Alors qu’un crépuscule doré s’annonçait déjà, l’idée me prit de baguenauder dans une sorte de grande étendue bucolique inondé des lumières estivales.
J’allai donc dans ce champ à l’arrière d’une rustique ferme basque, armé d’un livre comme toujours. Chez les lecteurs invétérés, c’est là une chose coutumière.
En l’occurrence un vieux livre de Laurent Mauvignier, découvert lors d’une de ces dédicaces qu’organisent régulièrement les bibliothèques avec les auteurs. Publié en 2000, donc écrit avant ma naissance, ce qui me semble ironiquement très lointain, il fut lauréat du Prix du livre Inter 2001 à une époque où ce prix faisait vendre beaucoup, et réédité en poche dans la collection double en 2004.

Mauvignier nous offre une plongée dans une psychologie torturée, nous ouvre les portes d’une âme tourmentée après un accident subi par le mari de la narratrice. Le monologue d’une femme déchirée, assaillie par les doutes, par la souffrance. Elle nous conduit, au fil de ses réflexions, à un sentiment d’angoisse et de compassion rarement exprimé avec autant de concision.

A l’heure où nous frissonnons des nouveautés de la rentrée littéraire, à l’heure où les médias grouillent des Christine Angot,Jean d’Ormesson, Amanda Sthers, Yasmina Khadra, Amélie Nothomb, etc., ce livre court, humble, m’a séduit et emporté, prenant la forme d’une pause, d’un moment marquant. Oui, c’est un livre qui marque.

Apprendre à finir, donc, est un livre sur l’accident, sur la rémission, la convalescence, physique, émotionnelle, sentimentale – mais vus par celle qui sait, qui voit, et qui doit tout gérer sans sa souffrance à elle ne soit visible, la souffrance collatérale, l’autre, celle dont on ne parle pas, la vraie-fausse victime.
Celle qui doit rassurer les enfants et les proches, en plus de se rassurer elle-même, qui doit faire des ménages en plus de tout son travail, parce qu’il faut vivre et qu’il n’y a plus d’argent, qui s’occupe de la paperasserie, qui achète des fleurs, et qui s’applique sans que cela suffise, qui lui parle, qui l’aide à marcher, petit à petit, après sa sortie d’hôpital, qui est là le jour où il arrive jusqu’à la porte, le jour où il arrive jusqu’à la cuisine, le jour où il peut sortir dans le jardin.

C’est à celle-là que Laurent Mauvignier a su donner une voix. Une voix qui s’emporte, qui crie sa colère, ses doutes, sa douleur, cette voix qui s’étiole et qui ne veut pas fuir, qui veut affronter, dans sa solitude. Comme le précise Patrick Kéchichian dans Le Monde dans une critique reprise sur le verso de la collection double, peu d’écrivains ont su faire parler ce déchirement, que rien ne peut alléger. Un monologue angoissé et déchiré, schizophrène pour Nelly Kaprièlian des Inrocks, des phrases longues, virgulées, essoufflées ; mais aussi des doutes, des espoirs, des hésitations, qu’on nous fait merveilleusement sentir.

Comme François Nourissier le préconise pour L’Amant de Duras, il faut en lire les plus beaux morceaux à voix haute, on en découvre alors la nervosité, les coupures, les brèches. Toute la tristesse dans cette femme qui veut espérer, qui attend le jour où tout redeviendra normal, sans accepter que rien n’est tout-à-fait normal après un accident : « Nous ne nous laisserons pas faire : le temps reviendra de l’ombre fraîche et des nappes étendues sous les chênes. Parce qu’après il ne travaillera plus. Parce qu’après le réveil plus jamais ne sonnera comme il sonnait à trois heures et demie. »
Je me souviens qu’il y avait des arbres inertes, un coteau sinueux jauni par le soleil, des souches vieillies et grises. Des herbes hautes et grasses qui fourmillaient d’insectes. Les souvenirs de lecture ont toujours quelque chose d’étrange, hors du temps. Un sirocco languissant, une lumière ondoyante. Ce livre est un témoignage saisissant, déchirant, truffé d’apnées, d’envolées, de phrases torturées, forcenées, triturées.