Film haletant. Scénario parfait écrit avec talent et exécuté avec minutie.
Ouverture.
L’empereur au fait de sa gloire règne sur un groupe sur lequel le soleil ne se couche jamais: premier constructeur automobile mondial autour de Renault, Nissan, Mitsubishi. Lorsque le Gulfstream se pose à l’aéroport de Tokyo, Carlos Ghosn est arrêté et, au lieu de rejoindre le siège de Nissan, transféré dans les locaux de la police. Il est filmé de loin.
Asahi Shinbun, le plus grand quotidien nippon, prévenu pendant le vol, sort les premières informations avant même qu’elles soient présentées à l’intéressé : soupçons de Fraude fiscale de 2011 à 2015 portant sur près de 38.000.000 euros et «utilisation imbue des biens de la société» sans autre précision.
De manière plus insensée, Nissan, émet immédiatement un communiqué qui prouve, si besoin était, que le coup était prévu de longue date et qu’il vient de l’intérieur.
C’est le moment pour Hiroto Saikawa, directeur général de Nissan, d’entrer en scène. Installé dans cette fonction par Carlos Ghosn auquel il succède, ses propos en conférence de presse sont d’une dureté inouïe : pas un mot de compassion pour celui qui est encellulé, ni un mot de reconnaissance pour le travail accompli.
Au pays où l’effusion est proscrite, il ne craint pas d’exprimer «frustration, indignation et colère» et ce, alors même que les faits dont on parle n’ont pas porté principalement préjudice à l’entreprise (dont la santé est florissante) mais au trésor public japonais !
La suite est exécutée au même rythme : les conseils d’administration des deux constructeurs japonais Mitsubishi et Nissan se réunissent pour mettre fin aux fonctions de Carlos Ghosn sans même avoir pris soin d’entendre sa version, ni même de savoir exactement ce qui lui est reproché. On est bien loin d’une culpabilité quand on ignore même l’accusation. Pourtant cette ignorance savamment entretenue suffira à sceller le sort et la carrière de Carlos Ghosn. Quoi qu’il dise ou fasse et quoi qu’il ait fait: il est un patron déchu.
L’exécution est parfaite puisqu’elle s’est produite sans autre forme de procès que des communiqués laconiques qui ne prennent même pas la peine d’adresser les condoléances d’usage.
La presse française et l’opinion n’ont pas tardé à embrayer sur ce patron «glouton», trop payé, adepte de l’opacité, pour qui rien n’était trop beau. Et les anecdotes de fleurir sur ses résidences aux quatre coins du monde payées par l’entreprise et son mariage célébré en grande pompe à Versailles, toujours aux frais de l’actionnaire. Carlos Ghosn a vraisemblablement alimenté par ses excès et sa voracité, le poison qui allait le tuer. Dans son hubris il aura été son premier et pire ennemi. Autrement, des contre-pouvoirs auraient dû rendre impossible cette improbable chute.
Tout cela est vrai. Mais insuffisant.
L’adage est connu: «le sage pointe la lune, l’imbécile regarde le doigt». Dans ce magnifique scénario digne des meilleures séries sur Netflix, on ne nous aura offert que le doigt. Et certainement pas la lune.
Comment ignorer que le Japon est un pays qui pratique un nationalisme économique féroce ? Et si l’arrivée de Renault pour sauver Nissan de la faillite en 1999 a été une aubaine, cela a été vécu comme une humiliation jamais cicatrisée. L’essentiel de l’activité et de la rentabilité de l’Alliance des trois constructeurs vient du Japon alors que son contrôle capitalistique est français.
La brutalité de l’éviction du pdg de Renault Nissan, sa préparation dans un scénario écrit de longue date et minutieusement exécuté ne peut laisser de doute sur sa portée. Bien sûr, la rémunération et la fiscalité de l’intéressé pose question. À l’évidence, le numéro deux était pressé de devenir numéro un et la gloutonnerie de son patron lui a servi l’occasion qu’il guettait. Mais c’est autre chose que «Iznogoud au pays de l’auto» qui vient de se jouer sous nos yeux.
Nous venons d’assister à un tournant dans la mondialisation, qui emprunte plus à la guerre et à la géopolitique qu’à l’économie. On exécute Ghosn sur l’autel de la transparence et de la bonne gouvernance mais c’est surtout une renipponisation violente de Nissan-Mitsubishi au détriment des intérêts français qui est à l’oeuvre.
Un mot encore. Ce n’est pas la première fois que la rémunération du pdg d’un constructeur automobile français défraie la chronique. En 1989, le Canard Enchaîné avait publié la feuille d’imposition de Jacques Calvet, patron de l’époque, qui s’était augmenté de 46% sur deux ans. À l’époque, le journal avait été condamné en justice avec le soutien de Bercy qui s’alarmait de la fuite des données du contribuable. Le scandale n’était pas la rémunération ni sa hausse mais sa divulgation. L’époque a changé à tous points de vue mais la rémunération «scandaleuse» de M. Calvet il y a trente ans était 100 fois moins importante que celle de Carlos Ghosn aujourd’hui…
Bref, même s’il s’agit d’une superproduction particulièrement bien menée, l’affaire Ghosn ne devrait pas nous interdire de de regarder ce qui se trame derrière l’écran du film que l’on nous a complaisamment présenté.
La suite, en tous cas, risque de ne pas nous décevoir.
L’affaire GHOSN ou comment tuer son boss?
par Patrick Klugman
21 novembre 2018
Ce qui est réellement en jeu dans l'arrestation et la chute de Carlos Ghosn, le PDG de Renault-Nissan.
Effectivement «le sage pointe la lune, l’imbécile regarde le doigt». Dans ce magnifique scénario digne des meilleures séries sur Netflix, on ne nous aura offert que le doigt. Et certainement pas la lune.
Il y a un journal très sage : Tokyo Shinbun, le plus sérieux journal au Japon, a émis une supposition dans l’édition datée du 22 novembre : cela peut être un cadeau du premier ministre japonais envers Trump. Radical! Tokyo shinbun est un journal équilibré et prudent et avec l’âme du journalisme. Il ne veut pas dire n’importe quoi. Selon Tokyo shinbun
1. Il faut que le premier ministre intervienne pour que Tokyo chiken tokusoubu ou Tokyo District Public Prosecutors Office décide d’arrêter Ghosn.
2. Le lendemain de l’arrestation, M. Kawaguchi de Nissan a visité la Résidence officielle du Premier ministre pour expliquer l’affaire au numéro 2 : Monsieur Suga
3. Il y a des opinions des spécialistes : avocat ex-procureur et spécialiste de la politique internationale.