Alexandre Benalla, chargé de la sécurité du Président, est finalement entre les mains de la justice, pour avoir, usant de fausse qualité et d’équipements de police, possiblement participé à des violences en réunion le 1er mai. L’histoire serait plus grave encore s’il s’avère qu’il aurait fait arrêter par de vrais fonctionnaires ses victimes putatives, sachant qu’il a bénéficié d’équipements et participé aux opérations de maintien de l’ordre de la Préfecture, le 1er mai, jour sensible entre tous, avec l’assentiment de celle-ci.
L’affaire Benalla est une possible affaire d’État car la situation était connue de l’Elysée qui s’est affairé à la gérer en catimini, avant sa révélation publique, pour sanctionner à minima l’intéressé et, en réalité, le garder dans le dispositif et l’entourage le plus direct du Président de la République.
Cette fable rocambolesque n’en est à l’évidence qu’à ses prémisses.
Elle s’inscrit néanmoins dans la longue série des relations tumultueuses entre l’exécutif et forces de sécurité qui l’entourent depuis le début de la 5ème République. N’oublions pas le rôle du Service d’Action Civique, proche de Charles Pasqua, sous de Gaulle et Pompidou, qui étaient des fonctionnaires de police défroqués, utilisés par le pouvoir pour des tâches politiques aux confins de la légalité. Il y aura encore les écoutes de l’Elysée sous Mitterrand, l’affaire Clearstream sous Chirac ou la version plus «normale» de Francois Hollande semant son service d’ordre à scooter pour retrouver son amie Julie Gayet. La tentation au plus haut niveau de l’Etat de se protéger de ceux qui sont censés protéger n’est pas nouvelle. Elle s’est révélée ici catastrophique.
L’affaire Benalla expose l’État au sens où cet homme n’avait rien à faire, bien sûr, à commettre d’éventuelles ratonnades le 1er mai à Paris mais, surtout, dans son emploi de conseiller sécurité à la Présidence de la République.
C’est finalement ce dernier aspect, qui n’est pas stricto sensu judiciaire qui devrait nous intéresser le plus. Pourquoi a-t-on confié la sécurité du Président lors de ses déplacements à un homme sans expérience, qui n’appartient ni à la gendarmerie ni à la police? C’est-à-dire à un individu jeune et qui n’est pas formé pour une tâche de protection rapprochée d’un tel niveau de sensibilité? La seule hypothèse que l’on puisse avancer c’est qu’Emmanuel Macron a souhaité se prémunir des services de sécurité et aurait préféré avoir un homme à sa main dans cette fonction, avec les risques insensés qui n’ont pas manqué d’advenir dans des proportions bien sûr imprévisibles. Il y a du tragique ici: averti des avanies du passé et voulant éviter indiscrétions, barbouzeries, l’immixtion des officines, voire une guerre des polices, il est probable que le Président ait souhaité se mettre à distance des services dits officiels sans se douter que sa prudence le mettrait en danger.
Cette histoire semble dessiner une situation schizophrène qui ne pouvait qu’exploser: d’un côté le recrutement de Benlalla à l’Elysée parce qu’il ne serait PAS policier, de l’autre son obsession à lui, sur son temps de congés, d’être auprès des forces de l’ordre, d’en avoir les attributs, l’équipement, arme comprise, et de participer à des actions de maintien de l’ordre musclées qui relèvent uniquement de la compétence de Police. Le schéma n’est pas nouveau ni même original: recruté par ce qu’il est une personne «privée» hors hiérarchie, pour des tâches de sécurité, il se rêvait policier! Les circonstances, vu que Benalla évolue à la présidence de la République auprès d’Emmanuel Macron, avec en plus un traitement de faveur, rend la déflagration beaucoup plus importante et vise directement celui qu’il était censé prémunir en premier lieu, le Chef de l’Etat.
Benalla, grenade dégoupillée, ou conte freudien? Trop tôt pour le dire mais d’ores et déjà saga à succès de l’été!
Macron est, sans conteste, le plus anticonformiste des hommes d’État avec qui la Ve République se soit mise en ménage. Question brisement de tabous, il ferait pousser au Daft Punk de la rue du Cirque ou au Tom Cruise d’Eurodisney des soupirs de baronnes offusquées qu’on les eût vues rougir. Malgré son panthéon rebelle, la France n’a jamais cessé d’éprouver un certain malaise devant les projections publiques de ses démons sous-cutanés. Les Français sont dévots, ce qui ne semble pas tout à fait illogique si l’on considère la contre-plongée dans l’axe optique de laquelle le peuple téteur de pis du général de Gaulle est suspendu à sa Vache d’or. S’ils placèrent sur le trône de leur royaume décapité un vrai dynamiteur, il y a fort à parier que notre homme possédât les qualités sans lesquelles un jeune refondateur de Rome ne saurait parvenir à chevaucher son œdipienne Louve. Car il n’est pas commode de bousculer l’énorme. Aussi, il n’est pas donné au premier venu de pirouetter sur l’esprit des lois. Il faut pour cela s’en être pénétré jusqu’à s’y être enraciné, jusqu’à en maîtriser le solfège, l’harmonie et la stylistique évolutionnaire, jusqu’à en transgresser le classicisme en voie de décomposition sans basculer, au bout de quelques mètres, dans l’illégalité. En deux mots, n’est pas Macron qui veut, et le cas Benalla pourrait s’avérer fort salutaire à une Macronie inspirée par un vent d’inorthodoxie bien au-dessus de ses moyens.
Quand on a un Président usurpateur tout est possible, conduisez moi tout ce beau monde en Place de Grève!
L’incident arrive à point nommé. Stoppant le train des réformes en rase campagne et sur le bon registre, il offre au prédisant le plus napoléonien de la Ve République la possibilité d’aller au bout de son destin, en devenant le fondateur d’une inéluctable VIe République avant qu’un dégagiste, droitier ou gaucher, n’aille la teindre aux couleurs de son propre extrémisme.
L’exécuteur, espérons-le, vient de déverrouiller l’épine dorsale de Montesquieu. Que, toutefois, il prenne garde à ne pas retomber trop tôt dans son travers de flèche. La séduction est une arme fatale à condition que sa proie ne l’ait pas prise en grippe. Les opposants à l’Opposant ont eu ce qu’ils voulaient : un genou à terre de la part du demi-dieu. Ne les croyez pas assez stupides pour avaler la version officielle. Ils demeureront persuadés que les dysfonctionnements dont le chef de l’État les assure que la réorganisation en cours, supervisée par le Secrétaire général de l’Élysée, empêchera qu’ils ne se reproduisent, étaient, jusqu’à ce que la presse lui rappelle qu’elle n’était plus mitterrandienne et qu’il n’était pas davantage Mitterrand que César ou Auguste, les fonctionnements originels d’une République taillée sur mesure pour l’Ennemi public n° 1 d’une France qui, à l’époque, n’avait pas pris le temps de se dénazifier.
Depuis combien de républiques entendons-nous syndicats et partis d’opposition, généralement issus de l’extrême gauche ou de la gauche extrême, reprocher aux exécutifs l’amalgame et l’opprobre qu’ils jetteraient indistinctement sur les manifestants et les casseurs? Pendant combien d’années vont-ils encore nous bassiner avec ce noyau dur des Black blocs, groupement anarchiste dont le masque noir n’est pas sans rappeler le style national-séparatiste qui, non sans une bonne dose d’opportunisme*, infiltre la première manif venue sans réellement en embrasser la cause? * Mot d’ordre : générer autant de désordre que possible, si possible avec l’aide d’une fraction bougonneuse qui se laissera toujours attirer dans la spirale protéiforme des phobies. Benalla était-il chargé par la Présidence d’initier la Police nationale aux méthodes de la Milice, ou prenait-il tout seul, comme un grand homme, la décision de débloquer un mécanisme pervers dont les adversaires de la République se faisaient les complices, nous condamnant à nous échouer sur la baie ogivale d’un sablier mouvant? Déjà là sous Aubry, le visage du sans-nom avait été aux premières loges pour assister, à chaque débordement, au tournoi de ping-pong des professionnels de la déresponsabilisation réciproque, ceci ayant pour effet — escompté? — d’entraîner l’escalade foudroyante des degrés de rébellion et de répression. À ce qu’il paraît, c’est aux organisateurs d’une manifestation que revient l’obligation de circonscrire les commotions citoyennes, or chacun aura pu apprécier leur embarras face à ce type de phénomène; à leur décharge, il n’est pas évident d’incarner une opposition à l’ordre établi tout en se chargeant de faire respecter l’ordre. Alors, on intervient du bout des doigts, l’air franchement dégoûté, menaçant mollement comme ces pères qui redoutent de traumatiser bébé en l’empêchant de bastonner ses camarades de crèche, pas crédible pour un sou, trop copain, ou plutôt juste ce qu’il faut pour ne pas courir le risque de conférer à l’événement un caractère pacifique qui donnerait l’impression que tout s’est bien passé au royaume du Méchant. Macron n’a pas attendu d’être assis dans le fauteuil du trop bon Président pour topographier son palais de conte de fées au point d’en pouvoir dessiner à main levée les moindres rouages. L’une de ses obsessions concerne ces grains de sable si incrustés dans le mécanisme d’horlogerie de la Ve République qu’on leur en attribue le format hypnotique du nimbe des institutions. L’extrême centre n’a aucune intention d’oublier qu’il doit sa victoire à la promesse, faite à la France dégagiste par les deux vainqueurs du premier tour de la présidentielle, de dissoudre la République du duel. EM continuera donc d’interdire à la circulation la ruelle à double sens du bipartisme. Il ne permettra pas que l’on ferme les yeux sur des ratonnades maquillées en opérations de reconquête républicaine ou qu’on se les crève en racialisant la sûreté d’un État de droit qui, somme toute, n’aurait fait qu’appréhender, sans qu’une paralysie idéologique ne soit venue les envahir, des agresseurs professionnels d’origine étrangère. Le 1er mai 2018 n’était pas un 1er mai comme les autres. Il fêtait là un double anniversaire, et l’ébranleur du sol républicain n’était pas décidé à calmer ses ardeurs sous la pression d’une messagerie jovienne, préférant peaufiner l’ouverture des célébrations du bicentenaire de la révolution antibourgeoise par un départ de feu. Parachuté sur les lieux du blocage, clandé parmi des policiers se plaignant qu’on les ait engoncés dans le viseur de la justice, Alexandre Benalla fut investi ou s’investit lui-même de la mission de décoincer le système de manière proactive. Derrière les barreaux d’une échelle dévaluée, le chef de notre État aura désormais tout le temps de méditer sur le quotient inhibiteur d’une société conservatrice appliqué au désimmobilisme qu’il cherche à instaurer.