Kaboul demain : Sarajevo 1992-95 ? Phnom Penh 1975 ?
Non seulement l’Occident, s’en lavant les mains, se retire la tête basse et à marches forcées, mais, pour ne pas être en reste et porter seul l’opprobre de cette défaite quasi sur ordonnance, il désespère l’Afghanistan en lui déniant par avance toute capacité de résistance morale, politique ou militaire.
« L’avancée inéluctable des Talibans » titre la Presse avec une joie mauvaise, « Kaboul se vide ». C’est, nous dit-on, le sauve qui peut général. Alors que tout Kaboul, chaque soir, les femmes au premier rang, tape sur des casseroles pour s’encourager à la résistance. Et alors que l’armée afghane, encerclée à Kunduz (qu’une contre-offensive imminente pourrait reprendre), contient les Talibans à Herat, Kandahar et ailleurs.
Peu importe, l’affaire est entendue : exfiltrons nos ressortissants jusqu’au dernier, humanitaires compris, accordons une poignée de visas à nos obligés afghans de longue date, invitons par notre pitoyable retraite les élites occidentalisées de Kaboul à faire de même, à fuir et à abandonner à lui-même, sans leaders, le peuple. Vive, en un mot, le défaitisme. Et les infortunés Afghans sont priés de ne pas se montrer plus déterminés que leurs mentors en débandade. Le contraste ferait mauvais genre.
Ce spectacle est doublement honteux.
1) Le départ des Occidentaux, civils et militaires, sonne comme une condamnation sans appel. Alors que, face à la pression talibane sur Kaboul censée tomber demain sans coup férir, leur présence sous protection statutaire protégerait physiquement les Afghans des exactions et de la curée annoncées. C’est Saïgon 1975 en miniature. C’est, en catimini, ce qui se joue en ce moment sous nos yeux. Rien à voir avec le retrait des Brigades Internationales en 1938 où tout Barcelone pava les rues de fleurs pour leur départ, parce qu’ils s’en allaient défaits mais la tête haute.
2) Faute d’appuyer l’esprit de résistance des Afghans, on laisse planer l’arrêt « pour bientôt » des frappes aériennes américaines, depuis l’étranger, sur les concentrations talibanes et la fin de la sanctuarisation de l’aéroport de Kaboul. On oublie le Pandjchir et le jeune Massoud à la tête de ses moudjahidines tant vantés jadis, laissés aujourd’hui à leur solitude. On oublie les Hazara chiites promis une fois de plus à l’éradication. On ne cesse d’insister sur la corruption qui minerait plus que jamais l’administration et les pouvoirs afghans. On monte en épingle, comme si elles se répétaient partout, les désertions au Tadjikistan de soldats encerclés ou la reddition de postes isolés qui se rendraient sans combattre. La démission, la trahison, seraient générales.
Ce tableau à dessein désolant ne reflète pas la réalité et la corrompt à plaisir. La victoire des Talibans n’est pas une fatalité. Les forces armées afghanes existent, l’épreuve n’a pas encore eu lieu. S’emparer des villes à cheval sur des motocyclettes est une tout autre affaire que d’occuper les vallées perdues d’Afghanistan. Les Talibans sont tout sauf de redoutables guerriers et ils ne sont en rien une armée en campagne. Ils n’ont ni blindés, ni artillerie lourde, ni aviation. Mais qu’importe, ils vont gagner, c’est écrit, nous répète-t-on sur tous les tons, comme si en face il n’y avait rien, et que livrer l’Afghanistan en un dernier baroud, celui du déshonneur, était la seule issue.
Américains en tête, qu’ils s’appellent Trump ou Biden, nous avons laissé tomber un peuple. Donnons au moins une chance aux Afghans de se défendre eux-mêmes, en les soutenant militairement sur le plan aérien ; en maintenant la fourniture d’armements et de renseignement ; en facilitant l’opérabilité de leur armée. Quant au peuple afghan, après vingt ans d’ouverture au monde, à la modernité, il refuse le retour vers l’enfer promis par les Talibans. Faisons, en l’encourageant et en conservant, à Kaboul, une présence internationale minimale, le pari que sa mobilisation face au péril est en route, tant il n’y a pas le choix. Les défenseurs de Kaboul sont des dizaines de milliers, soldats aguerris et dans leurs positions. La ville est défendable. Appuyés par le peuple, ses défenseurs, héritiers du commandant Massoud, peuvent prendre la suite glorieuse des défenseurs de Madrid ou de Sarajevo face à l’éternelle barbarie des urbicideurs. Ou alors : Remember Pnom Penh.
Si nous n’y croyons pas nous-mêmes et ne suspendons pas la désertion des internationaux avant qu’elle soit totale, ce serait un abandon de plus. Et, sous les yeux de l’Occident, Kaboul connaîtra le sort de Grozny, de Homs et de tous les Carthage anciens et modernes livrés à la vindicte sans merci des vainqueurs.
La puissance militaire européenne est dix fois moindre que celle d’un seul des deux ex( ?)blocs de l’ex( ?)guerre froide, raison pour laquelle nous n’aurions jamais lancé une opération franco-britannico-canado-otanienne en Libye sans un feu vert du géant américain, or nous savons qu’un retour en forme de relais de l’Europe en Afghanistan obligerait le Pentagone à se tenir prêt à intervenir à tout moment auprès de ses alliés face à une situation qui, dégénérant aux frontières de l’ex( ?)URSS, contraindrait la deuxième armée du monde à entrer de nouveau dans la danse macabre.
Il reste quelques heures à Sleepy Joe pour éviter de graver son nom dans l’Histoire au chapitre des fossoyeurs de la suprématie des droits de l’homme en ce monde. Ceci, évidemment, est valable pour chacun de ses homologues du monde libre.
Rien n’est jamais perdu aussi longtemps que tout n’est pas encore foutu.
Il semblerait que Sleepy With One Eye Open Joe ne soit pas tout à fait OK pour se laisser ridiculiser par un embryon d’armée européenne.
Un Clint Eastwood du camp démocrate, ce Mister (avec l’accent français) Biden !
Avec son caractère de compétiteur increvable qu’il suffit de piquer au vif pour réveiller en lui un furieux désir de nous faire une petite démonstration de sa supériorité avec l’art et la manière.
Le genre de truc que l’on ne voit pas venir, et pour cause ; sa mise au point date de sa mise à feu.
Un coup de théâtre panoramique, étant de nature à mettre tout le monde d’accord, à commencer par ceux qui s’aviseraient de lui donner une bonne leçon.
En effet, nous ne pouvons pas nous contenter de n’éprouver que la nausée qu’aurait dû inspirer le terrorisme panarabe à Sartre, face à l’oiseau de mauvais augure que projette dans un ciel qui n’est autre que le Nôtre son petit frère panislamiste.
Pour commencer, nous allons devoir départager le bon grain universaliste d’une ivraie différentialiste qui, loin de promouvoir une diversité consubstantielle à la communauté au sein de laquelle celles qu’elle abrite sont censées se fondre, une communauté nationale ou transnationale résidant, par définition, un cran au-dessus du niveau de la mer ancestrale, accueille comme un juste retour des choses le rétablissement de l’État islamique d’Afghanistan suite au départ d’un empire américain enfin désionisé, lequel, pour continuer dans le registre obsessionnel, ne devrait plus dorénavant risquer de subir le foudre d’un Zeus en ombre chinoise qu’il aurait bien cherché.
Car il y a défaitisme et défaitisme. On ne peut pas mettre sur le même plan, d’un côté, une strate du monde libre qui ne croit pas dans sa capacité à remporter une victoire sur un ennemi qu’elle juge, à raison ou à tort, militairement et culturellement supérieur à elle, à défaut de l’être économiquement et, de l’autre côté, une autre strate du même monde qui se réjouit de la défaite qu’inflige aux partisans de l’État de droit une entité exotico-fasciste demeurant à ses yeux un objet de fascination propre à déclencher des phases alternées de passivité démissionnaire et d’excitation irrépressible caractéristiques de la catatonie collaborationniste.
Ce que nous pouvons admettre néanmoins, c’est l’épuisement d’un gendarme du monde qui a pris largement sa part dans l’inlassable lutte pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et ce en deçà de toute manipulation démocratoriale.
Il est donc nécessaire, j’allais dire vital pour notre futur proche, que la relève se prenne, et pour cela, que les acteurs de la libération de l’Afghanistan, entre autres catastrophes civilisationnelles en cours, se ressaisissent avant que la contre-mondialisation du droit international n’ait atteint le point de non-retour.
Le redéploiement, c’est maintenant.