Il y a parfois de curieux hasards…
Au lendemain de la défaite de la Nationalmannshaft, on s’envole tôt le matin pour Berlin. Objectif : un reportage à paraître à la rentrée dans l’Officiel Hommes, sur le mythique studio d’enregistrement Hansa. L’endroit, entouré d’un épais mystère, constituait jadis la tanière de David Bowie, le refuge préférentiel de sa fameuse trilogie berlinoise. HansaTon Studio, ex salle de bal SS reconvertie en lieu de création rock et décadent. «Un avant poste de la civilisation» avait-on alors coutume de dire en observant, par la fenêtre, le mur qui scindait en deux la capitale allemande.
En ces lieux, Bowie et son fidèle compère Iggy Pop enregistrèrent plusieurs albums demeurés mythiques : The Idiot, Low et Heroes. Par la suite, Nick Cave, Nina Hagen, REM, U2, Siouxie ou Moby, leur emboîtèrent le pas, contribuant à écrire certaines des plus belles pages de l’Histoire du rock. C’est dans ce Berlin oscillant constamment entre passé, présent et futur que nous nous plongeons la tête la première.

Il faut sentir l’atmosphère de la Potsdamer Platz pour mesurer à quel point l’Histoire s’écrit souvent à Berlin. Celles des victoires retentissantes et des cuisantes défaites, celles des triomphes qui engagent pour les siècles à venir et des débâcles qui meurtrissent pour longtemps…
Ce matin-là donc, à «J+1 après le marasme», la porte de Brandebourg pourtant baignée de soleil faisait grise mine. La sélection nationale allemande se trouvait platement éliminée d’une Coupe du Monde pourtant largement à sa portée. Une cuisante défaite 0-2 à l’occasion du dernier match de poule contre une Corée-du-Sud déjà éliminée et voilà les champions du monde KO ! Impensable dans un sport où, selon l’adage «un match dure 90 minutes et à la fin ce sont les Allemands qui gagnent»… Et pourtant ! Avec malice et ce sens de l’Histoire à l’esprit, un journaliste de l’Equipe écrit : «mieux vaut être allemand en 14 qu’en 18». Comprendre : en 2014 (lorsque la Mannschaft remportait le Mondial) plutôt qu’en 2018 (année d’élimination). C’est juste. Et cela rappelle au passage combien les victoires et les défaites sur le carré vert du voisin teuton on un effet sur l’opinion française. Au soir de la défaite, Jean-Luc Mélenchon tout à sa détestation merkelienne, se fendait d’un tweet neuneu : «Joie pure : la Mannschaft est éliminée. Trop forts les Coréens.» Ce n’est pas lui qui tweete puisque, de son propre aveu, il ne connaît rien aux choses du football. Simplement sait-il que suivre les passions populaires ne peut pas lui faire de mal. Et peut être même lui rapporter quelques voix, qui sait ? Le même Mélenchon, sur Instagram, nous servait une leçon d’insoumission comme rarement vue. En story, on voyait le leader de la FI savourer une bière pour fêter la défaite allemande. Moment à la fois irritant et amusant. Et derrière tout cela, disons-le bien : le retour aux passions vulgaires et à l’exaltation de la fibre populiste. Dommage…

Revenons au jeu puisque c’est bien cela qui importe. On pourra gloser longtemps autour des raisons de l’élimination de Manuel Neuer et sa bande. La lassitude du sélectionneur Joachim Low ? Un effectif trop habitué à la victoire, jouant sur un rythme de sénateurs ? L’absence de cadres charismatiques, Lahm, Klose et Schweinsteiger notamment, partis en retraite ? Les mauvaises performances de maître à jouer paresseux parmi lesquels Mesut Ozil et Ikay Gundogan, trop occupés à rencontrer le dictateur Erdogan au lieu de préparer leur Mondial ? Certainement tout cela en même temps. Dans quatre ans, on l’imagine, la sélection allemande reviendra avec un fol appétit de victoire. Elle figurera naturellement parmi les favoris. Mais pour l’heure, les supporters et la presse sont dégoûtés.
En passant par un kiosque près de Charlotteburg, on lit ainsi les titres sévères des journaux : «Das Debakel», «Ein desolater Weltmeister» ou encore «RAUS ohne Applause» ! Les Allemands sont déçus, c’est peu de le dire. Ils retirent les nombreux fanions des vitrines et façades d’habitation. La suite de la Coupe du Monde, le regret au coeur et les yeux vides, c’est à la télé qu’ils la regarderont…