Certains films sont comme des amis chez qui on aime passer la soirée. On sait qu’on s’y sentira bien, que les discussions seront riches, parfois graves, ce qui n’empêchera pas de rigoler, mais jamais d’un rire gras, que l’ambiance sera empreinte de tendresse, même si on peut s’engueuler. On s’y sentira bien parce que l’on partagera une même façon de se poser les questions sur la vie, les amours, la mort, l’identité, la famille, le futur et le passé, et même la politique. Rendez-vous à Atlit est de ces films amis. Il nous invite à nous retrouver chez lui et, justement, ça tombe bien car tout ou presque se passe dans une maison. Nous y rencontrons trois sœurs, Darel, Cali et Asia (Yaël Abecassis impeccable comme toujours, Géraldine Nakache surprenante et Judith Chemla irrésistible) qui en ont hérité de leurs défunts parents. C’est une grande baraque un peu délabrée, à l’abandon comme le jardin qui l’entoure. Atlit, où se situe la maison, est un patelin israélien où il n’y a rien, sauf une caserne et une voie ferrée qu’empruntent quotidiennement, jour et nuit, des dizaines de trains. Côté caserne on entend sans cesse des déflagrations dues à l’entraînement des soldats, côté rails les convois font un vacarme régulier. Il y a aussi la mer. Qu’est-ce que les frangines vont faire de tous les objets restés dans la maison, et que vont-elles faire de la maison elle-même ? Ce n’est pas un suspense, c’est les questions auxquelles tout un chacun a été ou sera confronté un jour. Ça on le balance, ça on le garde, tu le veux ? Comme chacun sait, la situation est hautement révélatrice de ce qui se joue dans une fratrie. Les névroses viennent s’y déployer, pas toujours paisiblement, faisant bon ou moins bon ménage avec les souvenirs, conflits enfouis et projets.
Mais ici, à Atlit, l’invisible des pensées, des rêves et fantasmes prend une consistance assez particulière puisqu’il devient petit à petit tout-à-fait visible sous la forme de fantômes. Des fantômes que seules les sœurs voient, mais des fantômes qu’on dirait en chair et en os, aussi envahissants que prosaïques : le père et la mère, très génération 68, s’installent ainsi à nouveau chez eux, se mêlant de tout, depuis la réparation du vieux poste télé couleur jusqu’aux relations avec les Arabes. Ces Arabes qu’on voit peu dans le film, mais qui sont néanmoins très présents : sous la forme d’un jeune garçon palestinien, qui voudrait habiter les lieux pour un temps – mais il est lui aussi l’un de ces fantômes visibles uniquement aux yeux des filles – et d’un vieil ami du père.
Les Arabes sont toutefois encore bien plus là par leur présence incontournable dans le hors champ. La réalisatrice Shirel Amitaï ne se contente pas, en effet, de nous convier à une histoire de famille. Le film se situe très précisément en 1995, c’est-à-dire en ce temps où la paix avec les Palestiniens semblait à portée de main, plus précisément de la poignée de mains qu’avaient échangée Arafat et Rabin sous le regard de Clinton. Le questionnement de Darel, Cali et Asia sur leur place dans le roman familial et face aux traces matérielles qui en subsistent (la maison, le mobilier, les objets, le jardin…) se double d’une interrogation sur la place respective des Juifs et des Palestiniens en Israël : qui est chez soi et où ? Les envies et désirs des trois sœurs vont évoluer, tandis que la situation politique va quant à elle se transformer du tout au tout avec l’assassinat de Yitzhak Rabin par un étudiant israélien d’extrême-droite fanatiquement hostile aux accords d’Oslo. On laisse au spectateur le plaisir de découvrir la belle idée de cinéma par laquelle il apprend, en même temps que les trois filles, que Rabin vient de se faire tuer lors de l’immense rassemblement pour la paix.
Sorti en salles juste après les assassinats commis à Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher par les terroristes islamistes, Rendez-vous à Atlit est de ce fait passé un peu inaperçu. Ce qui est d’autant plus regrettable qu’il met du baume au cœur de par sa manière bienveillante de regarder le monde et nous-mêmes, comme s’il nous disait qu’il a confiance en nous.
Film projeté dans les cinémas suivants :         
Cinéma Chaplin Denfert (Paris 14) et Cinéma Chaplin Saint Lambert (Paris 15) et l’espace 1789 à St-Ouen