Dans deux mois – et bien que personne ne semble s’en être aperçu – auront lieu les élections municipales. Ces élections sont toujours considérées comme d’insignifiants micro-phénomènes par un pouvoir national, qui les perd la plupart du temps, et les prémisses d’une alternance politique par l’opposition, à qui il arrive de les remporter. Ni l’une ni l’autre de ces affirmations ne sont exactes.

En réalité, les élections municipales sont la première maille de la trame citoyenne de la République. Les taux de participation sont bons, parce que, par définition, on choisit des élus dont on peut apprécier les résultats concrets au bout de la rue. On vote pour nos maires depuis 1884 – depuis plus longtemps que pour notre Président de la République. D’un point de vue politique, c’est un moment fondamental – et, dans le contexte de 2020, on assiste à un phénomène éminemment paradoxal. En bref, il semble que les Verts aient mis en œuvre une stratégie qui aurait dû être celle d’En Marche.

En effet, En Marche était supposé être ce mouvement, attentif aux bonnes idées «et de gauche et de droite», qui, face à une urgence impérieuse (faire enfin rentrer la France dans le XXIe siècle) allait rassembler toutes les bonnes volontés, et faire émerger la société civile face à l’«ancien monde».

Mais, depuis, un Premier ministre de centre-droit a été nommé à Matignon, et, vraisemblablement, les stratèges d’En Marche procèdent à un double calcul : 1) Les réserves de voix d’En Marche se situent à droite, comme ce fut le cas aux européennes. 2) Il est illusoire de présenter des candidats En Marche, frais, jeunes, alternatifs dans toutes les villes, et l’on peut se contenter d’appuyer telle ou telle liste en échange de quelques places. Pourquoi cette stratégie ? Là encore, trois raisons. D’abord, En Marche s’attache ainsi des maires du centre, des élus locaux déjà enracinés, dont la présence donnera un peu de chair à ce mouvement encore nébuleux. Ensuite, la macronie tient en contre-exemple les premières élections municipales auxquelles concourut le nouveau mouvement gaulliste en 1959, si l’on fait l’analogie entre gaullisme et marcionisme (deux mouvements réformateurs opposés aux anciens partis). Eh bien les gaullistes avaient présenté des candidats partout, et ils n’avaient quasiment gagné nulle part, et les premières municipalités gaullistes ne furent conquises que dix ans plus tard. Enfin, troisième raison, En marche préfère saisir la proie plutôt que de courir l’ombre, et, contre la signature d’un vague pacte de valeurs, les maires déjà en place soutenus par En Marche pourront, dans leur sillage, amener des co-listiers macronistes qui, ensuite, voteront aux sénatoriales, et formeront une armée de réserve d’élus locaux En Marche.

Bref, En Marche a complètement changé de tactique. Or, il semble que les Verts leur aient volé cette stratégie de «troisième force» révolutionnaire, anti-politique et souple. Les Verts ont longtemps été identifiés à la gauche – mais à la façon dont Macron s’est réclamé d’une agrégation de bonnes volontés, Yannick Jadot veut travailler avec tout le monde. Jadot a en tête le modèle des Verts allemands qui travaillent indifféremment avec gauche et droite – car l’urgence climatique suppose d’être pragmatique. Les Verts, par exemple à Paris, pourraient s’allier avec Villani – cela ne va sans doute pas arriver, mais que cette proposition ait été formulée est déjà une révolution. En face, Griveaux a l’air de se contenter de vouloir être le candidat de droite. Partout, ainsi, les écolos forment des listes avec une proportion réduite de professionnels de la politique. Et, à la manière dont Macron avait aspiré d’abord tout le centre gauche puis le centre droit, les Verts parviennent à aspirer peu à peu toute la gauche. A Marseille, une collection de candidats de gauche rivaux a fini par s’effacer derrière une personnalité écologique, et idem à Bordeaux, où les sondages promettent aux Verts à la tête d’une liste d’union d’égaler les scores du maire sortant, héritier de Juppé. A Lyon, les divisions internes entre Collomb et ses héritiers pourraient offrir la deuxième ville de France aux écolos. Chaque fois, indiscutablement, les Verts ont pris les leaderships des oppositions. Bien sûr, cela ne va pas marcher partout, mais cette manière «allemande» et «macronienne» de faire de la politique – souplesse des alliances, société civile, un seul thème convoquant les bonnes volontés – est tout à fait neuve pour les Verts.

Ne soyons pas trop catégoriques : contrairement à En Marche, les Verts n’ont pas de leader qui puisse, par son autorité, apaiser les divisions idéologiques internes du mouvement (entre Yannick Jadot, le futur candidat à la présidentielle, et Julien Bayou, le patron du parti, par exemple, il y a un monde)… Et ils sont tout de même spécialistes des divisions byzantines et inépuisables. Mais, ce qu’ils construisent aux municipales est malin. Ils prennent En Marche à revers, en les combattant avec leurs propres armes. Rendez-vous, dans deux mois, pour constater si la tactique a été efficace…