Que sait-on avec certitude du monde et de ses circonstances lorsque les 88 ans arrivent ?

S’il y a évidence: l’inconnue? En revanche, si paradoxes ou absurdités: propos les plus sensés? Si je fais du vélo: l’avenir… déjà! La physique contribue au maximum à l’étude du néant.

Fernando Arrabal que se sent-il: poète, dramaturge, joueur d’échecs, rêveur ou un homme qui cherche encore un sens à sa vie?

…et tout le contraire, de manière antagoniste et discordante? Ne pas trouver l’aiguille dans une botte de foin est moins rare que d’y trouver celui qui l’a perdue.

Comment définiriez-vous Familia: un rendez-vous avec vos ancêtres, avec les amis, avec vous-même au fil du temps?

Rendez-vous magnifique et riche (à cause d’eux), des rencontres d’aujourd’hui et d’hier. Le tout tourné vers les jardins perdus où le rêve tremble et le futur gronde.

Votre père vous a beaucoup marqué: dans la vie, dans vos ombres et dans la fiction, tant dans le roman que dans le cinéma. Rêvez-vous toujours de votre père, est-il le grand fantôme de votre vie?

…même disparu pour toujours, il était et il est toujours intensément près de moi. Son petit théâtre envoyé de la prison de Burgos comporte une cuisine d’alchimiste et un escalier pour monter au paradis comme dans toutes mes pièces.

En montant j’ai créé et je crée le jeu de miroirs qui maintient la splendeur des débordements.

Vous parlez de votre frère peintre, passionné d’aviation, de votre sœur… Toutes les familles sont-elles différentes? Comment la vôtre vous a-t-elle marqué?

Tous me marquent et m’ont marqué: de ma grand-mère/Courage à ma fille. Mon frère, en uniforme militaire, a défendu devant le très important Tribunal d’Ordre Public des Salesas le blasphémateur insulté par toute la presse.

…comme s’il m’avait protégé dans un labyrinthe de colombes poignardées.

Beaucoup de choses vous qualifient et vous caractérisent: la révolte, la passion du langage, la spéculation de la pensée, mais aussi la confusion et le chaos, le libre usage de l’imagination. Familia est-ce aussi le récit d’un naufrage existentiel, d’une quête permanente?

Je n’ai pas pu et je ne peux pas faire naufrage. Je ne peux pas éviter les tours et détours effrayants sans l’aide tutélaire et la plus imméritée des meilleurs êtres qui m’entouraient et m’entourent.

Grâce à ces protections, je peux écrire avec le souffle des volcans et la fièvre lointaine des mots.

Vous faites votre autoportrait dans divers textes. Parfois, même, très explicitement. Qu’est-ce que le surréalisme vous a apporté et dans quelle mesure avez-vous été et êtes-vous encore surréaliste?  

Pas autant qu’André Breton et Léon Trotski se seront mutuellement apporté! …alors que le Russe goûtait la compagnie des lapins et des poules de sa nouvelle demeure à México:

Le 21 août 1940 – je suis né un 11 août – Trotski a été assassiné après une tentative avortée, parmi les plantes carnivores, par deux piètres héros fatigués de l’Union soviétique: Mercader et Neruda; chacun à son heure.

Et le mouvement panique? Comment comprenez-vous sa poétique, son attitude envers le monde?

La grande découverte: trouver le rôle fondamental et premier du tohu-bohu; il permet et a permis toutes les autres découvertes. Lorsque vous rêvez de dentelle de sable, vous pouvez faire l’école buissonnière en vous évadant par les toits.

Qu’est-ce qui vous effraie Fernando Arrabal ?

Tout… même si parfois je me sens prêt à dévorer l’éternité avec un tel appétit!

Comment comprenez-vous et vivez-vous la pataphysique ?

Avec délice et sans entraves. Avec des transparences captées par l’espace.

Que vous ont apporté les objets, que recherchez-vous dans leur compagnie: art, chaleur, proximité, planète transversale d’émotions et de sentiments…?

Je préfère avoir un capharnaüm que de vivre dans le dépouillement d’une salle d’opération. Pour se suicider, il ne faut pas avoir le vertige. La grève de la faim est plus aisée avec des apéritifs.

Est-ce que Franco vous a aidé à être plus rebelle, à faire face à la tyrannie?

Il ne m’a jamais aidé en rien. Et surtout, il m’a inspiré l’idée de le tuer. Heureusement un tyrannicide avorté que j’avais préparé avec le lauréat du  prix Jolliot-Curie de chimie atomique, le fils de Tristan Tzara.

La plupart des jeunes de mon époque auraient pu le faire mieux que moi.

La célèbre lettre que vous lui avez envoyée [Fernando Arrabal a adressé une lettre ouverte à Franco de son vivant. Ndlr]. Cela vous a-t-il aidé ou est-ce devenu une mythologie ou un lieu commun qui tempère votre grandeur, vos idéaux, votre idée radicale de transgression?

Je n’aime pas la transgression et encore moins la provocation. Toutes deux incontrôlables comme Thalès de Milet et Grothendieck le reconnaissent. Sauf les devins, tout le monde peut-il prévoir l’avenir?

Je suis ému par ce texte où votre fille dialogue avec Louise Bourgeois… Est-ce le chant de la lucidité et de la candeur?

Elle m’émeut à cause de sa fragilité et de ses intuitions. Son esprit est si spécial et unique. Je suis heureux que nous soyons d’accord.

Fernando SM Félez est décédé. Comment vous en souvenez-vous, comment était votre relation?

Un demi-siècle, d’affection, d’alliance, d’attachement, de loyauté, d’intimité et d’union. Les cotangentes démontrent l’existence de Pan mieux que Saint Ambroise avec son argument ontologique.

Vous avez eu un geste très humain, et je ne sais pas si ironique, avec Enrique Bunbury, qui se serait servi de vos textes sans l’annoncer. Quelle est votre idée du plagiat? Votre attitude de défense de la fraternité entre créateurs?

Parfois j’adore être plagié comme c’est le cas avec mon scénario pour le film Metro, et Paris-Texas après ma découverte, mes travaux et ma passion concernant Madrid/Tejas.

Je m’appelle Fernando Arrabal. Par courrier recommandé je vous l’envoie pour vérifier s’il y a une différence.

Qu’est-ce que l’Espagne continue de vous dire? Et l’espagnol?

C’est ma langue, mon pays, pour toujours et à jamais. Tout comme Ciudad Rodrigo pour la famille ‘de Espinosa’ (Spinoza) un siècle avant son émigration vers Amsterdam.

Plus que de racines j’ai des jambes, quand les zèbres exigent que leurs rayures soient horizontales.

Un homme comme vous, intense, drôle, sincère, regrettez-vous quelque chose si vous faites le point sur votre propre vie?

Presque tout et beaucoup plus si je n’avais pas été aussi bien entouré. Y a-t-il une frontière entre le normal et l’authentique? Entre anomalie et l’anormal?

Quelle est l’importance de l’humour dans votre vie?

Il est très dangereux quand ironiquement il n’est pas rendu clair par la dérision de soi… Il vaut mieux vivre comme une hirondelle que de mendier comme des corbeaux.

L’humour peut-il devenir centripète et aléatoire sur sa paillasse de certitudes?

Avez-vous rêvé, avez-vous eu ou avez-vous des fantasmes à propos du prix Cervantes ou du Nobel?

Je comprends que je ne peux pas être un candidat idéal. La toile de fond de ma virtualité fonde ma réalité.

Comme Marías ou Goytisolo l’ont parfois dit, avez-vous l’impression que parfois, pour les ministres de la Culture ou les présidents du gouvernement, vous êtes comme l’Espagnol pas très franc du collier, celui qui gêne par son franc-parler?

J’aime autant Marías (l’excellent spécialiste du Greco) que son père (qui a obtenu beaucoup de prix sous l’ancien régime), et les frères Goytisolo.

Je pense que j’ai reçu la visite d’une dizaine de ministres de la Culture, femmes et hommes… tous très sympathiques. L’un d’eux m’a même offert le prix le plus prestigieux (mais sans suite) qui aurait été très bien venu pour ma fiancée et moi.

Vous avez travaillé, Fernando, avec de nombreux Aragonais: Mariano Cariñena, avec le Teatro de la Ribera, vous êtes un ami proche de Raúl Herrero et de feu Antonio Fernández Molina… Avez-vous de bons souvenirs de vos collaborations avec eux, y a-t-il quelque chose dont vous vous souveniez avec tendresse?

«Molina était exceptionnel et Raùl l’est toujours. Je pense que cela leur à été très difficile de se faire entendre, et que ce l’est toujours»:  

Molina et Herrero sont déjà deux saints païens. Je ne serais pas surpris si Molina comme Gaudi accédait à la béatitude. Il a déjà fait deux miracles pour moi.

Je vous souhaite longue vie, beaucoup de livres, de nouveaux vers, mais vous avez sûrement déjà pensé à une épitaphe. Qu’est-ce que c’est, qu’est-ce que ce serait?

C’est le meilleur que l’on puisse me souhaiter. Et puisque l’univers est rotatoire, quand pourrons-nous voyager dans le temps? 

Je vous en prie, pardonnez-moi de ne pouvoir ni savoir répondre à votre dernière question.


Un entretien paru originellement en espagnol dans le quotidien HERALDO.es