La profession de psychanalyste est organisée autour de la découverte du transfert. Les patients revivent avec leur analyste les émois de leur petite enfance, qui ont organisé leur symptôme. Aujourd’hui où une sidérante pandémie traverse le monde d’Est en Ouest, nous pouvons nous poser la question : Quel lien entre le transfert et le coronavirus ? Ont-ils tous deux le pouvoir mystérieux de traverser les frontières du corps, à l’heure où la terre est recouverte par «Une» Toile informatique ?
Alexandre Adler nous a fait savoir il y a 15 ans déjà, qu’un rapport de la CIA prévoyant la possibilité d’une pandémie redoutable, se demandait s’il avait été bien prudent de « s’être mis à la disposition de l’Asie, et de leur laisser le pouvoir de fabriquer les médicaments ». La France, elle, depuis les débuts de la République, fut divisée entre les Girondins et les Montagnards qui s’entretuèrent. Puis l’opposition entre la droite et la gauche centra la vie politique au profit momentané d’un parti du centre et de son président Emmanuel Macron. Le coranovirus a fait apparaître une nouvelle division : entre les Marseillais et les Parisiens. Le peuple a fait « un transfert » affectif massif sur « Un » médecin éminent aux cheveux longs, Didier Raoult, qui n’hésite pas à prendre la parole en l’honneur d’une substance, l’ hydroxychloroquine, qui alliée à un antibiotique puissant est, selon lui, efficace au début de l’affection liée à ce nouveau virus. Tandis que les Parisiens, ou plutôt ceux qui tiennent officiellement le discours de la science, veulent un pouvoir centralisateur et s’opposent à la demande populaire : « De la chloroquine ! ».
Ceci pour planter le tableau qui m’amène à écrire cet article pour témoigner du moment critique de la cure d’une analysante quand, récemment, elle fut atteinte par le coronavirus. Que devient le transfert analytique, moteur de la cure, dans cette occurrence ? Deux jours après le confinement, lors de sa première séance téléphonique, elle me fait savoir qu’elle est atteinte de tremblements effroyables, de douleurs thoraciques, de transpiration majeure. Bref, elle pense qu’elle est atteinte gravement du coronavirus. Scientifique, elle a lu les différents articles sur internet et pense déjà qu’au 10° jour, elle va décompenser et elle s’angoisse d’autant plus que, vivant seule, elle ne sait pas comment elle pourra appeler au secours si elle étouffe et ne peut plus parler.
Au transfert d’un(e) analysant(e), nous répondons par « un pro-transfert » qui précède le transfert. Quand un analysant est dans un moment difficile nous sommes habités par une vive préoccupation. En l’occurrence, je retrouvais la mémoire de ma propre psychanalyse quand, pour la payer, je faisais des remplacements de médecin à la campagne. A l’époque le Samu n’existait pas et nous devions évaluer si oui ou non il fallait faire une visite à domicile. Cette formation m’a évidemment soutenue dans ma décision d’aller voir cette patiente chez elle. Comment l’aider à soutenir la force que nous avons en nous-mêmes, l’immunité, qui lutte « naturellement » contre les virus ? Comme l’a dit le Pr François Bricaire, infectiologue, l’angoisse est une ennemie du système immunitaire et bien sûr un(e) psychanalyste se doit de la combattre du mieux possible dans une telle situation d’urgence. L’inconscient est construit à partir du langage. Mais l’acte analytique est composé de plusieurs dimensions.
La veille du 10° jour dont elle avait la hantise, Geneviève, me dit que « coranovirus » c’est « le corps on a » mais que la prise en charge par la médecine faisait apparaître le « vide » « du co-vide ». Les patients sont certes mis sur une liste spéciale, avec des appels téléphoniques, mais leur corps n’existe qu’en cas de décompensation grave, quand l’étouffement oblige à l’hospitalisation Elle voulait, bien sûr, avoir accès au traitement marseillais. Son cardiologue l’autorisait. Car n’oublions par le rôle de la parole, du signifiant en psychanalyse. Je téléphonais à deux membres de l’académie de médecine, Pr Jacques Milliez et le Pr Jean François Allilaire, secrétaire perpétuel de l’Académie de médecine qui me répondirent immédiatement qu’ils n’avaient pas la possibilité d’avoir accès à ce médicament. Toutefois « perpétuel » fit son effet. Mais l’élément décisif, me dit-elle, fut ma visite à domicile, avec un masque qu’elle portait elle aussi. Elle eut besoin d’oxygène le lendemain mais ma confiance en sa force contribua, je l’espère, à ce que son état ne nécessite pas de réanimation. Toutefois, qu’il est étrange qu’un traitement recommandé à Marseille dès le départ de la maladie pour renforcer l’immunité ne soit donné à Paris qu’après la décompensation de malades en réanimation ! Car n’oublions pas qu’une maladie grave rappelle à un sujet humain le temps où il était bébé dans les bras de sa mère appelant la tétée qui apaisait ses tensions, ce qui explique sans doute le peu de différence qui existe souvent, dans nombre d’affections, entre un placébo et un « vrai » médicament.
La veille du 10° jour, Geneviève me confia ses rêves. Eros était toujours présent puis j’apparaissais dans un rêve qui marquait nettement mon importance comme « supposé savoir ». Savoir sur quoi ? Le transfert analytique est une formation de l’inconscient qui permet d’analyser la complexité de l’âme humaine qui par son inconscient subit des pulsions de vie mais aussi des pulsions de mort qu’il s’agit de déplier pour ne pas entraver la vie. Avec son accord et sa supervision de mon texte, je vous l’adresse.
La crise sanitaire que nous vivons et son traitement par le confinement, qui met en grande difficulté l’économie, montre le prix que nos sociétés accordent désormais à la vie. A ce titre, elle est un combat non pour la mort mais pour la vie et la psychanalyse, qui a pour agent l’objet qui cause le désir, ne peut que s’y associer.