L’écrivain Patrick Roegiers est allé voir Hôtel Europe, de Bernard-Henri Lévy. Il salue la performance de l’acteur principal, Jacques Weber, qui porte une pièce fiévreuse.
Patrick Roegiers est écrivain, comédien, auteur et metteur en scène. Il a publié plusieurs romans, dont «La Géométrie des sentiments» (1998) et «La Nuit du monde» (2010). Son dernier livre, «La Traversée des plaisirs» (Grasset), est paru cette année.
La semaine dernière, j’ai été au théâtre de l’Atelier voir Hôtel Europe, la pièce de Bernard-Henri Lévy. Ce texte est un réquisitoire, un plaidoyer perdu d’avance, un cri d’indignation comme il ne s’en pousse plus nulle part. Et que seul peut encore faire entendre le théâtre. Durant toute la représentation, un personnage seul parle dans le huis-clos de sa chambre et fait face au public.
Ce qui se donne à voir et à entendre sur scène, c’est le cheminement de la pensée au travail. Avec ses doutes, ses hésitations, ses approximations, ses errances, ses égarements. Réduit pour ainsi dire au silence, le personnage laisse parler ce qui sous-tend le texte qu’il compte prononcer et nous offre pendant près de deux heures le spectacle inouï de la parole à l’œuvre.
Acteur de rien, rien qu’acteur et seul en scène, dans le bain jusqu’au cou, convoquant ses maîtres, s’enrobant des oripeaux d’une Grèce en lambeaux, le conférencier n’a qu’un rôle à jouer. Le monde est un théâtre. Il soliloque, vaque, ratiocine, médite, s’enflamme, tonitrue, s’interroge, ironise et convoque le spectacle de l’Histoire ou celui qui pense n’a point de place.
Ce monologue intérieur est un dialogue sans merci avec le triste état du monde. C’est du théâtre de chambre au sens strict. L’acteur dévide sa parole et fait entendre sa voix. L’un des plus beaux moments est celui où il s’affale comme un cheval mort et laisse poindre en toute intimité son désarroi.
Écrire et crier sont presque le même mot. Ce spectacle est un cri de fureur et d’impuissance face à une Europe que l’auteur déclare inexistante. Autant que la manière dont la pensée se pense, ce qui importe ici, c’est la façon dont le texte se défait, se détricote, se désarticule, part illusoirement en tous sens, et laisse affleurer, surtout vers la fin, des bouffées délirantes.
Il faut beaucoup de courage pour oser avancer ainsi sans défense. On ne peut qu’être touché par la vérité cruelle du propos et la sincérité qui est celle de l’écrivain. C’est elle qui emporte la fin du spectacle lorsque Jacques Weber est chassé de la chambre, l’écran du fond se muant en rideau de fer qui le boute à l’avant-plan. C’est le déchaînement final où le discours enfin se libère.
La voici cette fameuse conférence tant annoncée. La symphonie en prose s’achève. Il faut arrêter le déluge. Allez! Allez! Allez! L’acteur lève les bras et soulève l’enthousiasme. Le public debout ovationne l’acteur en nage qui salue, épuisé, vieilli de cent ans. Et applaudit l’auteur en même temps.
Article publié le 6 octobre 2014 sur le site du Figaro

HOTEL EUROPE

De Bernard-Henri Lévy
Avec Jacques Weber
Mise en scène : Dino Mustafic

MARDI AU SAMEDI 20h30
DIMANCHE – MATINÉE 15H30
Durée de la représentation : 1h45

Au Théâtre de l’Atelier
1, place Charles Dullin
75018 Paris

RÉSERVATIONS : 01 46 06 49 24

www.theatre-atelier.com