Le Burundi traverse aujourd’hui une crise profonde. Au coeur de cette crise, la volonté de l’actuel président de se représenter pour un troisième mandat, contrariant ainsi les accords d’Arusha et leur constitution qui limite l’exercice du pouvoir à deux mandats. Depuis l’annonce de la candidature du Président Nkurunziza, le Burundi est secoué par de nombreuses manifestations suivies par une terrible répression. On compte déjà plusieurs morts et blessés et plus de cent mille réfugiés dans les pays voisins.
Le pays vient également d’être ébranlé par une tentative de putsch ; depuis, la répression est devenue totale avec tous les médias indépendants détruits et les journalistes menacés de mort. D’où cet appel lancé par Alexandre NIYUNGEKO, le président de l’Association burundaise des radiodiffuseurs.
David Gakunzi
Les médias burundais indépendants sont réduits au silence total depuis l’échec du putsch contre le Président Nkurunziza, le 13 mai 2015. Les éléments en tenue policière et les miliciens du parti au pouvoir ont attaqué à l’arme lourde toutes les stations de radios indépendantes : la Radio Publique Africaine (RPA), Bonesha FM, Isanganiro et la Radio Télévision Renaissance. Peu avant, la radio Rema FM, une radio du parti au pouvoir avait été saccagée et détruite par des manifestants contre la troisième candidature du Président Nkurunziza, juste après l’annonce du putsch.
Maintenant, plus rien, aucune radio libre, aucun de ces médias indépendants ne fonctionne à part la radio télévision nationale que contrôle le pouvoir de Bujumbura. Les ruines des radios détruites sont gardées par des policiers lourdement armés, et prêts à en découdre avec le premier des journalistes qui s’y présenterait. Les dégâts sont énormes : tout le matériel de production et de diffusion des radios RPA, Bonesha, Isanganiro, Bonesha et Radio Télévision Renaissance a été emporté par les flammes ou totalement endommagé par des éclats de grenades et des tirs nourris.
Plusieurs journalistes de ces radios vivent aujourd’hui en clandestinité, surtout les directeurs de ces médias et du syndicat des journalistes, l’Union Burundaise des Journalistes (UBJ). Certains vivaient déjà sous la menace de mort depuis des semaines, des menaces qui se sont accentuées depuis le putsch manqué, étant donné que les journalistes sont aussi pris comme des putschistes.
Cette vie en clandestinité ne facilite pas la communication, certains n’ayant pas du tout ou très peu accès à internet, avec l’impossibilité de se réunir, se contentant des appels téléphoniques, qui sont parfois aussi perturbés. Ils sont séparés de leurs familles, elles aussi contraintes à la clandestinité; car quand bien même ces journalistes sont certes les premiers visés, ils n’excluent pas le fait que leurs familles soient également dans la ligne de mire. On sait ce dont les miliciens actuels sont capables.
Durant la troisième semaine après le lancement de la campagne de contestation contre la troisième candidature de Pierre Nkurunziza à la présidentielle du mois de juin prochain, la presse burundaise a subi des attaques et menaces émanant des pouvoirs publics comme jamais auparavant. On avait déjà enregistré plusieurs cas d’attaques, des menaces (et même de mort), harcèlements et intimidations de plusieurs journalistes.
Le premier jour des manifestations, dimanche, 26 Avril 2015, la RPA a reçu une visite incongrue de trois ministres accompagnés d’une armada policière et d’agents du service national des renseignements à l’allure d’un commando venu arrêter des terroristes.
Entretemps, les antennes des radios RPA, Bonesha et Isanganiro de l’intérieur du pays étaient coupées, privant ainsi le public de leur droit à l’information. Visiblement, le pouvoir de Bujumbura était irrité d’entendre que les médias faisaient la retransmission en direct des manifestations. Les médias ont accepté d’obtempérer à l’ordre de pas continuer le direct, même si pour les journalistes et pour les règles de la profession, cela est inacceptable!
Le lendemain, lundi 27 Avril 2015, la Maison de la Presse est assaillie par de policiers en uniforme et d’autres personnes, en tenue de sport ou en tenue civile simple. Les ordres étaient donnés par ces derniers, les policiers, le commissaire municipal en tête, les exécutant aveuglement. On apprendra plus tard que c’étaient des agents du service national des renseignements (SNR) munis d’un « mandat de fermeture » de la Maison de la Presse (mandat du procureur général en Mairie de Bujumbura, Arcade Nimubona).
Tous les services de la Maison de la Presse seront alors fermés. Nous rappelons en passant que la Maison de la Presse abrite les bureaux de l’Association Burundaise des Radiodiffuseurs (avec son centre CERA et son studio), ceux de l’Union Burundaise des Journalistes (UBJ), de l’Association des Femmes Journalistes (AFJO), du Centre de Formation des Médias (CFM), du Centre de Monitoring de l’Organisation des Médias d’Afrique Centrale (OMAC) mais aussi d’autres personnes qui louent les bureaux et des services comme le cyber et le restaurant bar. La Maison ne sera réouverte qu’une semaine plus tard.
En début d’après-midi du même lundi, 27 Avril 2015, la RPA est assiégée par les services nationaux de renseignement, la « Documentation »! L’ordre est donné de fermer la radio, ordre signé par le procureur général en Mairie de Bujumbura, Arcade Nimubona. Tous les journalistes et le personnel sont alors chassés manu militari. Deux heures avant, la filiale de la RPA à Ngozi avait été fermée sur ordre du gouverneur de la province Ngozi, Claude Nahayo. Toutes les libertés venaient d’être foulées au pied. La RPA et sa filiale de Ngozi fermées, les antennes des radios Bonesha et Isanganiro desservant l’intérieur du pays coupées, voilà le bilan de cette journée et demie, du 27 avril!
Commence alors le calvaire que vivent beaucoup d’entre nous depuis : menaces de mort, attaques, bastonnades et humiliations sont devenus notre lot quotidien. En tout, plus d’une dizaine de journalistes des radios Isanganiro, Bonesha et Renaissance principalement ont fait face à des menaces et des attaques. Les responsables de ces atteintes se recrutent au sein du service national des renseignements, des Imbonerakure et même des policiers. A noter également que les journalistes des médias proches du pouvoir (la radio télévision nationale et Rema FM) ne sont pas les bienvenus dans les zones tenues par les manifestants contre la candidature de Pierre Nkurunziza.
Le tableau peint ici, non exhaustif, est sans nul doute très sombre et catastrophique. Cette situation devrait s’arrêter mais visiblement la clé est détenue par ceux-là même qui ont détruit les radios et télé libres. Ainsi les medias et les journalistes indépendants sont présentés comme ennemis du pays par les pouvoirs publics. Et pour les militants zélés, la solution n’est autre que d’en découdre avec les journalistes. Il devient évident que présenter les médias indépendants comme les ennemis de la nation est un appel au lynchage de leur personnel. Il faut voir la férocité et l’agressivité des agents du SNR, des policiers et des Imbonerakure à l’œuvre, surtout lors des manifestations, pour le constater.