Dans ma jeunesse je fus spontanément contre l’extrême-droite et sa xénophobie latente. Pour moi, comme pour beaucoup d’autres issus de cette génération « SOS Racisme », le Front national de Jean-Marie Le Pen n’était rien d’autre que le parti des héritiers de Pétain. Et pourtant, le 21 avril 2002 Le Pen se qualifie pour le second tour de la présidentielle. Les années passent, Marine Le Pen qui a repris le flambeau de son père parvient à banaliser les idées, les thèmes et les slogans de l’extrême droite. Le temps écoulé n’a fait que renforcer la « lepénisation des esprits ».
Tout le monde, ou presque, se fiche désormais de savoir ce qui se cache derrière le programme du Rassemblement national. Parce que les sondages hissent Marine Le Pen en tête de gondole, parce que les Français semblent être séduits par ses idées, la présidente du RN est censée représenter un parti républicain, un parti de gouvernement, une alternative à la gauche comme à la droite républicaine… ou à Emmanuel Macron.
La commémoration du 80ème anniversaire de la rafle du « Billet vert » du 14 mai 1941 m’a conduit à aller rechercher au Mémorial de la Shoah les documents relatifs à l’arrestation ce jour-là, de mon grand-père Majloch Lancner.
Parmi les fiches relatives aux 3.700 Juifs étrangers raflés le 14 mai 1941, la fiche d’entrée de mon grand-père au camp de Beaune-la-Rolande (Loiret) numéro 1064. Une fiche indiquant, son nom, ses date et lieu de naissance, le nom de ses parents, son adresse, sa situation de famille et sa profession. Il était maroquinier.
Au verso de cette fiche, le « motif d’internement » est stipulé ainsi : « en surnombre dans l’économie nationale ». Un motif « économique » resté pour beaucoup, y compris pour moi méconnu jusqu’à aujourd’hui.
Ainsi comme les 3.700 Juifs raflés le 14 mai 1941, mon grand-père était considéré par le régime de Vichy comme volant le travail des « français de souche ».
Ces mots ont brutalement fait écho en moi aux clameurs de notre temps, de cette France de 2021. J’ai imaginé mon grand-père déporté aux cris de « on est chez nous » ce slogan entendu 80 ans après, dans les meetings lepénistes. Je me suis souvenu des campagnes antisémites des années 30, de la vieille haine du juif déjà au cœur de l’affaire Dreyfus… et du retour de la préférence nationale dans le discours du Rassemblement national. Oui, cette vieille rhétorique de l’extrême-droite et du régime de Vichy contre les métèques et les apatrides est encore défendue en 2021 par Marine Le Pen et ses amis.
Et pourtant il se trouve quelques « intellectuels » pour valider ces thèses. Parmi eux Éric Zemmour qui a rejoint, depuis la publication en 2014 de son livre « le Suicide français », le camp des pétainistes, des pires racistes de l’ultra droite, des tenants de la « France éternelle ». « Pétain, nous dit-il, a sauvé les Juifs français » en sacrifiant « les Juifs étrangers ». Zemmour qui défend aussi la rhétorique lepéniste de la préférence nationale mêlée à un discours violemment xénophobe. Zemmour qui est devenu le faire-valoir d’une ultra-droite antirépublicaine et raciste.
On entend même cette petite musique à gauche comme à droite qui met sur le même plan Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Jean-Luc Mélenchon, Julien Bayou, Éric Ciotti ou Guillaume Peltier refusant par avance de choisir, au cas où, entre Macron et Le Pen en 2022. À croire que beaucoup ont oublié le sens et les leçons de l’Histoire.
Concernant Pétain, Zemmour a tort, c’est une évidence. Lui coller une étiquette infamante (et handicapante pour le prochain scrutin) est non seulement injuste mais témoigne surtout d’une mauvaise foi assumée et d’une retape électorale de mauvais aloi.
Une partie de la gauche de l’époque ne se serait pas compromise avec Pétain ? Le pacte germano-soviétique vous rappelle-t-il quelque chose ? Doriot, Déat faisaient-t-ils partie d’une » ultra-droite antirépublicaine et raciste » ? Bousquet est-il un nom inconnu pour vous ?