C’est donc hier soir, 27 juin, qu’a eu lieu l’avant-première mondiale, à Sarajevo, et pour les citoyens de Sarajevo, de la pièce de Bernard-Henri Lévy, Hôtel Europe.
C’était émouvant de voir l’auteur parmi les siens : Samir Landzo, un des résistants de la première heure contre l’agression serbe, ou encore le général Jovan Divjak, qui fut le défenseur de la ville et d’autres, beaucoup d’autres, qui furent ses compagnons pendant les années noires. De 1992 à 1993, comme en témoigne son journal de bord de l’époque, Le lys et la cendre, Bernard-Henri Lévy s’est rendu treize fois voir la ville assiégée. Il a partagé le quotidien de ses camarades bosniaques. Il est allé sur les lignes de front, il a filmé, hurlé son indignation et sa rage. Tout cela se ressent aujourd’hui dans le texte de la pièce qui est un texte vibrant de sa fièvre d’hier.
Hôtel Europe, pourtant, n’est pas non plus pour autant, un texte « sur » Sarajevo. C’est un texte qui, à partir de la tragédie de Sarajevo, à partir de Sarajevo comme métaphore, dresse un tableau sans complaisance de l’état de déliquescence de l’Europe aujourd’hui. Héraclite et Platon, Husserl et Heidegger, la mythologique grecque et les textes juifs sont convoqués dans ce monologue enflammé pour venir poser cette question lancinante : mais que s’est-il donc passé ? Qu’avons-nous fait du rêve européen de nos pères ? Pourquoi Beppe Grillo? Les vingt cinq pourcents de Marine Le Pen ? La patrie de Tiepolo et Dante défigurée par Berlusconi ? L’extrême-gauche d’autres fois réduite à des associations de défense de fromages de pays et des bébés phoques ?
Ce texte plein de colère était porté hier soir par un Jacques Weber au meilleur de sa forme. Il rugit, il gémit, il est accablé, il retrouve espoir, il court d’un bout à l’autre de la scène décorée par Dino Mustafic, il parle avec le ciel, il engueule la salle, il replonge dans un passé nostalgique, il remonte sur le cheval et repart à la bataille : toute la gamme des émotions est là. Parfois, de son sac à malices, sortaient un trait de Don Juan, un geste de Cyrano, un lointain écho de Montecristo, un accent du Tartuffe ou du misanthrope. Ce corps jeté sur scène, abandonné aux affres de ses interrogations intérieures, ce corps animé par le rêve fou de contribuer à sauver un monde à la dérive, on le regardait évoluer et on se demandait s’il n’allait pas s’effondrer sous nos yeux. Mais non. A l’instant des applaudissements que lui a réservés le peuple de Sarajevo, à l’instant où Dino Mustafic et Bernard-Henri Lévy l’ont rejoint sur scène pour le remercier en une accolade, c’est le jeune Jacques Weber qui était là, épuisé mais déjà rené du drame qu’il venait de traverser et qu’il nous a fait partager.