Il y aura d’autres cessez-le-feu à la Ghouta et d’autres violations du cessez-le-feu.
D’autres résolutions des Nations unies péniblement imposées par la France et allègrement vidées de toute portée par la Russie.
Il y aura d’autres enfants suffoqués, d’autres bombes au chlore lâchées sur d’autres quartiers où il restera encore un peu de vie.
Il y aura d’autres avions, et d’autres chars pour finir le gros boulot, et encore d’autres avions, et encore des spectres sanglants surgissant du milieu des ruines, et encore des enfants aux yeux éteints suppliant le monde, mais sans y croire, de leur venir en aide.
Alors, jusqu’où, ce désastre huilé ?
Cette descente générale aux enfers ?
Cette démission spectatrice, sur fond de villes cimetières ?
Ce crime sans châtiment ?
Et jusqu’à quand les salauds qui, à chaque nouveau massacre, en Europe, ont le culot de répéter, tels des disques rayés : «Il faut parler avec Assad ! Il faut parler avec Assad !»
Comme la honte semble, chez ceux-là, le sentiment le moins bien partagé, comme leur ami Assad n’a, et n’aura jamais, d’autre projet que de se jucher éhontément sur ces monceaux de cadavres afin de demeurer dans ses palais et comme l’indignation, face à ce cauchemar, ne sert visiblement à rien, on se contentera de récapituler le bilan de ces sept années de forfaiture.
1. Un pays éclaté et détruit.
2. Quelques joyaux de l’humanité, type Palmyre, vandalisés et en ruines.
3. L’ONU impuissante devant le carnage, paralysée par le veto russe, plus déconsidérée que jamais.
4. Les timides avancées, ces dernières décennies, du droit international humanitaire (responsabilité de protéger, droit et devoir d’ingérence, protection des populations civiles…) balayées par le terrifiant retour en arrière qu’est, à Homs, à Alep et, maintenant, à la Ghouta le viol systématique et impuni des lois et usages de la guerre (gazage des citadins, bombardements de civils à l’artillerie lourde, ciblage des hôpitaux, recours massif à la torture redevenue une arme de guerre comme une autre).
5. L’assassin en série Bachar el-Assad plus puissant que jamais, interlocuteur et partenaire obligé des grandes et respectables nations, retour à la case presque départ – encore un peu et on le verra réinvité à parader, bestial et enfantin, son visage cireux à peine marqué par l’épreuve de la cruauté, sur tels ou tels Champs-Élysées.
6. Un monstrueux permis de tuer délivré à tous les aspirants Bachar de la planète qui attendaient, en embuscade, le résultat du test : à notre tour, songent-ils, de disposer du droit d’assassiner nos peuples.
7. Le plus grand déplacement de populations jamais vu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (6 millions d’hommes, femmes, enfants jetés sur les routes de leur propre pays, misérables et errants, sans droits, nus).
8. Une vague de réfugiés, sans précédent elle non plus, vers la Turquie, le Liban, mais aussi, naturellement, l’Europe – et la véritable origine, par conséquent, de ce que l’on appelle hypocritement, dans cette partie-ci du monde, le «problème des migrants».
9. L’Europe, face à ce défi, déstabilisée, écartelée entre nécessité et vertu, livrée aux démons du populisme et de ses prétendues solutions.
10. L’Amérique déconsidérée, privée d’autorité, son impérialité partie en cendres et fumée dans les décombres des villes canonnées – et cela, hélas, ne date pas de Trump mais d’Obama et de sa tragique décision, à l’été 2013, de fixer une ligne rouge, de menacer Assad de ses foudres s’il s’avisait de la franchir et, quand il l’a eu franchie, de ne pas bouger, de rester l’arme au pied et de se coucher.
11. L’Iran s’engouffrant dans la brèche et réalisant, ici, en Syrie, son rêve d’un axe chiite allant de Bagdad à Beyrouth et au-delà.
12. Israël menacé, comme il ne l’avait plus été depuis longtemps, par un Hezbollah désormais à pied d’œuvre, surarmé, campant sur sa frontière, défi aux lèvres.
13. La Turquie enhardie, elle aussi, par cette divine surprise d’un Occident qui s’est, dans cette région ô combien stratégique, fait un inexplicable hara-kiri – pourquoi, dans ce cas, se gêner ? comment ne pas être tenté, aujourd’hui à Afrin, demain ailleurs, de pousser ses propres avantages ? et pourquoi les néo-Ottomans resteraient-ils de bons et loyaux élèves de la classe Otan ?
14. Poutine, bien sûr, à qui l’on offre sur un plateau un rôle d’empereur faiseur de rois, bâtisseur de paix et garant de l’équilibre régional – Poutine qui, au passage, voit se réaliser le rêve des tsars d’accéder, de manière durable, aux mers chaudes.
15. Et puis l’islamisme enfin. Daech… Al-Nosra… Hetech… Khorassan… Al-Cham… Jound al-Aqsa… Al-Qaïda… Maints noms pour une même barbarie. Mais, pour cette barbarie, une patrie principale qui est, somme toute, la Syrie. On disait : «Il faut choisir ; c’est soit Bachar soit le djihad ; on doit soutenir Bachar, car Bachar est un rempart.» Résultat : le pouvoir de Damas s’en prenant, dès le premier jour, à l’opposition démocratique davantage qu’aux fous de Dieu qu’il a tirés de ses prisons, on a eu et Bachar et le djihad, double peine et double guerre, les deux bêtes d’apocalypse se nourrissant l’une l’autre et feignant de s’entre-dévorer pour mieux sceller leur pacte crapuleux.
Il est de bon ton de s’interroger sur le coût des interventions qui n’ont pas tenu toutes leurs promesses. Voilà le bilan d’une non-intervention autrement plus sanglante et désastreuse.
Nihilisme à Goutha, voyage au bout de la guerre, écrivait André Gluksmann, au sommet de laquelle on trouve la rencontre du cynisme des assassins et la fureur des possédés, passant tous les deux pardessus les corps de 400 mille terrés en attente du jugement.
Ceux d’entre eux qui bougent encore de la fumée des gaz et des tas des gravas portent aux bras le témoignage de l’atrocité.
Nihilisme « loin des yeux », à distance, de celui qui n’a pas à s ‘en mêler et détourne le regard de l’horreur à l’écran cherchant machinalement la télécommande
Nihilisme par overdose de l’inhumanité passée en boucle dans l’espace-temps.
Nihilisme des islamistes : le paradis pour les siens et la négation du droit de vivre pour les autres, le disait aussi Sade : « vous êtes déjà morts au monde ».
Nihilisme du langage : on parle de nettoyage (du matériel humain) ce qui est extermination d’hommes, femmes et enfants.
Pour liquider ce qui reste du terrorisme islamiste le despote rase une ville, affame, viole et torture une population pour y parvenir, le disait Gluksmann à propos de Poutine en Tchétchénie. Nous pourrions passer de Grozny à Goutha et continuer encore avec Poutine et Assad sans que rien ne change.
Le nihilisme c’est de nier la persistance du mal.
L’éducation du monde est un chantier interminable, un cimetière de méthodes, que dis-je? une fosse commune, toujours pas? ah d’accord… un charnier. Précisons qu’un charnier observe le principe de conservation de la masse repris par Lavoisier au très ancien, et donc tout jeune dans notre histoire des sciences, Anaxagore de Clazomènes. Mais à quel type de masse pensons-nous quand nous interrogeons la possibilité de provoquer le soulèvement d’une masse? La masse populaire est par définition hétérogène; elle l’est socialement, et ce à proportion des prétentions qu’elle affiche à réduire sa fracture; elle peut l’être davantage encore culturellement, se fissurant ainsi de tout temps, en tous lieux de brassage ethnique voués aux entrechoquements cultuels, aux réactions de résistance face au risque d’extinction, au repli suprémacisif et, pour finir ou plutôt s’achever, à un racialisme intellectophobe confinant à l’ablationnisme. L’assimilation est une notion inhérente aux principes humanistes dits universels que les États de non-droit feignirent de ratifier au lendemain du Désastre, en échange d’une trêve renouvelable assortie d’un aveuglement global attentatoire aux droits fondamentaux. En d’autres termes, le principe d’assimilation universaliste est un contrat passé au broyeur et conservé sous forme de confettis à l’intérieur d’un coffre-fort coulé dans le béton au dix-neuvième sous-sol de la globalisation anaxagorique. Il nous permet à cet effet d’encourager l’inscription au portique du blasphème des futures élites du monde arabo-musulman, éléments essentiels d’un règlement du conflit global que nous ne voudrions pas priver d’accès au monde libre par quelque loi discriminante ayant pour objet d’interdire le voile islamique à l’université. Il ne va pas, ce grandiose, admirable, orgasmique, fulgurant, irrésistible principe d’universalisation de l’univers qui s’ignore, jusqu’à exiger des gladiateurs du Golfe qu’ils nous retournent la politesse en accueillant, chaque jour que Dieu défait, un lot de blanches odalisques, vêtues ou dévêtues selon l’humeur du jour ou de la nuit, s’empressant coûte que coûte de découvrir les charmes d’une mondialisation heureuse sans qu’on puisse les contraindre à engloutir une sombre cathédrale de dogmes dans leur haut séant. La question kurde, à l’image de la question juive, est le premier soubresaut d’une problématique identitaire négative. Les Kurdes sont pris au piège d’un compresseur. Ce compresseur c’est le carambolage des candidatures à la prise de tête de l’Oumma. Si l’anomalie d’un Kurdistan démocratique au Moyen-Orient reflète une rupture primordiale forcément sous-jacente à l’incongruité que représente l’État de droit assiégé d’Israël, que les alliés d’airain de ce vecteur d’éther n’hésitent surtout pas à s’inspirer de l’antité sioniste (formule orthographiée) en ce qui concerne les questions relevant du domaine existentiel de la paix, et plus particulièrement celle, génésique, du mal que ces derniers mâchent et remâchent comme autant de ruminants surgissant de nulle part, du moins en apparence car il faut bien qu’on prenne appui sur quelque chose, quand même la chose serait-elle intangible, pour se projeter dans les rouges pâturages. S’il est indubitable que nous ayons beaucoup à apprendre du nazisme, jamais nous ne le ferons sous un régime qui en observerait la doctrine. Quel teenager du bloc de l’Ouest ayant éprouvé un furieux désir, à la lecture du manifeste de 1948, de s’attribuer un grade d’officier dans les Jeunesses marxiennes, serait en capacité d’en produire le nectar après qu’on l’eut cloué au pilori de l’égalitarisme? De grâce, n’amorçons pas pour rien la régression absolutiste! Nous n’aurons pas cocufié nos valeurs en vain si nous sommes parvenus à disséquer le cadavre du dernier totalitarisme religieux que nous ayons eu à nous prendre en travers de l’esprit. Bien entendu, nous n’avons aucune chance de toucher au but si nous cédons un quart de centième d’ongle de pouvoir exécutif, judiciaire, voire législatif à notre ultime objet d’étude. Alors, doutons ensemble. Doutons que notre conscience de ce que fut la Shoah puisse se transmettre par le canal de l’Éducation internationale. Nous faisons trop souvent le terrible constat de l’impuissance des témoins du mal devant l’obstination que manifeste la progéniture des salauds à ne pas condamner des atrocités dont ils contemplent la coagulation à la source de leurs sangs. Or comment escompter la réaction qui devrait s’imposer face à un tel degré de déshumanisation, c’est-à-dire un repoussement alerte, franc, instinctuel, rationnellement salvateur du néant terroriste, dès lors que ce coup de hanche mystique, nous l’attendons d’une âme partiellement bienveillante réservant ses caresses et ses larmes à Pierre Laval ou Andreas Baader?