Les Soudiennes Wajiha Al-Huweidar et Fawzia Al-‘Uyouni ont été condamnées à dix mois de prison pour avoir tenté de venir en aide à Nathalie Morin, Canadienne détenue en Arabie saoudite.
Nathalie Morin est détenue depuis huit ans par son mari à domicile, avec ses trois enfants. Dans un compte twitter et une chaîne YouTube, elle révèle au compte-goutte certaines difficultés, notamment une misère extrême. La militante saoudienne Wajiha Al-Huxeidar, connue pour son combat en faveur du droit de conduire pour les femmes en Arabie saoudite, a voulu aider Nathalie Morin en lui apportant des vivres. Le régime a considéré qu’il s’agissait d’une tentative d’enlèvement.
Le 15 juin 2013, à l’issue d’un procès ayant duré un an, les militantes pour les droits des femmes Wajiha Al-Huweidar et Fawzia Al-‘Uyouni ont été reconnues coupables d’avoir incité une femme contre son mari et tenté de la sortir clandestinement d’Arabie saoudite. Elles ont été condamnées à une peine d’emprisonnement de 10 mois et à une interdiction consécutive de quitter le territoire pendant deux ans. [1] Les deux femmes ont été arrêtées par les autorités saoudiennes en juin 2011, au motif d’avoir tenté d’enlever Nathalie Morin, Canadienne francophone détenue par son mari en Arabie Saoudite – avec ses trois enfants – pour les conduire clandestinement à l’ambassade du Canada de Riyad.
Nathalie Morin, mariée au Saoudien Saïd Al-Shahrani, se trouve dans le Royaume depuis huit ans, a un compte Twitter et une chaîne YouTube sur lesquels elle poste des vidéos et des témoignages sur sa vie en Arabie Saoudite. Dans certains de ces posts, elle révèle qu’elle et sa famille se trouvent dans une détresse financière extrême, que son mari la maltraite et qu’elle souhaite retourner au Canada, mais que les autorités saoudiennes l’empêchent de quitter le territoire avec sa famille depuis 2006.
Tout au long de l’enquête et du procès dont elles ont fait l’objet, Al-Huweidar et Al-‘Uyouni ont nié avoir tenté de kidnapper Morin pour la faire sortir clandestinement du pays, affirmant avoir été arrêtées alors qu’elles amenaient des vivres et de l’eau à la mère et aux enfants, détenus dans leur lieu d’habitation. Elles ont également souligné que Nathalie Morin ne parle pas arabe, ce qui aurait rendu difficile toute incitation à des actes jugés répréhensibles par le régime.
Dans un communiqué diffusé après leur condamnation, Al-Huweidar et Al-‘Uyouni ont déclaré qu’elles avaient été condamnées malgré l’absence de preuve et malgré le fait que le juge ait refusé d’entendre Nathalie Morin lors des six audiences. Elles ont déclaré qu’elles feraient appel, affirmant que toute l’affaire était un moyen détourné d’entraver leur activité humanitaire : « Ces peines sévères ne nous empêcheront pas de continuer [à défendre la cause] que nous dicte notre foi musulmane, notre devoir humanitaire et moral – [à savoir le devoir] d’aider les opprimés, les démunis et les nécessiteux, de défendre les droits des femmes dans notre pays, dans tous les domaines, y compris leur droit au développement social, politique et professionnel, et leur droit de conduire ». [2]
La militante saoudienne Wajiha Al-Huweidar
Réagissant à la condamnation, Nathalie Morin (aussi connue sous le nom d’Umm Sameer) écrit en anglais sur son blog : « Tout d’abord, je tiens à dire que je regrette ce que traverse Madame Wajiha Al Huweidar et son amie, qui ont essayé de m’aider. Je n’ai rien à voir avec tout cela ! Je n’ai jamais voulu fuir ou commettre des actions illégales. Je suis juste une femme, une mère et une épouse qui se bat pour sa survie depuis huit ans. Nous nous sommes retrouvés à plusieurs reprises sans nourriture ni eau potable. Le fait est qu’en ce moment nous ne consommons que du pain, des dattes et de l’eau impropre à la consommation – à partir de notre évier, et ce depuis le 6 mai.
Je vis en Arabie Saoudite depuis le 5 mars 2005, sans aucune protection ni aide de qui que ce soit. Les autorités saoudiennes me haïssent pour des raisons inconnues, et le gouvernement canadien ne fait rien pour m’aider ou me protéger. Ils voudraient que j’abandonne mes enfants. Je vis sous pression gouvernementale depuis huit ans. Personne ne m’aide et personne ne vient me rendre visite. Je ne peux pas m’aider moi-même, n’ayant aucun droit en Arabie Saoudite. Mes enfants ont faim et je ne peux rien faire pour les nourrir. Je me bats pour la liberté, la justice et l’équité pour ma famille, y compris moi-même. Je demande au gouvernement du Canada d’aider ma famille à revenir au Canada immédiatement. » [3]
Le compte Twitter de Nathalie Morin
Après que la nouvelle de la condamnation d’Al Huweidar et Al-‘Uyouni eut fait son chemin, les militantes pour les droits des femmes Elham Mane’a et Manal Al-Sharif ont publié des articles en soutien aux deux femmes, fustigeant la politique du régime saoudien et l’absence d’intervention internationale dans cette affaire. Ci-dessous des extraits :
Elham Mane’a : Le régime saoudien craint « les voix de la réforme » et tente donc de les faire taire
Elham Mane’a, militante yéménite pour les droits des femmes, établie en Suisse, a publié un article intitulé « Nous sommes toutes Wajiha Al-Huweidar ». Elle affirme que les autorités saoudiennes se sont servi de Nathalie Morin comme prétexte pour régler leurs comptes à Al-Huweidar et Al-‘Uyouni ; elle fustige le « silence honteux » de l’Occident :
« … La Canadienne n’est pas le sujet, en dépit de son histoire tragique. [Ce qui est en jeu,] c’est la tentative des autorités saoudiennes de faire taire de force Wajiha Al-Huweidar et sa compagne [militante]. Wajiha Al-Huweidar a été la première à contester l’interdiction faite aux femmes de conduire en Arabie saoudite : en 2008, elle a mis en ligne une vidéo sur YouTube [qui la montre] au volant d’une voiture. La conduite était un symbole pour elle : le symbole des limitations imposées à la femme saoudienne, qui font d’elle une mineure ne pouvant agir sans [l’approbation] du gardien qui parle en son nom, qui restreint ses gestes et sa liberté, et qui l’empêche d’être l’égale de l’homme, en droits et en dignité.
Pendant des années, [Al-Huweidar] a travaillé sans relâche aux côtés d’autres militantes. Elle a appelé à des réformes et à amender des lois saoudiennes discriminatoires et opprimantes ; elle a écrit des articles qui, en leur temps, furent interdits de publication dans la presse saoudienne ; elle insistait sur la nécessité du changement. Et tout cela sans réclamer une seule fois un changement de régime. C’est quelque chose qu’elle n’a jamais fait. Son appel portait sur la réforme dans le cadre du régime [seulement]. Toutefois, si avant le Printemps arabe, le régime saoudien tolérait [certaines] critiques, il est aujourd’hui tellement effrayé qu’il ne peut plus tolérer la moindre critique ; c’est pourquoi il a commencé à recourir à des tactiques d’intimidation. Ignorant le tollé dans les médias internationaux et les récriminations des organisations internationales des droits humains, il a arrêté des personnes appelant à la réforme, tels Abdallah Al-Hamed, Muhammad Fahad Al-Qahtani et Turki Al-Hamad.
[Puis] est venu le tour de Wajiha Al-Huweidar et Fawzia Al-‘Uyouni. Le moins que l’on puisse dire de [leur] procès, c’est qu’il a révélé au grand jour la honte du système judiciaire saoudien. C’est un système qui n’a pas jugé bon de fournir un interprète à la Canadienne, et qui [donc] n’a pas compris un seul mot pendant le procès (…) et qui [a autorisé] le juge à traiter Al-Huweidar et Al-‘Uyouni avec brutalité, comme s’il était un rival plutôt qu’un juge. C’est un système judiciaire sorti du Moyen-âge.
Al-Huweidar et Al-‘Uyouni sont accusées d’avoir tenté de ‘briser un mariage’ et encouragé une femme à ‘se révolter’ contre son époux. En quel siècle vit ce royaume ? Le cas d’Al-Huweidar et d’Al-Uyouni en appelle à la conscience, en ce qu’il reflète l’absence de droits humains en Arabie saoudite. Ce royaume pense qu’il peut violer les droits de ses citoyens, hommes et femmes, et réduire au silence les voix appelant à une réforme pacifique. Il croit qu’une telle chose est possible, en raison notamment du silence honteux de ses alliés occidentaux. Face à ce silence, nous élevons maintenant la voix pour dire : Nous sommes tous Wajiha Al-Huweidar. » [4]
Manal Al-Sharif : En Arabie Saoudite, il suffit d’être chiite pour se voir accusé des pires maux
La militante saoudienne des droits des femmes Manal Al-Sharif, qui en 2011 a mené une campagne contre l’interdiction faite aux femmes de conduire, a également écrit un article fustigeant le procès et la condamnation. Elle y raconte comment Al-Huweidar l’a formée et encouragée, guidée dans sa campagne, et même accompagnée quand elle a conduit une voiture en signe de protestation, un acte pour lequel elle (Al-Sharif) a été arrêtée et détenue pendant plusieurs jours. Elle ajoute : « A ma sortie de prison, je ne pouvais comprendre la campagne brutale menée contre [Al-Huweidar] et les accusations portées contre elle : elle m’aurait poussée à conduire, alors que c’est moi [seule] qui en ai pris la décision. Je ne comprenais pas – jusqu’à ce que j’apprenne deux choses à son sujet : d’abord, qu’elle a été l’une des premières à demander que les femmes soient libérées de la tutelle [de leur gardien], [5] et deuxièmement, qu’elle est chiite. Je pense que dans mon pays natal, il suffit que vous soyez chiite pour être accusé faussement de toutes sortes de terribles choses : de collaboration, de trahison, d’allégeance à un certain [pays] de l’autre côté du Golfe [l’Iran]. Il semble que ces deux caractéristiques d’Al-Huweidar suffisent [pour motiver] une campagne organisée, systématique et arbitraire contre elle, visant à ruiner sa réputation en tout lieu [au moyen de] malédictions, d’invectives et d’accusations de trahison…
La condamnation des deux femmes ne leur nuit pas seulement à elles, mais aussi à toutes les Saoudiennes qui ont cru en leur droit à vivre dans la dignité, qui ont défendu [ce droit], et l’ont transmis aux autres femmes…
Avec Wajiha, j’ai suivi personnellement [le développement de] l’affaire qui a été montée de toutes pièces contre [elle et Al-‘Uyouni, accusées d’] avoir enlevé et tenté de faire sortir clandestinement [du pays] la Canadienne. Mais [Al-Huweidar et Al-‘Uyouni] essayaient seulement d’apporter à manger à cette femme emprisonnée par son époux à son domicile avec ses enfants. Si elles avaient vraiment essayé de l’enlever, comme le prétend le mari, pourquoi la Canadienne n’a-t-elle pas aussi été traduite en justice ?… Leur condamnation est inacceptable, déraisonnable, et constitue un affront à tous ceux qui ont déjà sauvé des opprimés ou aidé une victime de l’injustice. Il s’agit en vérité d’une condamnation qui renforce les bourreaux ». [6]
[1] Al-Hayat (Londres), le 16 juin 2013.
[2] Sawomenvoice.com, le 16 juin 2013.
[3] Saudireallife.blogspot.co.il/2013/06/saudi-women-get-jail-terms-trying-to.html, 11 juin 2013.
[4] Civicegypt.org, le 16 juin 2013.
[5] En Arabie saoudite, une femme est liée à un mahram, c’est-à-dire à un mari, un père, un grand-père, un frère ou un fils qui lui sert de tuteur. La femme doit obtenir l’approbation et l’escorte de son tuteur pour presque n’importe quelle décision ou déplacement. Par exemple, une femme saoudienne n’est pas autorisée à voyager à l’étranger sans l’escorte d’un tuteur.
[6] Manal-alsharif.com, le 16 juin 2013.