Après trois jours d’essais de dénégations maladroites, le régime de Téhéran a admis avoir abattu à la suite d’une «erreur humaine» le Boeing ukrainien dont les 176 passagers ont tous péri dans le crash. Mardi 14 janvier, le ministère de la justice a même annoncé avoir procédé à une vague d’arrestations ; le président de la République islamique avait auparavant assuré que l’Iran devait «punir» tous les auteurs de la tragédie, en ajoutant que «le système judiciaire devait former un tribunal spécial avec des juges de haut rang et des douzaines d’experts».
Il faut dire que la situation pour le régime iranien était intenable. Les preuves, accablantes. Mais le plus surprenant tient dans un double paradoxe. Premier paradoxe : l’indignation, davantage que depuis les pays dont les victimes étaient ressortissantes (Canada, Royaume-Uni, Ukraine, Suède, Afghanistan), est venue de la rue iranienne. Du moins de cette jeunesse cosmopolite, éduquée, qui, sans adhérer aux valeurs occidentales, est décillée sur la nature du régime iranien : une nomenklatura corrompue, ne gouvernant plus que pour ses propres intérêts et sa propre perpétuation. Les jeunes sont descendus dans la rue, des images très impressionnantes défilent sur tous les écrans du monde. Donald Trump a tweeté son soutien en farsi. Le grand festival culturel du Bajr, organisé le 11 février pour célébrer la révolution islamique, menace d’être boycotté. L’opposant Mehdi Karoubi, assigné à résidence depuis 2011, a nommément appelé à la démission du Guide Khamenei. A la télévision publique, deux présentatrices ont démissionné et la presse écrite n’est pas en reste : le quotidien Etemad, réformiste, a titré «Excusez-vous, démissionnez», le journal gouvernemental a qualifié l’acte d’«impardonnable» quand l’organe des Gardiens de la Révolution parlait d’une «erreur douloureuse» (selon Le Monde du 13/01). Sur France Inter, l’éditorialiste Pierre Haski analysait ces jours de fièvre comme ceux d’un moment «Tchernobyl» : comme en URSS à la fin des années 1980, la population se rend compte du degré d’incompétence, de manque de transparence, de sordide d’un régime apparemment inébranlable, et qui vacille à la suite d’un choc auquel il était supposé survivre.
Mais, et c’est le second paradoxe, d’un point de vue des relations internationales, on avait rarement vu un pays ayant la partie si simple perdre la face aussi rapidement. Reprenons : il y a encore une semaine, l’Iran pouvait, dans les enceintes diplomatiques, arguer de la violation du droit international que constituait l’assassinat, par les Etats-Unis, du numéro deux de son régime, et avoir de cette façon le beau rôle. Mais, sept jours plus tard, l’Iran est redevenu ce qu’il a toujours été : le paria de la scène internationale. Comme Kadhafi avec la catastrophe de Lockerbie, l’Iran apparaît – et c’est la moindre des choses – pour un Etat voyou. Alors que les mollahs avaient toutes les cartes en mains, ils ont dilapidé, par leur propre stupidité criminelle, leur jeu. Si l’on devait risquer une autre analogie, on parlerait de la catastrophe du Lusitania, ce paquebot torpillé par l’Allemagne en 1915 : un acte de guerre, contre des civils, qui suscite le retournement de l’opinion mondiale : l’Allemagne du Kaiser ne s’est jamais vraiment reprise de cette image, écornée, d’un pays en guerre, sans foi ni loi.
Ainsi, dans une époque hyper-médiatique, où les réseaux sociaux jouent un si grand rôle, chaque événement est politique. L’assassinat de Soleimani aurait pu entraîner des réactions plus fortes de Téhéran, si la rue iranienne avait fait davantage pression sur le régime. Le crash du Boeing a complètement retourné l’opinion iranienne et mondiale contre les Gardiens de la Révolution, qui, manifestement songent davantage à détruire Israël et piller les caisses qu’apprendre les règles d’une guerre efficace, voire même à faire le bien de leur peuple. Tout est donc question d’image – et Trump, avec l’assassinat de Soleimani, parlait aussi, et peut-être surtout, à l’opinion américaine.
Il reste que tout n’est pas qu’affaire d’images. Lockerbie a fait apparaître Kadhafi pour ce qu’il était réellement : un dirigeant sanguinaire et cynique. Le Lusitania a révélé l’Allemagne comme puissance sans scrupules. Et l’attaque contre le Boeing ukrainien révèle la nature profonde du régime de Téhéran : incompétent, adepte des méthodes terroristes, et faisant honte au grand peuple iranien.
COMPOST — RESTES — HANTE : Entre assassiner un Heydrich nain et violer le droit international, nous serons toujours déterminés à faire en sorte qu’il y ait un monde.
L’Acommunauté, pour l’Iran islamofasciste comme pour son Frère Tariq voguant par-delà sunnisme et chî’isme, attendra toujours que les indéfendables membres de son Organisme en pièces détachées aient basculé dans la rubrique du droit commun pour lever le pied duquel elle effleurait, dans une sorte de coma légèrement orgasmique, un féerique Champignon nucléaire dont le totem irrésistible déforme la conscience des criminels de masse qu’il menace de son châtiment on ne peut plus radical, en ceci qu’il confère à ces monstres frustrés la certitude d’avoir le Juste de leur côté lorsqu’ils invoquent leur droit à se doter d’un système de défense qui leur permettrait de rendre plus symétriques des rapports de force internationaux dont nous avons la faiblesse de penser qu’ils ne devraient jamais regonfler à bloc les ambitions funestes d’un État ou proto-État qu’une organisation supranationale, soucieuse d’assurer un état de paix relatif entre les membres d’une espèce animale qui n’a pas attendu le dérèglement climatique pour faire peser sur elle un risque d’extinction, s’attachera à ne point nourrir.
La Justice est une balance impitoyable ; son sens inné du déséquilibre a, entre autres fonctions, celle d’établir une peine proportionnelle aux souffrances infligées par l’auteur d’un crime ; en aucun cas elle ne vise à considérer Bien et Mal comme deux principes de nature équivalente ou de puissance égale.