Bolsonaro, le candidat d’extrême droite en lice pour l’élection présidentielle au Brésil, propose de supprimer le ministère de la Science, de la Technologie, de l’Innovation et de la Communication tandis que son adversaire Fernando Haddad s’efforcerait d’augmenter le financement de la recherche. La revue de référence dans le monde à ce sujet a publié avant le premier tour un article où elle s’inquiétait de l’avenir de la recherche au Brésil.

Les déclarations à caractère populiste d’un des candidats de droite à la présidence du Brésil qui menace de bouleverser le paysage politique du pays pourraient avoir d’énormes répercussions sur les budgets de la recherche et sur la législation relative à l’environnement.

Jair Bolsonaro, un ancien officier de l’armée de terre très controversé que l’on qualifie souvent de «Trump des tropiques», a esquissé les grandes lignes d’un projet qui laisse entrevoir un net recul sur la protection de l’environnement et annonce la suppression du Ministère des Sciences. Il possède actuellement dans les sondages une légère avance sur les autres candidats qui se présentent au premier tour de l’élection présidentielle du 7 octobre [il a depuis été qualifié au premier tour et est le favori du second tour, qui aura lieu le 28 octobre, avec 59% des intentions de votes. Ndlr].

Des années de graves difficultés économiques ponctuées par de nombreux scandales liés à la corruption constituent la toile de fond de ces élections. Depuis près d’une décennie, le budget fédéral alloué à la recherche scientifique a fortement diminué tandis que les décisions politiques favorables aux industriels érodent petit à petit la législation sur l’environnement. Dans la mesure où les deux principaux candidats à la présidence proposent des approches très différentes de ces questions, les chercheurs scientifiques sont aujourd’hui dans la plus grande incertitude.

Bolsonaro est un des treize candidats à cette élection présidentielle. Dans la mesure où il est peu probable qu’un de ces treize candidats parvienne à obtenir la majorité des voix le 7 octobre, les deux candidats arrivés en tête devront donc s’affronter lors d’un second tour de scrutin vers la fin de ce même mois.

Les derniers sondages semblent indiquer que Bolsonaro – dont le colistier pour le poste de vice-président a commencé à laisser entendre qu’il ferait intervenir les forces armées face à d’éventuels blocages d’ordre politique – serait opposé à Fernando Haddad, un ancien maire de la ville de São Paulo. Haddad a été choisi pour remplacer l’ancien président brésilien Luiz Inácio «Lula» da Silva, le très populaire dirigeant du Parti des travailleurs (P.T), qui s’est vu interdire de se présenter à cette élection car il purge actuellement une peine de prison pour corruption.

Majorité silencieuse

Bolsonaro, qui représente Rio de Janeiro à la Chambre des députés du pays, vote souvent avec les membres du très conservateur groupe de représentants ruraux qui concentrent en permanence leurs attaques sur la réglementation relative à l’environnement. Bolsonaro propose de faire sortir le Brésil de l’accord sur le climat conclu à Paris en 2015 ; il entend également supprimer le ministère de la Science ainsi que celui de L’Environnement pour placer ensuite ces deux administrations sous la tutelle du ministère de L’Agriculture, de l’élevage et de l’approvisionnement.

En ce qui concerne l’Amazonie, de nombreux chercheurs pensent que Bolsonaro est décidé à œuvrer en faveur d’une extension du développement de l’agriculture et de l’industrie au détriment de la protection de l’environnement et des droits des populations autochtones.

Pour Carlos Rittl, secrétaire général de l’Observatoire climatologique de Sao Paulo regroupant trente sept associations qui suivent de près l’évolution de la politique climatologique locale, il semble que Bolsonaro soit en train de dire à l’industrie et à l’agriculture que son gouvernement leur laisserait les mains libres en Amazonie. S’il gagnait, ce serait «un cauchemar», conclut-il.

Il semblait au départ que Bolsonaro avait peu de chances d’être élu. Jusqu’à une période très récente, il était toujours devancé dans les sondages par la plupart des autres candidats de premier plan auxquels il aurait pu être opposé lors d’un éventuel second tour. Les derniers résultats des sondages relatifs à ce deuxième scrutin montrent cependant que Bolsonaro et Haddad sont désormais au coude à coude.

«Les gens pensent que Bolsonaro n’a aucune chance, mais qui sait ?», s’inquiète Carlos Nobre, climatologue et ancien responsable de la politique de la recherche et du développement au ministère des Sciences, de la Technologie et de l’Innovation. «J’ai bien peur qu’il existe une majorité silencieuse au Brésil, et qui peut savoir de quel côté ces électeurs pencheront», ajoute-t-il.

Coup de pouce à la recherche

En ce qui le concerne, Haddad a pour le Brésil une vision plus conforme à ce que l’on pense généralement dans le domaine des sciences ; il met l’accent sur la recherche et l’innovation, et s’engage en faveur de tout ce qui concerne la règlementation climatique et environnementale. Il assure qu’il est décidé à promouvoir les énergies renouvelables, comme l’éolien et le solaire, tout en s’opposant à la déforestation et en maintenant la protection dont ont bénéficié jusqu’ici les territoires sur lesquels vivent les autochtones d’Amazonie.

Et contrairement à Bolsonaro, qui tient à favoriser un accroissement de la recherche et du développement dans le secteur privé, M. Haddad s’est engagé à augmenter le financement fédéral de la recherche scientifique. Il propose de porter l’investissement national en faveur de la recherche et du développement à 2 % du produit intérieur brut du Brésil en combinant financements publics et privés. Cela permettrait d’aligner les dépenses du pays pour la recherche scientifique sur celles de nombreux pays industrialisés.

Il est difficile de dire dans quelle mesure ces objectifs de financement sont réalisables. Un problème risque néanmoins de surgir dans la mesure où le Brésil a adopté à la fin de 2016 un amendement constitutionnel plafonnant les investissements publics pour une période de 20 ans, à l’exclusion des ajustements rendus nécessaires par l’inflation.

Pour Luiz Davidovich, spécialiste de physique théorique et président de l’Académie des sciences du Brésil, toutes les mesures d’investissement en faveur de la recherche et de la technologie seraient les bienvenues. Il note que malgré un ajustement destiné à compenser l’inflation, le budget du ministère des Sciences a diminué d’environ deux tiers depuis 2010, pour tomber à près de 3,4 milliards de reais (860 millions de dollars).

Un avenir incertain

Au Brésil, le salaire des chercheurs des universités publiques est garanti. À la suite de diverses coupes dans le budget de la recherche scientifique, il reste maintenant moins d’argent pour les investissements dans les équipements, les subventions fédérales, les voyages, les bourses postdoctorales et le financement des collaborations internationales.

Malgré le manque de ressources et l’absence de soutien du gouvernement fédéral, M. Davidovich affirme que dans la mesure du possible, les chercheurs continuent d’avancer. «Aujourd’hui, faire de la recherche au Brésil est un acte de résistance, et c’est exactement ce que nous faisons », dit-il.

Mais si Bolsonaro et Haddad ont effectivement choisi la recherche scientifique et technologique comme un des thèmes de leur campagne électorale, il est trop tôt pour dire ce qui se passera après les élections.

«Il est vrai qu’ils ont inclus la recherche en sciences et technologie dans leur programme, mais cela ne signifie pas que ce seront encore des sujets importants une fois les élections terminées, dit-il. Il y a une grande différence entre ce que l’on dit et ce que l’on fait.»


Nature 562, 171-172 (2018)