Février 2015, théâtre du Châtelet. Le gratin du cinéma français, sur son 31, porte robes longues et smokings. Sur scène, Edouard Baer amuse l’assistance. Il déride une salle réputée glaciale, joue le rôle de dandy bohème dans lequel il excelle. Dans quelques minutes, on remettra le César du meilleur acteur. La concurrence est rude. Les nommés appartiennent pour la plupart à cette génération dorée dont émergeront probablement, après Gabin ou Delon, de nouveaux monstres sacrés. Pour l’heure, sept candidats en lice et ce suspense qui grandit malgré les sourires de circonstance. Sept noms : Duris, Ulliel, Canet, Arestrup, Damiens, Vincent et Niney. Le dernier l’emporte. La twittosphère s’emballe. La salle applaudit. Pierre Niney, ex-sociétaire de la Comédie Française, acteur à la palette large. Pas un hasard si il est sacré ce soir-là pour sa prestation dans le rôle d’Yves Saint-Laurent car, à l’image du couturier de génie, Niney incarne lui aussi l’intelligence à la française, ce mélange subtil d’impertinence et d’intelligence que l’on nous envie tant à l’étranger. Dans son discours, Niney évoque la jeunesse… Et la bienveillance. « Merci aux bienveillants » dit-il. Le grand public ignore de qui il s’agit vraiment. En coulisses, Guillaume Gallienne est en larmes. « Nous avons aujourd’hui besoin d’une jeunesse qui rêve et à laquelle on donne les moyens de le faire » poursuit-il. Emotion. Comparse de Niney, on ne sait avec certitude où se trouvait Hugo Gélin lorsque l’acteur emporta son César. Une chose est certaine : Gélin était bien présent avant la cérémonie, lorsqu’il s’agissait d’écrire un discours en cas de victoire. Il discutait au téléphone avec son acteur fétiche : en pareille circonstance, quels mots employer, quelle attitude adopter ? Gélin était aussi présent après coup, pour savourer ce prix récompensant forcément plus qu’un beau film : une carrière débutée sous les meilleurs auspices. Voilà. Derrière la lumière Niney, on trouve souvent l’ombre Gélin, ses petites lunettes de premier de la classe, son visage doux, sa drôle de dégaine de grand échalas dégingandé. Gélin, un jeune réalisateur au patronyme connu des cinéphiles, auteur, producteur et scénariste autour duquel se fédère toute une génération. Qui est-il ? A quoi pense-t-il ? Portrait.
Via Twitter, rendez-vous est pris un matin de semaine, dans le VIIIème arrondissement de la capitale. Dans l’arrière-cour d’un immeuble cossu, caché par des massifs de plantes, on aperçoit le jeune réalisateur la tête rivée sur son écran d’ordinateur. Il nous ouvre la porte, l’air jovial. En ce moment, Hugo Gélin n’a aucune « promo » à faire, aucun film à vendre, simplement beaucoup de projets en cours. Cela tombe bien, nous venons le voir pour qu’il se raconte lui avant d’aborder son œuvre.
Le jeune homme est issu d’une remarquable lignée de « faiseurs » de cinéma. Sa grand-mère, Danielle Delorme, est actrice et productrice. Son grand-père, l’acteur Daniel Gélin, a marqué plusieurs générations par sa longévité. Lorsque son petit-fils évoque son souvenir, il parle évidemment du comédien et de ses amis du métier mais aussi de son « grand-père hédoniste qui adorait la poésie ». Daniel Gélin faisait cohabiter sous son toit « une véritable tribu ». Dans son sillage, il n’était pas rare de croiser des noms mythiques que son petit-fils évoque avec gourmandise : Yves Robert, Jean Rochefort (qui jouera d’ailleurs dans le premier court-métrage d’Hugo Gélin), Sautet, Dabadie. « Mon grand-père était l’homme le plus jeune que je connaissais, il ne se posait pas mille questions sur sa réputation, on l’a vu jouer la comédie avec Les Nuls ! ». Son goût pour le 7ème Art, Hugo Gélin nous confie l’avoir eu très tôt. Alors collégien, durant les grandes vacances, le gamin empruntait une caméra à son père Xavier, lui aussi cinéaste. Il jouait dix rôles à la fois, inventait des scenarii farfelus mêlant thrillers, comédie et film d’horreur. Ce qui commença comme un jeu devint avec le temps une obsédante passion. Au bac, Gélin passa l’option cinéma candidat libre. En fait du court-métrage réglementaire, le bachelier présenta un long-métrage foutraque qui amusa le jury, obtint la note de 19/20 et persuada du même coup son père qu’il ferait, comme lui et son illustre grand-père, carrière dans le cinéma. La suite se conjugue au présent. Ambitieux, le jeune homme regarde vers la Californie. Il rêve d’Hollywood, prépare l’admission à UCLA, section cinéma : « Des cours et des professeurs géniaux ». Tout aurait pu fonctionner à merveille mais le sort en décide autrement. Son père décède. Cancer foudroyant. Le jeune homme rentre alors à Paris. Il n’a suivi aucune véritable formation mais se jette tout de même à corps perdu dans la réalisation. Après La vie sans secret de Walter Nions, il réussit, en 2002, à réunir un casting impressionnant pour son deuxième court-métrage, A l’abri des regards indiscrets. Le film se trouve aujourd’hui sur Internet. On y découvre Jean Dujardin et Audrey Lamy, Didier Bourdon et Zabou Breitman, Jean-Pierre Cassel et Daniel Gélin. Une bande qui transcende les générations, un leitmotiv dans sa filmographie. Le court-métrage, lui, respire la jeunesse. Il est monté nerveusement, sa musique ressemble à la bande son de l’époque. L’idée qui guide Gélin est alors la même que ses amis du duo Tolédano – Nakache : « proposer autre chose que les œuvres de cinéma social », toutes les mêmes, qui le font s’assoupir lors des festivals. Le jeune homme débarque avec une autre proposition : divertir. Un gros mot en France…
Avance rapide. A la suite de Comme des frères, un premier long-métrage remarqué par la critique, Hugo Gélin a multiplié les projets moins classiques. D’abord Casting(s), un hilarant programme-court diffusé sur Canal Plus. En deux mots, Casting(s), raconte les bizarreries de comédiens prêts à tout pour obtenir des rôles et faire avancer leurs carrières. Le tout se déroule invariablement sous l’œil défait d’un directeur de castings. De la comédie musicale au film de science-fiction en passant par le théâtre d’époque, tout y passe. Inventive, la série se transforme en laboratoire pour Gélin : le réalisateur y teste de nouvelles écritures, diverses façons de dynamiser le récit, la bonne alchimie pour diriger, à nouveau, une bande de comédiens débutants et confirmés. Partenaire et complice, Pierre Niney est partie prenante du programme court (dont il est créateur, acteur et auteur, ndlr). Gélin, lui, n’en fait pas mystère : il « adore réunir », rassembler, fédérer les talents pour permettre à des projets d’exister. Posés sur son bureau, plusieurs exemplaires de la revue Schnock et beaucoup de photos d’amis du métier. Il poursuit : « on a trop vu nos aînés se disputer pour reproduire les mêmes schémas ». Alors, forcément, Gélin n’avance pas seul. Récemment, on l’a vu réaliser deux clips pour son amie d’enfance Cécile Cassel, désormais connue sous le nom d’Hollysiz. Hommage à Jean-Pierre Cassel et à la danse, la vidéo a contribué à faire du titre Come back to me un véritable hit. Comme souvent avec Hugo Gélin, il s’agissait alors d’une histoire d’amitié et d’une volonté de transmission. Encore et toujours de la bienveillance. Comme un programme d’action artistique…