Ca a dû arriver il y a environ sept ans. J’ai d’abord ressenti une profonde douleur dans mon abdomen. Je tournais un film français avec une horrible cinéaste mais je n’ai pas voulu me plaindre, alors j’ai gardé cette douleur secrète même si ça me faisait extrêmement mal à chaque fois que je devais porter le putain de corset. Bon dieu, je déteste les films d’époque et toute cette fausse merde.

Je me souviens que j’avais un film à Cannes cette année-là. Je me souviens de Panos Yapanis venant à mon appartement en France un dimanche avec toutes ces merveilleuses robes mais je ne pouvais même pas me lever pour les essayer.

Le lendemain, j’ai rampé à quatre pattes pour aller travailler. La production a finalement décidé qu’il serait préférable de me conduire à l’hôpital. Dès que je suis arrivée, je leur ai dit que j’avais un dispositif intra-utérin et qu’à cause de toute l’équitation que j’avais dû faire pour le film, il pouvait s’être déplacé ou quelque chose comme ça. Ils ont semblé prendre l’information à la légère. Ils m’ont examinée. Ils m’ont mise dans une pièce. Il y avait une fenêtre en verre teinté, des carreaux couleur pisse sur le sol et les murs. Ils m’ont dit que ça devait être les reins. Ils ont même fait une échographie mais n’ont rien trouvé. Ils m’ont fait une intraveineuse. Ca me démangeait. C’est comme ça que j’ai découvert que j’étais allergique à certains antibiotiques et j’espère vraiment me rappeler lesquels. Ca m’a rendue toute rouge, toute chose. Où sont vos amis quand les choses deviennent dures ? Personne ne viendrait me voir, sauf cette connasse de cinéaste française qui s’assiérait près de mon lit de mort pour me dire que, parce que j’avais arrêté ce film, je ne serais jamais plus engagée. De toute façon, j’étais dans cette pièce avec quarante de fièvre, une fièvre qui ne descendrait pas pendant une semaine. Ils ont bombardé mon rectum de lavements mais je ne pouvais toujours pas chier. J’ai tourné au vert. Au jaune, aussi. Finalement le réalisateur du film que j’avais à Cannes est venu me voir et m’a apporté du papier, des crayons, des marqueurs et des couleurs et j’ai fait mes derniers dessins — à tout jamais.

asia_argento-le-gyneco

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Un jour Jean-Marc Barr est venu me voir et m’a apporté un joint. J’ai traîné mon pauvre corps hors de l’hôpital pour le fumer avec mon intraveineuse. J’étais tellement infectée de l’intérieur et si proche de la mort et je le savais. Pile à ce moment-là, le médecin de l’assurance du film est venu et comme il a vu que j’étais dehors en train de fumer, il a prévu que je pourrais quitter l’hôpital dans un jour ou deux pour retourner au boulot. Quand mon soi-disant ami est parti, j’ai eu une vision. Le stérilet. Il avait bougé. Il avait créé une infection. Elle se répandait partout. J’ai vu de petites fourmis essayant de prendre le pus jaune de mon ventre dans de minuscules cages. J’ai appelé l’infirmière. Je lui ai dit tout ce que j’avais vu, mais seulement elle ne me croyait pas : bien sûr elle pensait que j’étais une maniaque délirante. De toute façon, ils n’avaient pas de gynécos dans l’hôpital. Pas avant lundi. On était jeudi. J’ai commencé à écrire mon testament. Mes veines étaient tellement défoncées par les antibiotiques qu’elles ont refusé de se faire planter des aiguilles. Je ne me suis jamais plainte. C’est ma prérogative. Les larmes ruisselaient silencieusement de mes yeux quand l’infirmière essayait de planter l’aiguille dans toutes les veines restantes de mes bras gauche et droit. Personne ne m’appelait. Ni mon père, ni ma mère, ni mon ex-petit-ami.

Quand je me suis réveillée le matin, j’ai vu la lumière du jour et j’ai appelé mon agent français pour lui demander si elle connaissait un bon gynécologue. Elle m’a mise en contact avec le meilleur GYNECO[1] de Paris. Je lui ai parlé au téléphone. Je lui ai expliqué ma situation. Il m’a dit de quitter l’hôpital sur le champ et de venir à sa clinique. Je me suis échappée de l’hôpital comme une fugitive, j’ai pris un taxi en maintenant la perfusion bien en hauteur avec mon bras droit. Quand le gynéco m’a auscultée, il a été vraiment surpris que je puisse encore tenir sur mes jambes. Il m’a dit que s’il ne m’opérait pas tout de suite je mourrais en quelques heures. Voilà à quel point l’infection du stérilet s’était répandue partout à force de faire du cheval, même mes intestins, à cause de toute cette putain de merde huileuse qu’ils m’avaient pulvérisée au cul. Je crois qu’ils ont appelé ma maladie une « sympalgite » ou quelque chose comme ça. Je n’ai pas eu peur d’entrer dans la salle d’opération. Sauf de l’anesthésiste qui avait un énorme herpes sur sa lèvre supérieure et qui m’a rendue nerveuse genre huit secondes. L’opération a pris quatre heures. Ils ont fait passer une sonde par mon nombril qui est ressortie des profondeurs de mon ventre, ne faisant qu’une toute petite incision, comme pour ne pas abîmer mon tatouage d’ange, comme si j’en avais quelque chose à foutre. Ca fait longtemps qu’il est parti. Le tatouage, je veux dire. Il a dû être enlevé au laser. J’étais partie de toute façon. Pendant cette petite mort, j’ai rêvé que je mangeais un poulet en plastique vert devant un immense public comme dans Le charme discret de la bourgeoisie. Ils ont nettoyé mes tripes avec une solution saline, extrait le stérilet et ce fut tout. Apparemment dans mon sommeil délirant, j’insultais les infirmières. Je les ai appelées putains de connasses, m’a-t-on dit. Mais je ne m’en souviens pas.

Quand je me suis réveillée, j’étais dans une belle chambre, propre et stérile. La première chose que j’ai faite a été d’allumer une cigarette. Le médecin est ensuite entré et je l’ai mise à l’intérieur du tiroir de la table de chevet. Ca faisait une odeur acre. Quand le gynéco m’a interrogée sur cet étrange parfum, j’ai fait semblant de n’avoir aucune idée de ce dont il parlait. Il avait l’air inquiet. Peut-être qu’il pensait que l’odeur de brûlé venait de ma chatte ? Je l’observais. Il s’appelait Harry. Il avait fait naître la petite merde de Sofia Coppola. On aurait dit une bite. Ce que je veux dire par là c’est qu’il était petit, fort, chauve. En érection. Et en quelques secondes, je suis tombée amoureuse de mon sauveur. Tellement que quand il est parti, j’ai réussi à me lever du lit pour aller regarder à la fenêtre. Il a quitté la clinique avec sa très masculine Porsche. Je me suis accrochée au rebord de la fenêtre pour le regarder disparaître avec la voiture.

Le lendemain, il est venu me voir et m’a dit que si je voulais, je pouvais partir et rester quelques jours dans sa maison jusqu’à ce que j’aille mieux. Après tout, mon appartement parisien n’était pas du tout adapté pour mon rétablissement : avec ses trois étages, il aurait été trop difficile pour moi de monter et descendre les escaliers sans aide. Et, oh, sa petite-amie était infirmière. J’ai joyeusement accepté. Il m’a déposée chez lui tôt le matin, a mis ma petite valise bleue dans la chambre d’ami. Je crois qu’il y avait un piano.

Quand il est parti, j’ai pris un bain, et j’avais peur que mes points de sutures lâchent. Je me sentais si vivante, comme jamais avant dans ma vie.

Pendant sa pause déjeuner, le Gynéco m’a rendu visite. Sans l’infirmière. Il était fringué comme un bouddhiste. Il m’a déshabillée tout de suite, dans un complet silence. Le silence est sexy. Tellement sexy. Comme la mort.

Il a commencé à me baiser. Il baisait sa propre intervention. Le nain chauve est devenu une énorme bite que j’ai fourrée dans ma chatte encore et encore et pour la première et dernière fois de ma vie, j’ai joui dix fois d’affilé. Je les ai comptés. Je ne pouvais pas croire à toutes les merveilles de mon corps. Une femelle. C’était comme s’il s’était transformé en gode géant, et je plongeais tout son corps, de la tête aux pieds, à l’intérieur de moi. Après ça, il est reparti au travail. Je me sentais heureuse mais embarrassée aussi. Pourquoi avait-il eu envie de baiser sa propre intervention ? Etait-ce une arnaque pour s’envoyer en l’air ?

Le soir, il est revenu avec sa petite-amie, la belle infirmière rousse. Nous avons regardé la version française de X-Factor à la télé. J’ai senti qu’il voulait un peu d’action, faire un truc à trois. Mais je le sentais mal pour mon corps et mes points de sutures. Alors j’ai fait semblant d’être très fatigué, et, à l’aube, je suis partie sans leur dire un mot. Même pas un petit mot de merci. Le lendemain, j’étais de retour sur le plateau avec mon corset, faisant le truc comme je fais toujours. Le Gynéco a continué à m’appeler mais je n’ai pas répondu au téléphone. C’était comme si mes multiples orgasmes l’avaient obsédé.

Après genre deux semaines, j’ai décidé que ça serait mieux de revenir à la clinique me faire enlever les points de sutures du bas-ventre. Il était tôt le matin. Le cabinet du docteur était déjà plein de femmes qui attendaient. Elles avaient toutes l’air anxieuses, elle avaient toutes l’air d’attendre quelque chose — de spécial. Toutes ces salopes m’ont regardée dédaigneusement quand l’infirmière m’a appelée en premier. Le gynéco a viré les sutures pour regarder à l’intérieur de ma chatte toute rose. Il a dit que je pourrais ne plus jamais avoir d’enfant (en passant, je comptais sur ça, mais deux ans plus tard, j’étais de nouveau enceinte). Je pense qu’il a essayé de me baiser, avec mes jambes grandes ouvertes prises dans les étriers, mais j’ai poliment refusé.

Je ne l’ai plus jamais revu. Il m’appelle toujours de temps en temps. Il croit que je suis la femme aux multiples orgasmes. Je crois qu’il est le mec à la petite queue qui ressemblait à une grosse bite que j’ai utilisé comme un gode quand j’étais sur le point de mourir. And that is that. It’s a fact. Dig that, Jack.

[Traduit de l’anglais par Sylvain Courtoux. (c) Hapax]

 

 


[1] Toutes les italiques : en français dans le texte [Ndt].

 

9 Commentaires

  1. A-t-elle déjà écrit d’autres choses ou c’est sa première nouvelle?

  2. Est-ce que la version anglaise du texte est disponible? La dernière phrase donne envie de le lire dans la version originale.

  3. Et en plus de tout elle écrit et dessine… Elle sait donc tout faire. Il faut laisser un peu pour les autres.
    Sérieusement, j’ai trouvé le texte particulièrement intéressant. Puis-je le reprendre sur mon blog?
    (J’envoie un message privé à la rédaction)

  4. Christine Angot n’a qu’à bien se tenir. Voilà une nouvelle auteure qui s’empare avec beaucoup d’aisance du style autobiographique…