Plusieurs entreprises achètent actuellement des packs d’envois en masse, sur WhatsApp, de messages hostiles au PT [Parti des travailleurs, dont le candidat Fernando Haddad est en lice pour le second tour de l’élection présidentielle au Brésil] et préparent une grande opération pour la semaine précédant le second tour.

Une telle pratique est illégale, car il s’agit d’un don de campagne de la part d’entreprises, interdit par la législation électorale et non déclaré.

La Folha [un quotidien brésilien] a pu établir que chacun des contrats a atteint 12 millions de reais et que Havan fait partie des entreprises clientes. Ces contrats concernent des envois de centaines de millions de messages.

Les entreprises qui soutiennent le candidat Jair Bolsonaro (PSL [Parti social-libéral, d’extrême droite]) achètent un service intitulé «envoi en masse», en utilisant la liste de contacts du candidat lui-même ou des listes vendues par des agences de stratégie numérique. C’est également illégal, puisque la législation électorale interdit tout achat de liste tierce, autorisant seulement l’usage des listes de sympathisants du candidat (numéros cédés volontairement).

Quand elles utilisent des listes tierces, ces agences offrent une segmentation par zone géographique et, parfois, par niveau de revenus. Elles envoient au client des comptes rendus contenant la date, l’heure et le contenu du message envoyé.

Parmi les agences proposant ce type de service, se trouvent Quickmobile, Yacows, Croc Services et SMS Market.

Les prix vont de 0,08 à 0,12 reais par message envoyé à la liste de contacts du candidat, et de 0,30 à 0,40 reais quand la liste est fournie par l’agence.

Les listes de contacts sont souvent fournies illégalement par des entreprises de facturation ou par des employés d’entreprises téléphoniques.

Les entreprises contactées pour ce reportage ont affirmé ne pas pouvoir accepter de commandes d’ici le 28 octobre, date de l’élection, en raison des énormes services d’envoi par WhatsApp durant la semaine précédant le second tour, achetés par des entreprises privées.

Quant à savoir s’il a réalisé des envois en masse, Luciano Hang, patron de Havan, a dit qu’il ignorait «de quoi il s’agit». «Nous n’en avons pas besoin. Je viens de faire un “live”, là. Il n’est pas sponsorisé et il a déjà touché 1,3 million de personnes. Pourquoi sponsoriser ? Mettons que j’aie 2.000 amis. J’envoie à mes amis et ça se dissémine.»

Interrogé, l’associé de Quickmobile, Peterson Rosa, affirme que son entreprise n’a pas d’activités dans le domaine politique cette année et qu’elle se concentre sur les médias de masse. Il nie avoir conclu un quelconque contrat avec des entreprises pour l’envoi de contenu politique.

Richard Papadimitriou, de Yacows, a dit qu’il ne s’exprimerait pas. SMS Market n’a pas répondu à nos demandes d’entretien.

Dans les comptes du candidat Jair Bolsonaro, ne figure que l’entreprise AM4 Brasil Inteligência Digital, au titre de 115.000 reais reçus pour les médias numériques.

D’après Marcos Aurélio Carvalho, l’un des patrons de l’entreprise, AM4 ne compte que vingt personnes travaillant sur la campagne. «Ceux qui font la campagne, ce sont les milliers de militants volontaires disséminés dans tout le Brésil. Les groupes se créent et s’alimentent de manière organique», dit-il.

Il affirme que AM4 n’entretient des groupes WhatsApp que pour les dénonciations de fake news, pour des listes de diffusion et des groupes dans les États, appelés comités de contenu.

Toutefois, la Folha a pu établir auprès d’anciens employés et de clients que les prestations d’AM4 ne se limitent pas à cela.

L’un des outils employés par la campagne de Bolsonaro est la génération automatique de numéros étrangers via des sites comme TextNow.

Les employés et les volontaires disposent de dizaines de ces numéros, qu’ils utilisent pour administrer des groupes ou y participer. Avec des codes correspondant à d’autres pays, les administrateurs échappent aux filtres anti-spam et aux limites imposées par WhatsApp — un maximum de 256 participants pour chaque groupe et le transfert automatique d’un même message à un maximum de 20 personnes ou groupes.

Les mêmes administrateurs utilisent aussi des algorithmes qui segmentent les membres d’un groupe entre sympathisants, détracteurs et neutres, et, de la sorte, ils parviennent à personnaliser de manière plus efficace le type de contenu qu’ils envoient.

Pour une grande part, le contenu n’est pas produit par l’équipe de campagne — il vient des sympathisants.

Les administrateurs de groupes pro-Bolsonaro identifient aussi des «influenceurs» : des sympathisants particulièrement actifs, qu’ils contactent afin qu’ils créent davantage de groupes et fassent davantage d’actions en faveur du candidat. Une telle pratique n’est pas illégale.

Rien n’indique que AM4 ait conclu des contrats d’envoi en masse ; Carvalho nie que son entreprise puisse faire de la segmentation d’usagers ou de l’adaptation de contenu.

Les estimations, de la part de professionnels du secteur, du nombre de groupes WhatsApp anti-PT sont très vagues — elles vont de 20.000 à 300.000 — car il est impossible de dénombrer les groupes fermés.

Diogo Rais, professeur de droit électoral à l’université Mackenzie, dit que l’achat de services d’envoi sur WhatsApp par des entreprises afin de favoriser un candidat constitue un don de campagne non déclaré, ce qui est interdit.

Il ne commente pas les cas particuliers, mais rappelle que cela peut constituer un crime d’abus de pouvoir économique et que, s’il est jugé qu’une telle action a influencé l’élection, cela peut conduire à l’annulation de la candidature en question.

 

Dans le Minas Gerais, Romeu Zema a contracté une entreprise pour l’envoi de messages sponsorisés

Le candidat au mandat de gouverneur de l’État de Minas Gerais pour le Partido Novo, Romeu Zema, a déclaré auprès du Tribunal Supérieur Électoral le paiement de 200.000 reais à Croc Services pour l’envoi de contenus sponsorisés. La direction du parti dans le Minas Gerais a dépensé 165.000 reais au profit de l’entreprise.

La Folha a eu accès à des propositions et des échanges d’e-mails entre l’entreprise et certaines équipes de campagne, offrant des envois en masse au moyen de bases de données tierces, ce qui est illégal.

Interrogé par la Folha, Pedro Freitas, associé et directeur de Croc Services, a affirmé : «Celui qui doit être au courant de la législation électorale, c’est le candidat, pas moi.»

Par la suite, il est revenu sur ses propos et a dit qu’il ignorait que son entreprise avait travaillé pour Zema. Après cela, il a envoyé un message affirmant qu’il avait vérifié dans ses dossiers et qu’il avait vendu des packs d’envois en masse sur WhatsApp, mais seulement aux contacts du candidat lui-même, adhérents du parti et sympathisants de Zema — ce qui est légal.

Interrogée, l’équipe de campagne a affirmé qu’elle «a contracté un service d’envoi de messages seulement par WhatsApp pour des envois aux adhérents du parti, des personnes enregistrées sur le site internet et lors d’actions de mobilisation de sympathisants.»

La Folha a pu établir que des électeurs, dans le Minas Gerais, ont reçu des messages WhatsApp associant le vote pour Zema au vote pour Jair Bolsonaro, plusieurs jours avant le premier tour. Zema, qui était en troisième position dans les sondages, a fini premier.

 

(Avec la collaboration de Joana Cunha et Wálter Nunes.)