De Minneapolis à Paris, l’onde de choc s’affaiblit.
Rendez-vous manqué ? Défaite de la pensée. Loi du silence.
Pas un silence tapageur ou en larmes, ni un silence qui écoute, non. Un silence indifférent. Celui d’un pays tourné vers lui-même, qui n’a pas assez – ou trop ? – la tête ailleurs. Myopie du coeur.
Ici, on pense aux terrasses des cafés, on rêve de bruit de glaçons et de cendrier plein, on palabre sur la couleur verte, le rouge et l’orange. Et pof ! V’la qu’on tourne en rond… On papote on papote, et avec tout ça on n’a toujours pas j’té un oeil un peu plus loin qu’d’habitude, histoire d’voir c’qui s’y passe !
Seulement voilà… Pendant ce temps, on meurt sur les rives du Mississippi.
George Floyd est mort.
George Floyd avait quarante-six ans.
George Floyd était père de deux filles.
George Floyd a été étouffé.
George Floyd a été étranglé.
George Floyd a été tué.
Son assassin ? Il gardait, dans son pantalon noir de flic, multipoches et velcro, des mains qui, j’en suis sûr, ne tremblaient pas. Un dilettante de la mort, un amateur qui tue comme ça, avec un air absent, presque sans faire exprès ? « Shit ! J’avais pas vu que je vous écrasais la gorge avec mon genou ! Sorry. Fallait le dire mon vieux, gueuler un bon coup… Ah ! Tu pouvais pas ? You cannot what ? Breathe ? You can’t breathe ? Si t’articules pas aussi, tu m’aides pas beaucoup.J’aurais compris pourtant, je suis pas con quand même ». Si ! Justement ! Quelles motivations peuvent susciter un tel mépris pour la vie d’un homme ? Avant de succomber, le souffle court, George Floyd a supplié son bourreau de l’épargner… Please Sir. Please. Please Please. Please man. Cet homme de la génération hip-hop, ancien rappeur de Houston, Texas, camionneur devenu agent de sécurité au Conga Latin Bistro – que j’imagine, avec ses murs de briques et son néon rouge et jaune, crevant la nuit de Minneapolis sur Hennepin Avenue – était une montagne. Une silhouette de boxeur, des allures de cascadeur, disparu dans une scène que l’on ne voit pas assez à Hollywood, et beaucoup trop dans la real life. Un corps fait pour la vie, réduit à néant, asservi, humilié, pleurant sa mère jusqu’à la fin, appelant à l’aide, help me, face contre terre, comme un enfant de deux mètres que l’on aurait jeté au sol, et qui ne se serait pas relevé… Mama… Mama…
De Minneapolis à Paris, l’onde de choc s’affaiblit.
On crie sans fin de l’autre côté de l’Atlantique. Ici ? Rien. À la Maison Blanche on fuit comme des lapins, tout en parlant tactique et chasse à l’homme. Un chasseur sachant chasser… Avis aux émeutiers. En attendant… Le temps passe… Et dans quelques jours, semaines, on ne parlera plus de George Floyd. On l’oubliera. Comme on a oublié Michael Stewart, Arthur Miller, Emmett Till, Fred Hampton, George Jackson, Sandra Pratt, Arthur McDuffy, Lil’Bobby Hutton, Dorothy Brown, Kenny Gamble, Edmund Perry… Est-il nécessaire de préciser que cette liste est non exhaustive ?
Qui se souvient, par exemple, de Trayvon Martin ? Trayvon Martin avait dix-sept ans lorsqu’il fut abattu à bout portant le 26 février 2012 par un agent de police ; il ne présentait aucune menace, n’était pas armé. Son assassin, une fois acquitté, décida de vendre l’arme de son crime, et gagna ainsi… 250 000 dollars. À vomir n’est-ce pas ?
Qui se souvient de Michael Brown ? Michael Brown, lui non plus, n’était pas armé, au moment de son exécution, le 9 août 2014. Il avait 18 ans.
Qui se souvient de Laquan McDonald ? Lorsqu’il meurt, Laquan McDonald n’a que dix-sept ans… Son corps fut traversé par autant de balles.
Qui se souvient d’Eric Garner ? Eric Garner, lui non plus, ne pouvait plus respirer, le 17 juillet 2014. Six enfants ont perdu leur père, pour rien.
Qui se souvient de Tamir Rice ? Tamir Rice, enfant de douze ans, jouait avec un pistolet en plastique dans un parc de Cleveland, Ohio, lorsqu’il fut abattu par un policier.
Et Akai Gurley ? Et Walter Scott ? Et Freddie Gray ? Et Alton Sterling ? Et Philando Castile ?
Il y a des luttes qui, parfois, devraient virer à l’obsession.
On se rassemble sur Trafalgar Square, on manifeste à la Porte de Brandebourg, au Danemark, à Dublin, Zurich. Quand verra-t-on des rassemblements en France ? L’émotion est-elle si faible ?
PS : Au fait ! J’ai oublié de vous dire, George Floyd (comme Michael Stewart, Arthur Miller, Emmett Till, Fred Hampton, George Jackson, Sandra Pratt, Arthur McDuffy, Lil’Bobby Hutton, Dorothy Brown, Kenny Gamble, Edmund Perry, Trayvon Martin, Michael Brown, Laquan McDonald, Eric Garner, Tamir Rice, Akai Gurley, Walter Scott, Freddie Gray, Alton Sterling, Philando Castile) était noir. ET ALORS ?
Je me réserve le droit de m’injecter une dose de perplexité devant l’urgente nécessité, fût-elle désethnocentrée, que l’on ressent à insister, à travers un slogan aussi édifiant qu’horrifiant, sur le fait que la vie des Noirs compte autant que celle des Blancs ou des Jaunes — avez-vous remarqué combien il est devenu incorrect de qualifier les Asiatiques par leur supposée couleur de peau, ce qui exhale a priori un soupçon de racisme ? faut-il y voir une réduction de la dichotomie entre mélanoderme et leucoderme ayant vocation à indifférencier les congénères occidentaux et orientaux sous la bannière d’un seul et même sous-groupe ethnique roulant à contresens sur la voie de l’évolution afrogénésiaque ? est-il possible que, ce faisant, nous cherchions à minorer les persécutions particulières qui frappent la communauté levantine dans lesdits continents à dominante blanche ou, pour être plus précis, dominés par les Blancs ? — sans pour autant me perdre dans ces sables mouvants du Livre noir de la déshumanisation où d’aucuns ont cherché à gommer le caractère spécifique, on pourrait dire spéciste, dont souffrent, depuis leur émancipation, des femmes et des hommes certes libérés de leurs chaînes, mais dont l’usage de marchepied demeure privilégié par une certaine catégorie de primates anglo-saxons pour se hisser au-dessus d’une condition humaine que celle-ci a toujours vécue comme une humiliation.
La mort de George Floyd nous oblige devant une Maison-Blanche qui eut parfois la cuisante arrogance de se prendre les pieds dans la lettre de feu. L’archaïcité d’un Occident perclus de champs de massacres en tout genre ne nous permet plus de céder aux sirènes d’une décolonisation partiale et par là même partielle, dès lors qu’elle s’arc-boute à une grille de lecture grillée. Le communautarisme ethno-racial est une forme de racialisation des plus étrangères au réel. La tolérance au terrorisme que ce dernier arbore tel un badge clanique ne manque pas de fascination pour les modèles totalitaires. À sa décharge, le sentiment d’impuissance que vous fait ressentir l’impunité d’un CRIME commis par un agent de la police D’ÉTAT requiert un mode de vengeance propre à vous procurer une impression de toute-puissance — toutefois, prenons garde que nous ne succombions au nappage nihiliste dont les marchands de jeunesse éternelle enrobent leurs bâtons de dynamite : un crime contre l’humanité n’a jamais rendu justice à personne ; or l’attentat terroriste, aveugle sans l’être puisqu’il vise indistinctement un groupe d’individus identifié pour ce qu’il est sans pouvoir l’être pour ce qu’il fait, est un crime contre l’humanité à l’état larvaire — et nous ne parviendrons pas à résorber la haine qui ronge les civilisations hantées par le démon des deux traites négrières en y prescrivant le masque d’un djihadisme révolutionnaire ployant sous le joug d’une Internationale associaliste — le TOC n’est toujours pas de mon côté de la ligne de front — quand feus nos compagnons de l’ultime Libération furent assez stupides pour se convaincre qu’ils tenaient, dans un criminel crapuleux de l’envergure du héros pan-nationaliste Marouane Barghouti, le Nelson Mandela du XXIe siècle.
Je ne me battrai pas contre mes ennemis sauf à le faire aux côtés de mes alliés.
Or où sont-ils ?
Comment veulent-ils que je les traite en tant que tels quand ils me font redouter aussi bien l’avènement des modèles que la préservation des systèmes que j’ai préconisés ?
(P.-S). : À ceux qui profiteraient de la prise de voix d’une chanteuse et actrice de talent au cours d’une manifestation dénonçant les mauvais traitements infligés à l’affaire Adama Traoré, pour esquiver des accusations que nous croyions pourtant avoir ciblées mais dont nous comprenons fort bien qu’ils n’aient pas apprécié d’en ressentir l’éclaboussure, désolé de vous décevoir encore si nous n’avons jamais dénié à quiconque le droit de mettre en cause une décision de justice. Reste la question de l’implication personnelle de toute personne qui déciderait de fermer les yeux sur sa part de complicité objective en s’immergeant dans les eaux nauséeuses où pataugerait quelque agent idéologique infectieux. Une question à laquelle Benny Lévy répondit en des temps et des termes que certains qualifieront de révolus.
P(eau)-S(cission) : Mais puisqu’on me le demande si doctement, je vais tenir mon silo d’huiles à l’écart des braises de la colère et m’extraire un instant du sujet pour effectuer une brève mise au point. Car quand j’entends le Pdt de Banlieues actives, assis sur un plateau à côté de Marcel Ichou (le doc de Kerdru), évoquer la Kabbale à propos de la Ligue des intérêts transnationaux qui s’acharna sur Didier Raoult d’un bout à l’autre du Grand Confinement , je ne voudrais surtout pas que l’on en tire une série de conclusions obscènes au regard de mes précédentes déclarations : je ne suis pas le nègre de M. Rost.