John Bolton n’est plus le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump. Par une série de tweets saugrenus, le Président, mercredi, a démis de ses fonctions Bolton, avant que ce dernier, douze minutes plus tard, ne semble le corriger en indiquant avoir présenté sa démission. Le poste de conseiller à la sécurité nationale est l’un des plus capitaux dans l’organigramme de la diplomatie de Washington. Et John Bolton est un personnage pittoresque, «colorful», impulsif, va-t-en guerre, et l’une des figures du monde de la politique étrangère américaine depuis l’administration Reagan. Le jour de sa démission-licenciement, il devait tenir une conférence de presse, en compagnie de Mike Pompeo, le Secrétaire d’Etat, et le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, lesquels, laissés seuls face aux journalistes, n’ont pu dissimuler leur gourmande satisfaction à voir partir un homme aux convictions bien trempées.
Le départ de Bolton fait suite à un incident précis : l’annulation, par Trump, de la rencontre prévue à Camp David avec les émissaires des talibans afghans. Tout à son objectif de partir d’Afghanistan le plus vite possible, et si possible avant les élections de 2020, afin de rapatrier le contingent américain encore sur place, Trump avait fait pression sur son administration pour organiser le plus prestement des négociations avec les talibans. Elles se déroulaient, plus ou moins secrètement, depuis un an. Mais Bolton n’y croyait pas. Et il ne souhaitait pas que l’Amérique invite les talibans, en les ré-haussant à la dignité de chefs d’Etat en séjour à Camp David, et qui plus est la semaine de l’anniversaire du 11 septembre, l’attentat ayant été justement le motif public de l’invasion de l’Afghanistan, il y a dix-huit ans. Bolton a eu gain de cause – mais le revirement de Trump a été la crise de trop, et pour le Président, et pour Bolton. Pire, ce dernier est accusé de fuites dans la presse, où il sous-entendait que le vice-Président Pence était de son côté, contre Trump, ce qui a rendu furieux à la fois Trump et Pence.
Lorsqu’il a été nommé conseiller à la sécurité nationale, les commentateurs étaient déjà sceptiques. Comment ce «faucon», adepte du «régime-change», ayant une vision binaire et musclée des relations internationales allait-il s’entendre avec Trump ? Sur quasiment tous les sujets, les deux hommes discordaient. On résume souvent les options de la diplomatie étrangère américaine en deux couples d’opposition. D’un côté, les dirigeants américains se divisent entre «multilatéraux» et «unilatéraux », ceux qui prônent les structures collectives de défense et de coopération, comme l’ONU et l’OTAN, et ceux qui n’y croient pas. Sur ce plan là, Trump et Bolton étaient alignés : les deux détestent les «machins», et préfèrent voir l’Amérique «d’abord», pour ne pas dire «toute seule». En particulier, Bolton, ancien ambassadeur US à l’ONU sous George Bush, est connu pour avoir suggéré que «si l’on supprimait un ou deux étages au bâtiment de l’ONU, le monde irait mieux». Mais il existe une autre ligne de fracture : entre les interventionnistes et les isolationnistes. Bolton appartient au premier, Trump au second. Bolton voudrait voir son pays intervenir et changer les gouvernements au Venezuela, en Iran, il voudrait que l’armée américaine reste en Afghanistan et en Syrie… quand Trump, fidèle à une ligne ancienne des Républicains, voulait partir, coûte que coûte. Bien entendu, c’est une grille schématique, et d’autres lignes de faille existent : entre réalistes et idéalistes…
Pour autant, la vraie question reste : pourquoi Trump a-t-il nommé ce diplomate, sachant que Bolton, très connu, ne faisait pas mystère de ses choix ? Et pourquoi Bolton a-t-il bien pu accepter de servir un président, Trump, qui n’avait rien à voir, ni avec Bush ni avec Reagan, ses anciens patrons ? Aux yeux de Trump, Bolton avait deux qualités : d’abord, et c’est un critère essentiel, Bolton était un habitué de Fox News, où il ne se privait pas de louer le président américain sur tous les autres sujets que la diplomatie. Deuxièmement, Trump – à l’inverse d’ailleurs de Boris Johnson qui a allégrement expulsé 21 députés conservateurs – prend soin de ménager son propre parti. Et Bolton est une référence républicaine. Mais, au bout d’un moment, Trump ne supporte pas d’être contredit. En 2016, Trump a eu l’intuition que son électorat était lassé de l’interventionnisme américain – et de son point de vue, les guerres coûtent trop cher. Du côté de Bolton, la soif de pouvoir mise à part, il a sans doute cru possible d’orienter ou d’influencer les positions de Trump, comme l’avait cru le premier secrétaire d’Etat de Trump, Tillerson, mais dans un sens opposé et modéré, vers plus de multilatéralisme.
L’histoire reste fascinante dans la mesure où elle est symbolique des contradictions du Parti Républicain face à Trump. Les grands élus républicains sont dans leur majorité interventionnistes, unilatéraux (comme leurs aînés néo-conservateurs) ou multilatéraux. Mais, Trump a l’oreille du peuple. Face à cette contradiction, deux attitudes existent. La première était celle de Bolton mercredi : le conflit, et la franchise. La deuxième, celle de Mike Pompeo, le Secrétaire d’Etat, ou Lindsey Graham, sénateur très influent en politique étrangère, et ancien «lieutenant» de l’idéaliste John McCain. Pompeo ou Graham, par ambition et par servilité, ont totalement remisé leurs convictions. Ils servent, avec obséquiosité pour Pompeo ou ruse pour Graham, un Président qui ne pense pas, ni n’agit, comme eux le souhaiteraient. Trump négocie avec les talibans le 11 septembre, «deale» avec les Nord-Coréens, se retire de la bataille contre Daech, malmène l’OTAN, et clame à tous crins qu’il veut s’entendre avec le régime iranien. Trump a le pouvoir, et les Républicains veulent gagner en 2020, et – en ce qui concerne Pompeo, alléché par la suite – en 2024 et 2028. La diplomatie américaine, malgré la valse des titulaires, restera ce qu’elle est : trumpienne, tant que cette conjugaison d’intérêts demeure.