Sait-on bien qui est le principal agent d’influence de Vladimir Poutine en France ?

C’est une dame. Cette dame appartient à l’Académie française. Elle en est le (la) Secrétaire perpétuel(le), en charge des quarante Habits verts qui siègent sous la Coupole. Elle se nomme Hélène Carrère d’Encausse. Si l’on ne craignait de lui manquer de respect, on devrait plutôt dire d’Encaustique, tant dans un entretien au Figaro du 17-18 mars, cette zélée compagnonne de route du Kremlin embaume de considérations lénifiantes l’empoisonneur en chef de la Russie, Vladimir Poutine.

Cet entretien à l’encaustique est un chef d’œuvre de casuistique, tissé d’un bout à l’autre de sophismes, de minimisations doucereuses, où les tares du régime sont quasiment mises au débit de l’Occident, si intransigeant avec cette pauvre Russie-qui-n’a-pas-nos-critères que l’importunée finit par se braquer et, avec sa démocratie-trop-récente finit par commettre des actes peu orthodoxes mais bien compréhensibles et finalement bénins quand on les compare au redressement national opéré depuis vingt ans sous l’égide de son inspirateur en chef.

Un autocrate, un nouveau tsar, ce cher Vladimir ? Allons donc ! Des élections présidentielles, vous dis-je, et rien de plus démocratiques. Pas un mot sur les fraudes massives à répétition, sur l’opposant Navalny empêché de se présenter, sur l’assassinat à l’ombre du Kremlin de Boris Nemtsov, en 2015. Et si l’homme Poutine, Dieu merci, est à poigne, c’est que, lors de son accession au pouvoir en 2000, la Russie était en état de décomposition avancée, et que l’immensité russe – toujours elle, décidément, depuis Montesquieu…– implique, aujourd’hui comme hier de s’imposer par la force (mais chut !, mettons cela sous le tapis) à trop de peuples «disparates».

A qui la faute, plaide sans cesse l’exquise thuriféraire ?

Les révolutions de couleur en Géorgie et Ukraine, quasi des provocations aux marges de l’empire, ont brisé l’ouverture de Poutine à l’Occident.

Les interventions de l’OTAN dans l’ex-Yougoslavie pour mettre le boucher Milosevic à la raison ont «humilié» le grand frère slave.

Poutine a sauvé l’espace russe de la désagrégation en brisant la rébellion tchétchène, cette dangereuse sédition – et, depuis, l’ordre russe règne à Grozny.

Si le sabre poutinien s’appuie autant sur le goupillon orthodoxe, ce n’est pas que Poutine est un fieffé réactionnaire à la Nicolas 1er : mais c’est qu’après l’effondrement du putride soviétisme, il fallait bien un cadre idéologique sain à l’ordre social.

La dictature sur l’opinion ? L’asphyxie des libertés ? Les Russes, les premiers, préfèrent la stabilité quel qu’en soit le prix, au chaos, et Poutine répond à merveille à cette légitime attente.

Les manipulations russes sur les élections occidentales ? Les hackers d’Etat ? Ce «n’est pas une exclusivité russe».

S’il s’ensuit une sérieuse dégradation de la relation de la Russie avec l’Occident, ce n’est toujours pas la faute à la Russie mais le fait de la réaction occidentale – CQFD.

Les sanctions ? Elles témoignent du «malaise des Occidentaux devant la puissance montante de la Russie.»

Le travail de sape, de désinformation, de fake news des agences et medias russes à demeure en Occident ? «Il s’agit de développer une politique d’influence intellectuelle à travers le monde, étranger historiquement à la Russie.»

La Syrie à l’heure de la Ghouta et des bombardements massifs avec l’aide de l’aviation russe sur les populations civiles ? «Les Russes ont fait la preuve de leurs capacités militaires(…) En sauvant Bachar al-Assad, Poutine inverse le cours des événements et répète que la stabilité des Etats est l’arme la plus efficace pour freiner les progrès du terrorisme». Fermez le ban. Circulez, il n’y a rien à voir.

La corruption au plus haut de l’Etat ? «Poutine n’a pas su la réduire». Et pour cause. Comment aurait-il pu autrement devenir milliardaire ?

Enfin les empoisonnements en Grande-Bretagne et leurs commanditaires ? «Impossible de se prononcer avec certitude».

Indigence de la pensée, cynisme intellectuel, défense jusqu’auboutiste de la voyoucratie poutinienne. Passons.

Il semble que les Occidentaux, qui ont toléré l’occupation du Donbass, la mainmise sur la Crimée, le martyre de la Syrie, autant de violations sanglantes de l’ordre international, finissent par ne plus supporter les exactions poutiniennes, quand elles se produisent «à domicile» à coup de poison vaporisé en plein milieu urbain.

Que le satrape du Kremlin commette ses crimes dans son pré-carré et au-delà, au Moyen-Orient compliqué, passe encore. Le munichisme, là, joue à plein. Mais chez nous, pas de cela Vladimir !

On verra bien jusqu’où ira la réaction occidentale. Fermeté ? Atermoiement ? Va-t-on, après quelques manifestations d’humeur, composer, passer une fois de plus l’éponge, au nom de l’incontournabilité de la Russie dans le concert international ?

En tous cas, une chose est sûre. On trouvera toujours sur les bords de la Seine, de la Tamise et ailleurs des parangons de l’autocratisme russe pour nous convier, forts de sa bénédiction intéressée, à l’acceptation de la différence «ontologique» de la Russie avec l’Occident et ses valeurs, à la négociation à reculons avec les ours du Kremlin et à l’abaissement de nous-mêmes.

 

Un commentaire

  1. Poutine vient d’emporter par un plébi-scite (le trait n’est pas casuel) le préstigeux titre de «Rodina Vojd», guide de la Patrie, dont se glorifiaient ses multiples prédécesseurs et maîtres, l’équivalent de l’allemand Führer, de l’italien Duce ou de l’espagnol Caudillo. On est loin du seul charbonnier maître chez soi, le Vojd est monté en puissance, a su s’externaliser et fasciner tant à l’est qu’à l’ouest.
    La propagande du régime, le matraquage médiatique, les exhibitions des muscles et force, tantôt à la pêche tantôt à la chasse ou encore aux commandes d’un avion bombardier stratégique, les tonitruantes déclarations d’un retour à la volonté de puissance, couplée d’une défense des racines, des traditions et valeurs de l’âme russe, ont su forgé cette image de guerrier, d’homme fort et autoritaire, de protecteur du peuple russe.
    « Poutine est supérieur, il sait prendre les bonnes décisions et il est là pour nous protéger » est désormais largement acquis et partagé par la population.
    Il lui faut bien un ennemi pour conforter ce culte et lui garantir la réélection. Ceux qui ont représenté un réel danger ont été éliminés, à l’intérieur comme au delà. La Géorgie, l’Ukraine, la Crimée, la Syrie de Bachar el-Assad sont autant de champs de confrontation avec les honnies démocraties occidentales et qui ont contribué au retour de la guerre froide.
    «Nous avons la culture des dirigeants durs et autoritaires et Poutine est de ceux-là, il ne recule devant rien», c’est la grande affirmation de cette élection pilotée, un enjeu majeur pour les valeurs universelles, de liberté et droits, dans les années à venir.