Emmanuel Macron,

J’ai milité pour vous. J’ai tracté sur les marchés. J’ai collé des affiches sur la façade en travaux du siège de la BNP manquant de me faire faucher par un conducteur fou. Plus grave encore, j’ai subi les quizz idiots niveau CP, les réunions bidon, les mails à apprendre par cœur pour diffuser la «sainte pensée». Bref, j’ai adhéré à la Macronie. Une poule pondeuse de Playmobils identiques avec casque antibruit et œillères fournis avec la carte du club des ravis de la crèche.

J’ai convaincu des retraités, des mères de famille, des étudiants, des gens intelligents et des stricts cons. La pluie, les crachats, et pire, l’indifférence, rien ne m’avait rongé le moral. Sur l’asphalte je vantais vos mérites, plus encore parfois que sur la photo de campagne où vous sembliez aveuglé par vos flamboyants soleils d’Austerlitz.
Je pensais qu’on menait une croisade contre l’extrême droite. Quelques jours plus tard ma déception est tombée comme un couperet. Vos sbires m’ont épuisé avant de m’abuser. J’ai cru en vous car il ne restait que vous. C’était une hérésie.
– Tu seras prof, tu gagneras rien, tu n’es qu’une merde, moi avec l’école de commerce, je me ferai 5K euros/mois ! me jetaient à la gueule la majorité de vos militants lorsqu’ils apprirent que comme vous je voulais devenir écrivain.
A défaut de zarathoustristes, ainsi parlaient les macronistes.

Deux mois plus tard, avant le premier tour de l’élection présidentielle, on sélectionnait déjà les journalistes qui, une fois leur interview terminée, pliaient bagage à toute vitesse par peur de se faire sermonner par votre service d’ordre. Vos QG étaient devenus des bunkers.
– Si tu parles aux journalistes, on te pète la gueule !
Quatre gaillards aux avant bras musclés, probablement autant que leur casier judiciaire, m’avaient intercepté dès l’entrée du café où le débat télévisé ne tarderait pas à commencer. J’avais eu le tort de dire trois mots sympathiques sur vous au micro du Petit Journal. Ma copine qui devait me rejoindre est arrivée en retard. La pauvre, me dis-je aujourd’hui, elle avait milité pour moi par amour (oui, je sais que ce concept constitue pour vous une aberration).
– On devrait peut-être se casser. T’as déjà donné niveau cassage de gueule. Franchement, ces types ont l’air louche.
Un quart d’heure de harcèlement par le service d’ordre d’En Marche disséminé dans le bar comme des mines antipersonnel.
– Tu es fiché S ici.
Un terroriste, carrément. Sous la protection d’un agent du service d’ordre, le militant m’avait lancé ça. Accoudé au zinc, il sirotait un Get27.
– Comme Gainsbarre, dis-je.
– Je ne connais pas trop Gainsbourg, me répond-t-il.
– Si Foucault vous voyait, il développerait sûrement de nouvelles théories, quelque chose comme la soumission aveugle au pouvoir par un être dépourvu de cerveau.
– T’es même pas au courant qu’il présente plus Qui Veut Gagner des Millions toi ! Casse-toi, avec tes cheveux de clodo, fiché S !
Il déploya un rire méprisant et entraîna dans son élan Monsieur Muscle. J’ai abdiqué. J’ai rejoint le sous-sol.
Au milieu de la fosse commune, on déifiait Jupiter, des hurlements extatiques qui couvraient le son à fond que crachaient les dizaines de haut-parleurs qui pour l’occasion avaient été parés de drapeaux bleu-blanc-rouge s’agitant sous le souffle de l’air conditionné. Et moi, à travers sa base, le Neymar de la politique m’humiliait de tacles à vous causer une rupture des ligaments croisés. Macron paradait sur l’écran tandis que ses militants m’insultaient. Puis ce fut au tour du pupitre suivant.
Le sourire de Philippe Poutou sur l’écran géant ne m’arracha aucune compassion. Même l’image de François Fillon qui d’ordinaire m’exaspérait me fit l’effet d’une tasse de tisane Nuit Calme. Et puis encore Macron. Et tous ces gens qui applaudissaient quelqu’un qui ne réveillait que la pire partie d’eux-mêmes : le rejet et le mépris. Je suis remonté au rez-de-chaussée. Leila m’a suivi dehors. Un journaliste déprimé fourguait son matos dans sa Kangoo blanche qui s’ébranla et peu à peu s’éloigna sur la rue Lafayette tandis que nous la traversions.

 

Après un kir au Régent nous sommes allés nous gaver de pizzas rincées allègrement par des litres de bière.

– Je n’aurais jamais dû aller là-bas, dis-je affalé sur mon canapé-lit en gobant une olive que j’avais préalablement écrasée par mégarde sous ma semelle.
– Tu ne pouvais pas savoir, me répond Leila.
– Tu vois cette olive ?
– Oui, c’est dégueulasse ce que tu viens de faire.
Une moue amusée, elle haussa les épaules en découvrant les paumes de sa main en signe d’interrogation.
– L’olive c’est nous. Mon estomac c’est Macron. Ce type broie. Il dissout. Il sélectionne. Le problème, ajoutais-je, c’est que l’estomac humain est là depuis des millions d’années… Et lui…
– Bon… Je vais me coucher. Je suis saoule… On parlera demain…
Leila s’était déjà endormie. J’ai attrapé un livre sur mon étagère. Un Raymond Carver dont les personnages me faisaient un peu penser à moi. J’ai continué à lire Les Vitamines du Bonheur jusqu’au milieu de la nuit. C’était un acte gratuit. Je ne suis même pas foutu de faire une école de commerce et de gagner 5k/euros par mois, bon qu’à lire et – plus rarement – à taper une prose qui laisse à désirer sur mon vieux PC, me dis-je avant de m’endormir à mon tour comme un con.

 

Au réveil, groggy, j’ai shooté les cadavres de bières qui ont valsé sur le parquet comme des quilles. L’appartement avait été saccagé, plus de livres sur mes étagères. En me brossant les dents j’ai dégueulé. Des litres de vomi corrosif qui ont fait virer le bois clair au brun, les parquets de mauvaise qualité s’usent pour un rien, ils se boursouflent et parfois sautent comme les cautions que les propriétaires gardent dans leur poche. Le pourboire que le jeune pauvre doit à son riche ainé.
Ensuite, j’ai glissé. Ma tête a pu heurter le coin de la table basse en fer-blanc ou celui de la commode Ikea. Je me suis vautré quelque part dans mon palais de pré-trentenaire…

 

***

 

Sur l’écran de télé, le Hachis Parmentier se désagrégeait pour s’abattre comme des météorites dans les assiettes des enfants (vous êtes vendeur, vous brillez comme le crâne de Mr Propre, Manu, vous méritez bien une coupure de pub Lidl). Il a coulé jusqu’à la prise du secteur et, dans l’explosion, la viande délitée a emporté votre image à peine revenue en ouverture du journal télévisé. Il y eut une étincelle, et des étoiles filantes. Mon sol brûlait. La fumée noircissait mes murs de suie, puis mon plafond, puis le studio tout entier. J’ai jeté une bassine d’eau sur la télé dont le plastique coulait comme du pétrole s’échappant d’une gigantesque cuve. J’y ai laissé mes chaussettes engluées dans la flaque visqueuse. Une fois les fenêtres ouvertes et la fumée disparue j’ai constaté que c’était comme si on avait repeint le salon en noir. Nous étions en plein jour mais il y faisait nuit. Le désavantage d’habiter plein nord…
– Vous êtes allumés ici ou quoi ? lance un camé qui passe sous mes fenêtres.
– En quelque sorte.
– Salut Gainsbourg !
– Quoi ?
– Même salon ! dit-il en frappant son doberman avec la ceinture cloutée qu’il balançait comme un encensoir.
Son chien titubait à présent comme son maître. Un bus les élimina de mon champ de vision.

La couverture était tombée au pied du canapé-lit charbonneux. Leila n’était plus là. Un circuit imprimé cramé avait pris sa place. Elle avait dû rejoindre sa mère, ou une copine, c’est souvent ce que les gens font après une mauvaise soirée. Perdu pour perdu, j’ai ouvert le frigo, peut-être y trouverais-je une Heineken qui me remonterait le moral. Mais non. Il n’y avait plus qu’un morceau de pizza séchée qui grelottait dans le bac réfrigéré.
Pendant ce temps-là, me dis-je avec envie, une riche héritière devait hésiter entre la suite royale du Majestic de Cannes ou un séjour plus proche du peuple à l’Ile de Ré. Ou peut-être les deux. Oui, elle choisirait les deux. L’ablation de son ISF lui avait rendu ses vingt ans, parce qu’elle le valait bien.
– Une marque pour le lumpenprolétariat.
Elle avait lu un extrait de Marx une fois dans Elle. Elle avait si peur de la gauche que par superstition elle s’était résolue à habiter un hôtel particulier rive droite. Elle avait imputé son récent mal de dos à l’état pitoyable de son matelas dans lequel dormait un million d’euro en grosses coupures.

– Je donnerais mon matelas au secours catholique. Mon million ira à 30 millions d’amis.

La pub en 4X3 du métro sous laquelle dort chaque nuit un clodo malade l’avait ému un jour où pour cause de grève des taxis même les clients titulaires d’un abonnement en étaient réduis à se frotter à la France des feignants.

– 33 333,33 € par chien, c’est raisonnable non ?

Alors qu’elle faisait un sort à la deuxième bouteille de Château Margaux Mireille hocha la tête avec la désinvolture de celui qui passe la salière à son voisin de table.

C’était une amie de longue date rencontrée chez Hommes et Femmes de Valeurs, une association d’actionnaires amateurs désœuvrés.

– Les caniches font quand même moins d’histoires que ces imbéciles qui prennent des Radeaux de la Méduse pour traverser la Méditerranée, Nom de Dieu, s’ils n’ont pas de bons bateaux, qu’ils prennent l’avion !

– Parfaitement, rajouta Mireille. L’été c’est terrible pour les chiens. Comment peut-on abandonner sa petite boule de poils ? Ces gens-là n’ont aucun cœur ! conclu-t-elle en caressant son Spitz nain avec tout l’amour du monde.

 

 

Le Château Margaux imaginaire m’avait déshydraté si bien que le lac Léman tout entier n’aurait pas suffit à étancher ma soif. Je me suis précipité dans les escaliers. Au rez-de-chaussée, ma gardienne m’a souhaité une bonne journée. C’est vrai qu’elle était belle cette journée. Le soleil faisait bouillir le rosé aux terrasses.
– Vous me paierez tout à l’heure.
J’avais oublié ma monnaie. Je sortais de l’épicerie en avalant d’un trait la bouteille de jus d’orange dont Hamed m’avait fait crédit.

 

Emmanuel Macron,

Vous n’existiez plus. La suppression de votre image m’avait coûté ma télé et la caution de mon studio. Pourtant, un élan de joie me faisait sautiller dans la rue. La librairie d’à côté vendait des livres à tour de bras. Les vieux appuyés sur leurs canes obstruaient le passage des poussettes conduites comme des motos de course par de vigoureux bobos.
J’ai pénétré timidement dans cette quincaillerie qui me paraissait pourtant avoir été remplacée récemment par un magasin de prothèses auditives.
– Qu’est-ce que vous me conseillez ? demandais-je au jeune libraire Baba Cool qui portait aussi mal le sarouel que ses lunettes rondes à monture rouge.
– Cette année, sans aucun doute, nous avons un bon millésime. Regardez donc ! Des grands crus !
Quelques livres policiers se tiraient la bourre avec «Vivre sa vie sereinement», «Le bonheur : mode d’emploi» et «Je t’aime à en mourir».
– Heu… Mais vous n’avez pas autre chose ?
– Il y aurait bien un livre sur les migrants et puis aussi… Mais chut, reprit-il, ils sont interdits depuis deux ans…
– Interdits ? Y-a-t-il autre chose ici ?
– Ah… Je vois… Un livre… Comme ceux d’avant ? répond le fumeur de shit de libraire.
– Oui… J’ai besoin d’une énergie vitale à la Bukowski !
– Pas en France Monsieur. Mais je peux vous faire un prix sur un best seller qui traite du Ying et du Yang.
– Un prix ? Mais… Vous avez le droit ?
– Monsieur ? Vous allez bien ? La loi sur le prix unique a été abrogée il y déjà trois ans !
– Oui, j’ai juste un peu mal à la tête…
– En quelle année vous vivez ?
– En 2018, pourquoi cette question ?
Il pouffa.
– Vous me faites rire. Si c’est une caméra-cachée dites-le tout de suite… Si c’est le cas, dépêchez-vous… Le patron n’aime pas ça, les gens qui se renseignent trop… Il dit que ce sont toujours ceux qui repartent les mains vides… Il faut faire du chiffre ici, glisse le vendeur la tête baissée, sans doute craignait-il que la caméra de surveillance ultramoderne ne lise sur ses lèvres.

– Et là bas, fis-je, mais pourquoi toutes les couvertures sont les mêmes, on dirait des paquets neutres, comme pour les clopes…
– Ah je vois, vous devez être l’inspecteur ! Bienvenue, et excusez-moi de la méprise, vous voyez ici nous sommes en règle, tous nos livres sont validés par le conseil d’éthique. Je suis libraire d’Etat. Vous voulez voir ma certification ?
– Je ne suis personne.
– Avec toutes les conneries qu’on raconte sur Internet, vous imaginez un peu si des petits rigolos se mettaient à les écrire. On applique la loi ici. Alors, la réserve, là-bas, et puis derrière le comptoir, premier tiroir, il y a le registre, mais tout est informatisé, si vous désirez y jeter un œil le mot de passe est…
J’avais claqué la porte de la boutique avant la fin du laïus. J’avais encore soif. Du jus d’orange encore, avec quelques chutes du Niagara de Rhum.

 

***

 

Je me suis souvenu de l’accident en traversant la rue Lafayette. Un flash. Un platane. Un fossé. Puis plus rien. Classique.
– Vous avez beaucoup dormi… On aurait dit que vous rêviez…
Un homme en blouse blanche inspecta mes yeux avec sa lampe de poche rétinienne. Il déclara solennellement à une jeune femme au teint mat : «Votre ami est définitivement sorti du coma».
– Leila ?
– C’est moi.
Elle me déposa un baiser.
– Les derniers examens montrent que le virus dont vous souffriez est désormais indétectable. Grâce aux derniers traitements vous allez vivre encore longtemps.
– Mais quel virus ? C’était un accident de voiture !
Leila explosa de rire.
– Vous avez seulement perdu connaissance, idiot ! On vous a mis sous anesthésie générale pour opérer la mâchoire. La Macronite aigue se soigne très bien aujourd’hui. Oui, votre copine m’a tout expliqué. Amoxicilline et Efferalgan codéiné pendant quinze jours. Allez, hurla l’interne, lève-toi et marche !
– Marcher ? Pourquoi pas. Mais enlevez-moi ce point d’exclamation que je ne saurais à nouveau subir. Je n’ai plus de leçons à recevoir de ces types qui avec le courage d’un Stakhanov chaque matin se lave le cerveau en même temps que les oreilles afin de pouvoir à nouveau parler des courageux travailleurs français dont ils se moqueront le soir même devant un verre de Bordeaux. Je n’ai pas besoin d’eux pour livrer mes pizzas. Ni participer aux diverses formations professionnelles qui ne souhaiteraient pas même infliger à leur chien. J’aimerais seulement leur dire que s’ils méprisent aussi les profs, les écrivains, les philosophes, les cinéastes, les chercheurs, et quelques autres indignes de leur considération, ce sont aussi les Lumières qui ont fait de la France une grande nation.

– Vous n’avez qu’à écrire une lettre. Allez, sortez d’ici. Vous qui vous targuez d’être un grand humaniste, vous ne monopoliseriez quand même pas un lit qui pourrait accueil dans l’instant un homme victime d’un infarctus ?

 

 

Salaud d’anesthésiste, me dis-je. J’aurais tout de même pu faire un autre rêve non, un truc plus joyeux, pas une marche funèbre mais des vacances à la Réunion avec Leila, une partouze saphique, quelque chose comme ça…
Ou alors…

Moins frivole, imaginer un communiqué de presse qui annoncerait que finalement tout ça n’était qu’une farce destiné à sensibiliser l’opinion publique aux fake news. Dans les bureaux privés de la Compagnie Rothschild, aurait écrit mon journaliste imaginaire, le loup continue à saigner les brebis victimes du capitalisme, caissières et autres illettrés, mais personne ne connaît son existence. On l’avait trouvé «plausible», dans le rôle de Président. Entre Hamon, Fillon, Mélenchon, son nom a fini de convaincre tous les rédacteurs en chef de France et de Navarre.
J’aurais alors commencé ma lettre autrement : Monsieur le cadre supérieur (banquier est un mot si galvaudé…), vous emmerdez le monde en secret, un peu comme la plupart des gens, à leur façon, ce qui, en un sens, est plutôt sain.

Monsieur le cadre supérieur, aurais-je repris, vous ne condamniez pas publiquement ce ramassis de couillons, ces minables qui peuplent les PMU, ces ados qui passent leur maigre existence à faire des études de marché sous les balles, les viols et la torture, afin de rejoindre l’Angleterre.
Monsieur le cadre supérieur, votre France se serait cantonnée à un vaste bureau sous lequel un minibar rafraîchit en permanence un Dom Pérignon pour parer à toute éventualité, et les allocations, ce pognon de dingue que vous n’auriez jamais versé qu’à vos actionnaires, aucun Français ne vous l’aurait réclamé. Encore moins ces migrants, parfois bardés de diplômes (certains en ont plus que vous). Ils ne seraient pas venus toquer à votre porte, vous leur serreriez peut-être la main sans le savoir en ce moment-même au cœur de la City. Lors de vos déjeuners d’affaire vous ne leur parleriez pas de la bibliothèque de votre grand-mère mais de taux de rendement immobilier, des cours du pétrole, de warrants, et j’en passe.

Mon anti-rêve s’est achevé. Je retourne au métro, aux clodos, aux assistés, et aux livres, ultime perversion à laquelle je m’adonne chaque jour, Monsieur le Président de la République. Je ne touche même pas de droits d’auteur. Je suis donc un parfait idiot. Je ferais mieux d’aller livrer des pizzas à l’heure qu’il est mais je me suis mis en arrêt maladie pour écrire cette petite missive, car je sais que lorsqu’on n’a plus grand-chose, il y a toujours un livre qui traîne. Même en Corée du Nord. Alors ne tuez pas les auteurs. Ces écrivaillons qui ne pensent qu’à bouffer eux-aussi.
Eh bien oui après tout, s’ils n’ont pas de pain qu’ils ravalent leurs mots, qu’ils ne les publient plus, que les rotatives des imprimeries s’arrêtent, vous nous trouverez bien une startup magnifique qui transforme le papier et l’encre en Bitcoins. Nos mots vous heurtent, mais s’il vous arrive d’en lire parfois souvenez-vous que la bibliothèque de votre grand-mère en était si pleine que, sans vous qui l’allégiez chaque jour pour la dévorer, elle se serait probablement effondrée sur un de vos amis d’enfance trop idiot pour ne penser qu’à baffrer son Nutella de prolo.

 

***

 

Monsieur le Président de la République, vous déboulonnez les installés et fusillez les vocations qui ne demandent qu’à éclore. Ecoutez «les écrivains en colère», et aussi tous les autres : rencontrez-les, parlez avec eux, et avant de leur apprendre les bonnes manières devant une caméra de télévision, arrêtez de les mépriser, de les écraser à pieds-joints comme une bouteille en plastique vide qu’on s’apprête à foutre à la poubelle.

Dites-vous toujours que vous appartenez à un collectif plus fort, plus grand que vous : la nation française.
Non, Emmanuel Macron, la France n’est pas une équipe de foot dont vous seriez le capitaine. Nous appartenons à ce que à quoi nous aspirons appartenir. Nous avons le droit d’aimer la France. Nous avons le droit de la haïr. Nous avons le droit de nous offrir un cancer du poumon prématuré par hyperventilation sur le vélo que Deliveroo ne nous a même pas prêté pour livrer les tagliatelles au saumon des riches. Si nous préférons dealer, nous irons en prison. Si nous voulons devenir Allemands, Américains, ou Africains, nous pouvons essayer de changer de nationalité. Si nous préférons vivre dans un roman, nous oublier dans un Nocturne de Chopin ou devant la plus abêtissante des séries, nous en avons aussi le droit.
Nous pouvons mettre tout ça au-dessus de la nation française si c’est notre souhait. Nous avons même le droit de vous détester. Nos droits sont illimités. Vos phrases sont une insulte à l’Homme, et à la première devise de cette nation, la liberté. Alors, au moins laissez-nous rêver. Laissez-nous choisir. Nous ne sommes pas des boites de chaussures qu’on range par taille, par couleur, et par prix dans un rayonnage.
Vous l’avez eue vous, votre chance. Acceptez que d’autres en aient un centième. Un millionième même suffira.

 

 

Dommage que le cadre supérieur dont j’ai un instant essayé de brosser le portrait ait disparu. Vous êtes un mirage que j’ai vu au fond du tunnel de mon pseudo coma. Vous êtes un mirage tout court.
– Tiens !
Leila m’avait balancé un gros pavé jaune poussin.
– C’est quoi ?
Elle soupira.
– Un livre, mon pauvre.
– Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse ? Que je l’offre à un clochard-poète ? Un livre, ça n’a aucune utilité, y’a que la thune qui compte. 5K€/mois… 5K€/mois J’en suis sûr. Sûr. Sûr. répétais-je.
L’air inquiet, l’interne sortit à nouveau sa lampe rétinienne : «Ho, dit-il, ce n’est qu’une petite rechute, demain tout sera terminé.»
– Dans la vie, on n’est jamais sûr de rien, me répond Leila.

De rien du tout, Monsieur le Président de la République. Un jour vous nous offrirez peut-être une croissance de 10%. Mais 10% de rien, Monsieur le Président de la République, sera toujours égal à rien.

 

Ps :
1. Si vous pouviez un jour recevoir les «auteurs en colère» et tout ce qui s’y apparente, je vous promets de soudoyer quelques électeurs pour les Européennes.
2. IMPORTANT. Si vous continuez à bombarder ma boite mail avec vos imbécilités, je serais bien tenté d’écrire une série, et par conséquent, un épisode par mail reçu. (Depuis que sa femme l’a quitté, le directeur de la pizzeria où je travaille me passe tout, il n’exige même pas de certificat médical. Avant d’être un con, c’est un homme meurtri, ce n’est pas bien, mais je pourrais en profiter afin de me dégager du temps libre pour écrire encore sur vous ! Ne me tentez pas, ou mes mots vous croqueront !)

On repassera pour les politesses, et la bienséance censée clore une lettre lorsque vous l’aurez inculquée à vos militants surdiplômés.

 

***

 

Monsieur le Président de la République, souffrez d’un épilogue minuscule avant que je retourne à mes pizzas…

Ai-je besoin d’être sorti major d’HEC pour vous parler ainsi ? Je réponds par la négative sans vous demander votre avis qui ne m’intéresserait que si vous preniez en compte celui d’une partie de vos congénères qui, comme moi, se sentent asphyxiés par le gaz de Jupiter.

Comme tant d’autres, je n’ai que le bac, sublime tout de même par sa miteuse rétroactivité. Alors, dans dix, quinze, vingt ans, si je commets le crime d’enfanter à l’aide de ma semence personnelle gorgée de gènes aussi minables que votre politique, je dirai à mes cancres de rejetons:

«Mes enfants chéris, n’écoutez pas ceux qui représentent la République, vous n’êtes pas une statistique : voyagez, rêvez, baisez, allez partout ou nulle part, soyez bons, soyez mauvais, soyez vous, appréciez l’existence ou détestez-la, si un jour vous vous prenez pour la galaxie toute entière, croquez-là à pleine dent, ceux qui vous dirigent ne s’en sont pas privés. Un jour, au crépuscule d’une révolution où les cannes feront des croche-pieds aux déambulateurs, pensez aux corps des enfants qui au lieu de jouer à cache-cache avec les poissons-chats de la Méditerranée auraient bien pu trinquer avec vous à la santé de la France, un pays que j’avais tant aimé avant qu’il ne s’éteigne peu à peu bien avant que le soleil en fasse autant dans cinq milliards d’années.»