Le changement c’est maintenant proclamait un slogan d’une campagne à laquelle j’ai participé au cours de la décennie qui vient de s’écouler. Militant naïf et sincère, je m’étais convaincu d’y croire. Sans doute moins que ceux qui connurent l’ivresse de la gauche en 1981 et pensaient avec le nouveau président élu Changer la vie.
Car quand on est issu d’une génération post-chute du Mur de Berlin où les idéologies se sont évanouies et ont laissé place à des engagements politiques fluctuants et la plupart du temps interchangeables, que l’on a toujours connu un pays où être jeune était pour paraphraser Mauriac un «dangereux passage» aussi bien qu’un parcours du combattant pour trouver un emploi, un logement ou simplement acquérir son indépendance, où chercher encore l’espoir de changement ?
Dans une époque où, à l’action politique s’est substituée la communication au rythme du buzz, du storytelling, des chaînes infos en continu et des réseaux sociaux, dans une ère où le Président américain peut déclarer la guerre sur Twitter et que les peuples finissent par préférer voter pour des animateurs de télévision, où puiser encore un idéal ?
Rousseau écrivait qu’«on jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère». C’est souvent vrai pour l’amour et le désir. Mais cela l’est probablement davantage encore pour les engagements politiques où la perte des illusions succède inexorablement aux promesses de grands soirs. La conquête, la cohabitation, la rupture sont autant de mots pour parler d’amour que de politique.
Ainsi, en écrivant mon second roman, Le détachement, j’avais envie de raconter l’histoire d’une jeune fille érotomane qui préfère inventer sa vie plutôt que de la vivre et la mettre en miroir avec celle d’un jeune homme qui découvre la cruauté du monde politique et la façon dont les convictions se fracassent souvent dans la conquête et l’exercice du pouvoir. Dans ce texte à deux voix avec des personnages qui se racontent et nous racontent des histoires, se mêlent les amitiés inconditionnelles et souvent nostalgiques, les amours fantasmées renforcées par le miroir déformant que peuvent nous tendre les réseaux sociaux, les désillusions face aux paradis perdus que peuvent devenir les idéaux militants.
De mon expérience de «plume» auprès d’élus et au sein de cabinets ministériels, j’ai ainsi tiré la volonté de décrire un monde rempli de violence, de brutalité et de vacuité où le loser du lundi peut devenir le winner du mardi et vice-versa. En ne cachant rien des petits et grands reniements mais en refusant d’entonner le refrain paresseux du «tous pourris» qui n’alimente que les populistes, démagogues et extrémistes en tous genres.
Le personnage principal y poursuit un désir qui l’amènera vers la création : redonner un vrai sens aux mots. Souhaitant créer un monde où l’on peut encore rêver à des lendemains qui chantent, il fait un constat simple : le discours politique est devenu une langue morte. Plus personne n’est dupe des éléments de langage ressassés, des mots valises sans contenu véritable, des expressions toutes faites : «le lien social», le «vivre ensemble», «la solidarité intergénérationnelle», «la révolution numérique», «la transition énergétique», etc.
Utiliser des mots qui savent toucher les cœurs et imposer des récits communs quand nos sociétés se fragmentent et s’individualisent en privilégiant la représentation et le virtuel au réel, inventer un autre monde que celui trop décevant que celui dans lequel nous évoluons, raconter de nouveau des histoires auxquelles on peut croire et même adhérer ne devrait pas seulement être le lot des créateurs. Ou alors il est plus que temps de mettre, pour reprendre un slogan vieux de cinquante ans, l’imagination au pouvoir.