pas des faux jetons de Munich, fermant les yeux sur l’annexion de la Crimée ou du Donbass dans l’espoir que l’auteur d’une ignominie patente reparte repu et apaisé dans ses pénates.
    Elle eut l’intelligence de ne pas consentir au viol d’une nation sœur, car l’histoire de l’Ukraine, de l’intime à l’extime, reste liée à l’Europe du Couchant comme à celle du Levant.
    Elle continue de soutenir l’effort de résistance d’un Président mandaté par son peuple, configuration libre d’une démocratie héroïque, en veillant à ôter du bec des rapaces russes les arguments de l’accusation au-dessus desquels plane leur œil de vautour famélique.
    La démocratie triomphera d’une manière ou de l’autre. Aux portes de la Russie, elle sera aussi irrésistible qu’une liberté sonnante et tournoyante lancée en l’air derrière un rideau de fer. À l’intérieur de ses frontières, plus rien n’arrêtera sa propagation dans le système nerveux archéofuturiste, puis au reste du corps éternel des Russies.

  5. Vladimir II affirme avoir « tout assuré pour que les civils puissent quitter l’Ukraine, mais » que « les nationalistes ne le permettent pas » ; il évoque un « lavage de cerveau » collectif, des techniques de « propagande », des formes d’« intimidation », celles de « néonazis » planqués derrière des « boucliers humains ».
    Au-delà de la charge antiterroriste du pistolet lexical poutinien, la manière dont l’Empireur qualifie la résistance ukrainienne est édifiante. Dans son esprit, il a affaire, non pas aux citoyens patriotes et compatriotes d’un État souverain, mais à des séparatistes de type FLNC. Les dirigeants et représentants de la nation française risquent-ils, eux aussi, de se voir un jour traités par le petit frère du conseiller titulaire Poprichtchine comme une menace existentielle, j’entends par là l’intolérable obstacle au délire paranoïde que pourraient représenter les nuisibles démanteleurs d’une province de l’Empire eurasien, qu’il lui faudrait mater de toute urgence ?