Le président Erdogan a donc retourné le compliment à Emmanuel Macron : plutôt que l’OTAN, c’est le dirigeant français qui serait en état de «mort cérébrale». Erdogan juge que Macron «fanfaronne», tandis que ce dernier a convoqué l’ambassadeur turc à Paris, qui, reçu par un haut diplomate, s’est entendu dire que le gouvernement français était «étonné et choqué». Macron et Erdogan doivent se rencontrer aujourd’hui, au sommet de l’OTAN. A l’origine de cette brouille, donc ? D’abord, l’offensive turque en Syrie, pour mater (et massacrer) les combattants Kurdes, qui avaient pourtant payé le prix du sang pour la défense des valeurs européennes, et la liberté de leur peuple, et des démocraties. Emmanuel Macron s’est, par conséquent, montré très sévère à l’encontre de la Turquie, dans son entretien avec le journal The Economist. Il se disait sidéré, et on peut le comprendre, qu’un membre de l’OTAN, la Turquie, attaque, sans prévenir ni concerter, un groupe politique et militaire, allié de l’OTAN, plaçant l’alliance atlantique dans une situation grotesque et misérable – une «mort cérébrale» avait dit Macron. D’autant que la Turquie, encore une fois supposément liée au camp occidental, s’est récemment rapprochée de la Russie, en lui achetant des boucliers anti-missiles, autrement dit, en faisant entrer le loup dans la bergerie. Et, last but not least, Erdogan a des visées sur le gaz et le pétrole en Méditerranée, via l’État croupion de Chypre du nord, soutenu et porté à bout de bras par la Turquie, quand l’Union Européenne soutient naturellement la Grèce. Bref, la Turquie se comporte en passager clandestin de l’OTAN, comme le chat de Schrödinger, à la fois en dehors et au dedans, simultanément.
Dans ce contexte, la logorrhée d’Erdogan franchit un cap supplémentaire. D’une rare violence, sur le fond comme sur la forme, Erdogan s’inscrit ainsi dans les pas de Bolsonaro (dont les ministres se permettent des commentaires ignominieux sur Brigitte Macron) ou Trump (qui avait qualifié son jeune homologue de «stupide»). En d’autres temps, de telles insultes valaient une déclaration de guerre : à l’ère des satrapes et de la vulgarité, on est obligé de s’en accommoder, mais on peut sincèrement se demander quelle vision du monde est attachée à des mots aussi insultants, fascinés par la force, l’égoïsme, la misogynie, la haine de l’altérité.
Surtout, ce changement d’alliances de la Turquie est opéré à la suite du coup d’État manqué contre Erdogan en juillet 2016. La Turquie et la Russie, qui ont toujours été en guerre depuis le XVIIIe siècle, que ce soit dans les Balkans ou dans la mer Noire, se sont alors étonnamment rapprochées. Car les Etats-Unis et l’Union Européenne ont exprimé des réserves sur la reprise en main autoritaire, pour ne pas dire dictatoriale, d’Erdogan, quand Poutine lui a chaleureusement apporté son soutien et son amitié. S’est ainsi mis en place un duo d’autocrates, Poutine et Erdogan, qui, l’un autorisant les Russes à bombarder Alep, l’autre donnant son feu vert aux massacres des Kurdes, vont, bras-dessus, bras-dessous, violer les lois de l’humanité et du droit international.
Et puis, et c’est sans doute le plus grave, Erdogan a été saisi d’une mégalomanie, d’une paranoïa face à la révolte de la société civile turque, et d’un effarant sentiment d’impunité. On pense ici au cambriolage, à Paris le 19 octobre, des locaux de Nouvelles d’Arménie, la courageuse revue qui se bat depuis si longtemps pour le droit des Arméniens, et leur lutte contre le négationnisme. Les locaux ont été saccagés, pillés. Tous les indices pointent vers la Turquie. Or, personne n’en a étrangement parlé, ni ne s’est ému de cette attaque inédite, contre la liberté de la presse, et contre la démocratie. On aimerait que les «souverainistes» et les «patriotes» s’indignent davantage d’une exaction commise sur le territoire national. On aimerait que tous les souverainistes qui nous rabâchent «l’extra-territorialité» du droit américain haussent le ton quand un Etat se permet d’intervenir sur le sol français pour persécuter ses opposants. Et on aimerait des paroles fortes de l’ensemble de la classe politique, pour dire que la défense de la mémoire du génocide arménien, et la cause de la liberté politique pour la société turque ne sont pas négociables.
Et de même, le grand écrivain turc Ahmet Altan, a été remis en prison le 12 novembre. Altan est une figure de la société civile turque : rédacteur en chef du journal Milliyet, il avait été licencié et condamné à 20 mois de prison en 1995 pour soutien à la cause kurde. Puis de nouveau accusé, quand il avait signé une déclaration en 1999 pour le droit des Kurdes, avec entre autres les écrivains Orhan Pamuk et Yachar Kemal. En 2008, il avait dédié un article aux victimes du génocide des Arméniens et avait été alors inculpé d’ «insulte à la nation turque». En 2016, lors d’un procès kafkaïen, il est condamné à perpétuité à cause de liens allégués avec la secte Gülen, devenue l’ennemie de la paranoïa d’Erdogan. Altan a donc passé trois ans en prison, avant que la justice d’Erdogan ne semble faire machine arrière, et, face à l’absurdité des charges, autorise une liberté le temps de la révision du procès. Mais dans la Turquie d’Erdogan, c’est l’Etat de droit qui est en mort «cérébrale». Voilà Altan de nouveau en prison, comme 160 écrivains et journalistes, faisant de la Turquie «la plus grande prison du monde pour professionnels des médias» (selon les mots de RSF) et participant d’un «climat de terreur» (Pen Club). Avec une ironie spécialement sinistre, on fêtait le 15 novembre, trois jours après l’embastillement d’Altan, la journée mondiale des écrivains en prison…
La Règle du Jeu soutient, cela va sans dire, la cause d’Altan, ce romancier dont la maestria lui a valu le surnom de «magicien». Avec une lucidité et une intelligence déchirante, Altan, pendant sa courte semaine de liberté, a multiplié les tribunes, tout en se doutant de ce qui l’attendait. Dans un texte paru dans Le Monde, il écrit : «la solution, face au nationalisme, c’est d’adopter une attitude plus déterminée. Il faut que tous ceux que cette folie du nationalisme écoeure fassent front commun afin de clamer haut et fort, chacun dans son pays respectif, que le nationalisme est le plus grand poison de l’humanité, et que si elles le boivent, toutes les sociétés y succomberont».
Contre le nationalisme autoritaire, voyou, et liberticide d’Erdogan, posons-nous donc la question de l’attitude «déterminée à avoir». Il nous faut une vraie «Alliance atlantique», qui soutienne les Kurdes et sanctionne la Turquie, et une «Union Altan-tique» qui se batte pour Ahmet Altan, et fasse reculer Erdogan. Cela commence par être intransigeant, sur la défense des Nouvelles d’Arménie, et faire le maximum de pression sur Ankara, pour qu’enfin, les journalistes et les écrivains turcs soient de nouveau libres et écoutés.
Il est une chose que seront amenés à comprendre les alliés nés analphabètes après qu’ils échoueront, une dernière fois, à nous rabattre dans leur propre enclos, ayant cherché à nous instruire du fait qu’ils remportaient leurs victoires malgré nous.
C’est avant tout contre eux que nous entrons en guerre.
Et cette guerre est une guerre sans fin.
Je ne serais pas étonné que la logique de guerre froide soit encore valable sous le méta-empire d’un kagébiste.
À la totalité des membres de l’OTAN s’imposerait un devoir de solidarité militaire face aux attaques qu’un ou plusieurs pays ennemis auraient projetées contre l’un d’entre eux.
Si jamais il s’avérait que le ver de la complicité sinuait dans le fruit, l’alliance contre le traître s’en verrait renforcée.
Nous ne saurions convaincre les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale (du XXe siècle) des nobles intentions de l’État islamique aryen.
L’Instex n’a d’autre but que de rendre efficientes les sanctions américaines contre un pôle de déstabilisation hypoterroriste qui deviendrait incontrôlable s’il n’avait rien à perdre.
Nous, le haut peuple aux aguets bondissant dans les pas supranationaux du vrai Buzz, veillerons à ce que les Kurdes ne soient poussés par aucun de leurs faux frères d’armes à rejoindre les rangs d’une révolution obscurantiste et pan-nationaliste.
Les Justes sont perçus comme une horde de terroristes par l’État de non-droit que leur ténacité ébranle.