John Bolton, c’est ce cador de la diplomatie des Républicains. Orgueilleux, flamboyant, l’homme à la moustache hirsute s’est imposé depuis trente ans comme l’un des penseurs, et acteurs, d’un interventionnisme musclé, souvent caricatural, qui a servi Bush, et, brièvement, Trump. Pendant un an et demi, jusqu’en septembre 2019, il fut son conseiller à la sécurité nationale, prônant une ingérence américaine tous azimuts, notamment contre l’Iran et le Venezuela. Il est connu pour, alors ambassadeur à l’ONU, avoir proposé de raser un ou deux étages du bâtiment des Nations Unies, ou d’avoir poussé pour une opération militaire à Caracas contre Maduro. Dans le monde diplomatique de Trump, il était un contre-point à l’isolationnisme du Président. Trump, lui-même, qui suit une diplomatie peu lisible, s’est finalement séparé de Bolton, officiellement à cause de l’invitation des talibans à Camp David le jour de l’anniversaire du 11 septembre, pour négocier un accord de paix en Afghanistan. Paradoxalement, depuis, même séparé de Bolton, Trump a repris quelques uns des thèmes boltoniens, avec notamment l’assassinat du général iranien Soleimani, typiquement, l’une des choses que Bolton aurait chéries.

Mais si, aux Etats-Unis, aujourd’hui, tout le monde reparle de John Bolton, c’est pour une toute autre raison. Depuis que Trump est suspecté d’avoir opéré un chantage avec le Président ukrainien – une aide militaire contre une enquête sur son rival démocrate, Joe Biden, dont le fils fait des affaires en Ukraine – les démocrates cherchent des témoins de ce «quid pro quo». Ils ont bien sûr la retranscription de la conversation entre Trump et Zelensky, mais, avec beaucoup de mauvaise foi, elle peut être lue dans un sens plus neutre que la démonstration de ce chantage. Mais qui a parlé au Président ? Qui s’est vu ordonner, concrètement, de mettre sous pression un pays allié, de le menacer dans ses intérêts vitaux, de mettre en péril la sécurité du continent européen contre un gain politicien dans les prochaines présidentielles ? C’est ce que relèvent, avec gourmandise, les élus républicains qui défendent Trump dans l’impeachment : il n’y a pas de témoins qui puissent se lever et affirmer : j’étais dans le Bureau Ovale, et le Président m’a clairement demandé de commettre ce crime. Ni Gordon Sondland, ancien ambassadeur auprès de l’Union Européenne, ni Fiona Hill, ancienne conseillère du Président, ou Marie Yovanovitch, ancienne ambassadrice en Ukraine, et virée pour sa réticence à geler l’aide américaine, ne peuvent apporter de tels témoignages.

Tout cela était vrai jusqu’à la semaine dernière. Et le témoin-clé possède une moustache absurde. Reprenons : Bolton démissionne en septembre, soit quelques semaines après l’opération ukrainienne. Dans tous les comptes-rendus des témoins, tous, mêmes les plus hostiles à Bolton, soulignent que ce dernier était abasourdi et furieux que Trump soit prêt à lâcher l’Ukraine, et faire ainsi plaisir à Poutine, contre une aide dans la campagne présidentielle. De façon contre-intuitive, Bolton, une tête de Turcs des libéraux américains, s’est montré le plus honorable, le plus moral. Il a alerté Trump. Il est supposé avoir dit : «Je ne vais pas aider Heisenberg à faire cuire leur méth», dans une référence, savoureuse, à la série Breaking Bad, où un prof de maths bien sous tous rapports devient un chimiste spécialiste du narco-trafic. Voilà ce qu’était le «quid pro quo» pour Bolton : quelque chose d’aussi illégal et amoral que vendre de la méthamphétamine.

Or, Bolton s’était tu depuis le déclenchement de l’affaire. Tout le monde savait qu’il était en mauvais termes avec Trump – les deux se sont disputés, un peu puérilement, pour savoir s’il avait été viré (version Trump) ou s’il avait démissionné (version Bolton). Il en savait manifestement beaucoup. Il est connu pour prendre des notes très minutieuses. Pourquoi se taisait-il ? Eh bien Bolton joue sur les deux tableaux. Il n’a pas perdu tout espoir d’avoir de l’influence sur les Républicains, et veut préserver sa position à Washington, et, de ce point de vue, débarquer au Congrès en brandissant les preuves des crimes de Trump n’est pas le meilleur moyen de ménager son avenir. Il a donc choisi une voie médiane : pas une conférence de presse spectaculaire, mais quelque chose de plus oblique. Bolton s’est mis à écrire un livre sur son passage à la Maison Blanche, ce qui s’est ébruité. Comme le note un analyste du New York Times, Bolton «a dévoilé les preuves dans le seul endroit où il savait que Trump n’irait jamais : dans un livre».

Donc, les démocrates jubilent : dans ce livre, dont la presse a publié le verbatim la semaine dernière, Bolton dit clairement que le Président lui a demandé d’opérer un chantage sur l’Ukraine. Voilà, enfin, la preuve manquante ! Le «smocking gun», l’arme du crime, encore fumante ! Les démocrates veulent donc que Bolton témoigne au Sénat, avant la fin du procès. Mais, pour convoquer des témoins, la procédure est stricte : les Républicains arguent de bon droit que c’était lors de l’étape précédente, à la Chambre, qu’il fallait s’y prendre. Pourquoi les démocrates ne l’ont-ils pas convoqué auparavant, en décembre, quand ils réunissaient et choisissaient leurs témoins pour le Sénat ? D’abord, ils n’avaient pas la teneur des révélations. Ensuite, ils ne voulaient pas rentrer dans une bataille politique sur les témoins, ouvrir un nouveau front, alors que les Républicains menaçaient, en réplique, de convoquer Joe Biden lui-même à la barre. Enfin, sans doute se méfiaient-ils de Bolton, ce «méchant» devenu « gentil », que la presse démocrate, dans cet entremêlement entre pop culture et politique qui fait le sel de l’Amérique, décrit comme le «Severus Rogue» de Trump, en référence à Harry Potter où le maléfique professeur de magie était en réalité un bienfaiteur déguisé et infiltré chez les monstres.

Que va-t-il se passer à présent ? Les Républicains sont coincés : d’un côté, ils ne peuvent apparaître devant l’opinion publique et l’Histoire comme les instruments d’une évidente obstruction, car refuser d’entendre un témoin capital se justifie mal. D’un autre côté, ils se doivent d’être loyaux à leurs électeurs pro-Trump, qui ne leur pardonneraient guère. Mais ils risquent de ne pas avoir le choix : il suffit que quatre sénateurs Républicains votent avec les Démocrates au Congrès pour que Bolton soit convoqué, et ce quorum risque d’être rapidement atteint. Mitt Romney, le sénateur centriste, ou Susan Collins, l’une de ses collègues, républicaine modérée, se sont déjà dits intéressés à l’idée d’entendre Bolton. Mais les démocrates auraient tort de se réjouir entièrement. Souvenez-vous de 2015 : un enregistrement de Trump où il insulte les femmes et ricane sur le fait de les attraper violemment d’une manière sordide sort dans la presse. Tout le monde déclare sa candidature morte et enterrée. Quelques semaines plus tard, il est élu Président. Dans un monde normal, qu’un conseiller de haut vol, irréprochable, vous accuse d’avoir fait du chantage politicien avec un pays allié vaudrait au Président l’impeachment. Mais, avec Trump, plus rien n’est normal. Bolton n’y changera probablement rien, si ce n’est que la vérité, devant l’Histoire, est désormais sans doute figée : Trump est ce Président qui utilise les moyens de la République pour son profit personnel.  ​

Un commentaire

  1. Bolton est un des plus abominables faucons que le complexe militaro-industriel ait mis en place aux USA ces 40 dernières années. Une seule credo : continuer la guerre, par tous les moyens.

    Le faire passer pour un diplomate de haut vol est pour le moins surprenant de votre part.

    Il a quitté l’administration Trump car ce dernier ne voulait plus d’une diplomatie de la guerre (qui se termine systématiquement par des catastrophes et une défaite des USA), mais d’une diplomatie de la puissance. Et Bolton est sur une ligne totalement opposée.
    Quand à son livre, pourquoi y accorder plus de crédit qu’à n’importe quelle autre assertion non prouvée?

    Dernier point, dans un monde normal, ce sont ceux qui tentent de gagner les élections avec des outils de caniveaux (videos volées…), que l’on devrait vomir. Trump ne gagne que parce que la corruption , la veulerie, et la pourriture absolue de ses adversaires les rend inéligibles pour tout citoyen digne de ce nom.

    Franchement je ne suis d’accord en rien avec votre article.