Dans son article du 02/05/2017 publié dans Marianne, Gilles Kepel souligne que la victoire de Marine Le Pen fait partie du projet djihadiste. On ne peut que lui donner raison. La présente campagne présidentielle appelle ainsi une analyse des stratégies respectives de mouvements qui ont fait le choix d’investir politiquement la religion musulmane. Salafistes-djihadistes, Frères musulmans, ils sont ennemis mais ne s’en prêtent pas moins à des jeux complexes qui les amènent à coopérer de fait. Des alliances contre-intuitives s’esquissent ainsi à la faveur de convergences d’intérêts et/ou de vues. Plus ou moins circonstancielles, elles brouillent la lecture des événements.
Dans l’entretien cité ici, Gilles Kepel évoque le projet djihadiste dont les promoteurs ont choisi de concentrer une partie de leur effort de banalisation et de recrutement sur les «quartiers». Il rappelle la «pression sociale qu’y exercent des salafistes cherchant à asseoir leur hégémonie par des codes culturels ou vestimentaires, corrélés par le chômage massif des jeunes et la prévalence des trafics».
Gilles Kepel cite dans le même article le médiatique Marwan Muhammad, un entrepreneur politique ayant, pour le pire, investi l’islam – religion prise en otage dans des visées plus temporelles que spirituelles. Marwan Muhammad est le leader du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). Il promeut donc la notion d’islamophobie. Elle est en soi un outil de destruction de la laïcité entendue comme stricte séparation institutionnelle du religieux et du politique.
Pour aussi critique que l’on soit à l’encontre de sa démarche, il est difficile de suspecter Marwan Muhammad d’être salafiste ou djihadiste. Ces derniers sont ses concurrents dans le projet visant à s’annexer une composante de la société française hâtivement désignée sous le vocable de «musulmans» mais bien plus composite qu’on ne veut le dire. Par une forme de racisme à l’envers, elle désigne tous ceux dont les origines plus ou moins lointaines seraient susceptibles de se trouver dans des pays connaissant ou ayant connu la domination «arabo-musulmane». Elle englobe ainsi des athées – assignés par une «race» qu’on leur prête – à une religion donnée.
Le CCIF et les djihadistes sont en concurrence dans leur offensive visant à amener ces «musulmans» à s’identifier strictement à une communauté dont eux, CCIF et djihadistes, seraient seuls habilités à définir les critères d’authenticité. Leur objectif est de conduire leur cible à endosser leurs idéologies et leurs projets politico-religieux respectifs. Ces Français censés être de culture islamique constituent une proie que l’on se dispute, le président du CCIF étant en très bonne place dans cette entreprise de prédation. Sa croisade visant à promouvoir la notion d’«islamophobie» bénéficie pourtant, in fine, aux djihadistes.
Le CCIF procède à l’instrumentalisation d’une aspiration présente chez certains croyants et acteurs du culte musulman, de la société civile et du monde politique français. Elle tend à faire se rencontrer et/ou unir les «musulmans» – ou désignés comme tels. Ils évoluent en effet dans des mondes très différents et parfois cloisonnés. L’exploitation de cette aspiration répond à un projet conçu pour se les annexer. Il s’agit d’utiliser cette partie de la société française dans une entreprise de transformation profonde de notre régime politique.
Marwan Muhammad cherche à réunir, dans un même récit victimaire et de manière politiquement profitable à son projet politico-religieux, tous les «musulmans» – y compris les salafistes et les présupposées victimes d’une chasse soi-disant arbitraire aux djihadistes. Le fameux slogan «Je suis perquisitionable» l’illustre de manière remarquable. Il mène ainsi un travail méthodique et systématique lui permettant d’accroître l’acceptabilité de l’idée d’ «islamophobie». Parente de celle de «blasphème», elle est mise en avant avec la volonté affichée de définir un nouveau délit.
Les entrepreneurs politiques ayant investi l’Islam – salafistes, djihadistes, Frères musulmans… – s’en prennent ainsi à la laïcité qui est un socle indispensable de notre République universaliste qu’ils ont pour projet de mettre à bas. Elle repose en effet sur la raison des Lumières qu’ils remettent en question sans s’en cacher. Ils posent par exemple avec Mohammed Arkoun son équivalence avec la «raison islamique» pour la mettre – par un tour de passe-passe très habile – en concurrence avec une très problématique «raison émergente».
Elle serait un dépassement des deux précédentes mais revient de fait à attaquer l’universalisme au profit du religieux. On ne peut qu’être scandalisé par ce procédé intellectuellement malhonnête prétendant dépasser ce qui est désigné comme étant la «rationalité des Lumières» et qui recouvre tous les acquis de la modernité, des combats en faveur des droits humains et de la démocratie. Ils sont attaqués en règle.
Mettre à bas une République qui vit grâce à la laïcité et à une Constitution qui intègre la déclaration des droits de l’homme, telle est l’entreprise actuellement menée par le biais du déploiement de deux stratégies complémentaires. La première cherche à en subvertir les valeurs et les institutions – et renvoie à la démarche des Frères musulmans. La deuxième, en attisant une conflictualité mettant aux prises des communautés que l’on a travaillé à cristalliser et à dresser les unes contre les autres, est plus spécifiquement djihadiste. Le déclenchement de violences sanglantes au sein de notre société est un un objectif prioritaire, perçu comme le stade pouvant procéder l’instauration d’un régime totalitaire.
Voilà donc deux stratégies qui amènent à collaborer ensemble les entrepreneurs politiques qui se sont emparés de l’islam et s’attaquent à la démocratie et au système politique français. Cela peut sembler paradoxal au vu de leurs grandes différences idéologiques. Leur intérêt commun est pourtant bien de voir Mme Le Pen arriver au pouvoir. Comme nous le savons tous, l’accession de cette femme à la présidence de la République attiserait toutes les divisions de la société et établirait de sanglants fossés entre populations soigneusement montées les unes contre les autres. Le bilan nécessairement cauchemardesque de sa présidence serait un déchirement peut-être durablement insurmontable de la société française. Cet effondrement politique, culturel et social risquerait alors de se transformer en un terreau fertile pour la mise en place d’un régime politico-religieux.
De surprenantes convergences d’intérêt se font donc jour dans la présente campagne présidentielle. Elles conduisent ainsi les forces fascistes et d’extrême-droite à travailler dans le même sens que les islamistes qu’elles prétendent combattre. Cela induit des accointances communes pour le moins surprenantes.
Rappelons ainsi que Madame Le Pen n’est pas exactement une amie des Lumières universalistes. Elle tend à s’entendre plutôt bien avec l’autocrate russe Poutine. De ce dernier, on peut, pour le moins, dire qu’il encourage la course au pouvoir de l’Héritière. Et l’on peut également préciser qu’il est très attentif au philosophe Alexandre Douguine, redoutable ennemi des Lumières – notamment inspiré par le philosophe Heidegger dont la compromission avec les nazis n’est plus à rappeler [Cf notamment l’article de Paul Ratner, «The Most Dangerous Philosopher in the World», in Big Think, December 18, 2016].
On observe une convergence de vues – les anti-Lumières –, et d’objectifs – parmi lesquels l’arrivée au pouvoir de Madame Le Pen – chez des acteurs extrêmement dangereux de la scène politique française et internationale. On se tromperait en les croyant aux antipodes les uns des autres. Cette convergence teinte de manière terrifiante le dernier tour de la campagne présidentielle.
Aussi ne comprend-on pas à quoi joue Monsieur Mohamed Louizi, cet ancien Frère musulman qui passe désormais pour une référence en matière de détection des manœuvres islamistes, lorsqu’il souffle sur de dangereuses braises. Il s’en prend en effet à Emmanuel Macron, qui fermerait les yeux sur de multiples tentatives d’entrisme islamiste au sein de son mouvement En Marche !. Il le fait d’une manière qui, en apparence, est si extraordinairement documentée que l’on ne peut qu’être béat d’admiration face à une telle efficacité. Nos chercheurs et nos forces de sécurité pourtant nombreux et extrêmement dévoués à leur tâche ne manquent certainement pas d’envier l’incroyable capacité de Monsieur Louizi à produire à lui tout seul des tombereaux d’informations censées être pertinentes et dûment vérifiées.
Celui qui s’est fait une place dans la sphère médiatique en proclamant bruyamment qu’il avait fini par comprendre ce qu’était la confrérie fondée par le grand-père de Tariq Ramadan, se transformant dans la foulée en champion toutes catégories de la laïcité, développe actuellement une argumentation qui tend à démontrer que voter Emmanuel Macron est au moins aussi dangereux – si ce n’est plus – que voter Marine Le Pen. Alors que nous avons tous aujourd’hui conscience que cette dernière pourrait effectivement être élue, Mohamed Louizi se garde surtout d’appeler à voter contre elle.
Familier de propos teintés aux couleurs du conspirationisme – on ne se refait pas… –, ce grandiose laïque minimise systématiquement les conséquences d’une victoire de la fille de Jean-Marie Le Pen. Il est intéressant de noter que ses schémas argumentatifs rejoignent d’ailleurs parfois de manière (pas si) surprenante ceux développés par celui qui serait un de ses grands ennemis, à savoir Tariq Ramadan [Lire et comparer : http://tariqramadan.com/enjeux-decisifs-en-syrie/ ; https://francais.rt.com/international/20182-tariq-ramadan—gouvernements]. Ils sont d’ailleurs très bien traités tous deux par les média de la propagande d’État russe – Sputnik et RT. Cela leur fait un point commun remarquable avec Marine Le Pen, la candidate de l’autocrate de Moscou.
Nous voyons ainsi émerger à la faveur de cette présidentielle des alliances de circonstance, de celles que l’on croirait contre nature – si l’on n’y regardait de plus près. On observe également des phénomènes plus prévisibles.
Sur plus de 14.000 candidatures aux législatives reçues par En Marche !, dans le cadre d’une campagne lancée par l’ancien ministre destinée à renouveler radicalement les élites politiques du pays, il ne pouvait pas ne pas y avoir quelques tentatives d’entrisme. Il y en a effectivement de la part des ennemis du projet démocratique. Ces ennemis sont aussi bien à trouver du côté des islamistes… que du côté des activistes du Front national. Et pour cause. Au regard de l’immixtion scandaleuse de Vladimir Poutine dans les grandes consultations démocratiques actuelles, il serait d’une infinie naïveté de penser qu’il n’a pas activé ses sympathisants pour porter sa parole au Parlement français.
Du côté des entrepreneurs politiques qui ont investi la religion musulmane, ceux du CCIF notamment sont ceux qui gagnent sur tous les plans – quel que soit le candidat élu à la présidence de la République. Si Emmanuel Macron passe, ils auront peut-être des porte-parole au sein du Parlement, qui s’efforceront de faire avancer leur cause. Mais ils seraient encore bien plus heureux de voir Marine Le Pen arriver au pouvoir. Elle est effectivement la plus grande promesse d’effondrement de la société française qu’il nous ait été donné d’affronter ces dernières décennies. Et ces ruines qu’elle laisserait derrière elle seraient la plus grande promesse pour l’avènement des différents projets islamistes. Et les amis du CCIF ont dans ce contexte beau jeu de se présenter comme l’ «alternative raisonnable», le rempart contre le djihadisme, afin de promouvoir un islam «modéré» là où pourtant nous n’en voulons ni d’un modéré ni d’un radical puisqu’il n’a pas sa place dans la sphère politique. Ce refus est conforme au principe de la laïcité et concerne également – faut-il le préciser ? – le catholicisme tout autant que la religion juive ou toute autre foi religieuse.
Nous voilà face à une configuration singulière où la démarche d’Emmanuel Macron concernant le renouvellement des élites pourrait bien voir l’émergence d’un Parlement reflétant comme jamais notre société dans toute sa complexité. Il serait à son image, démocratique mais comptant des franges ambiguës et/ou extrêmement périlleuses. Il serait possible que ce Parlement sous la présidence Macron renvoie à un mandat difficile, agité, traversé de conflits et de débats sur des enjeux fondamentaux – mais où le dialogue, la lutte, l’échange et le combat politiques seraient encore possibles. Rien de tel si le règne du Front national devait advenir : il verrouillerait tout, musellerait l’opposition et les médias, achèverait de mettre à genoux les plus vulnérables déjà victimes d’abandon. A la fin du mandat de l’Héritière de la haine, tout serait en lambeau.
Marine Le Pen présidente de la République, cela ne doit advenir car, à n’en pas douter, de ce chaos les islamistes ne tarderaient pas à en faire naître un autre, plus tragique, insurmontable et sanglant. Ceux qui travaillent à lui laisser le champ libre seront en tout état de cause comptables de leurs manœuvres.
Pure connerie car justement avec Marine Lepen,
l’islam politique sera interdit.
De plus « islam politique » est un pléonasme.