On ne connaît pas beaucoup en France Mère Agnès-Mariam de la Croix. Et c’est tant mieux. Se présentant comme «supérieure de l’antique monastère de Saint Jacques l’Intercis à Qâra, du diocèse grec-melkite catholique de Homs, Hama et Yabroud», cette chrétienne d’origine palestinienne et vivant en Syrie est une infatigable propagandiste du régime de Bachar al-Assad. Ses propos sont relayés par toute la nébuleuse de sites soutenant le maître sanglant de Damas, nébuleuse dominée par les divers courants de l’extrême droite «antisioniste» et «anti-impérialiste», plus particulièrement par les conspirationnistes, négationnistes, bruns-rouges et catholiques ultra-intégristes. Sa prose, tout comme celle de son ami Thierry Meyssan paisiblement installé au Liban, est ainsi accueillie avec régal par tout un petit monde qui déchaîne sa haine contre Israël, l’accusant d’être à la manœuvre avec le Qatar et les USA pour envoyer des hordes de terroristes jihadistes détruire ce grand pays laïc et démocratique que serait la Syrie de la dynastie Assad. Cette désinformation délirante n’est que le simple écho de ce qui se concocte dans les officines syriennes, et c’est évidemment aussi ce que racontent le régime iranien et son bras armé libanais, le Hezbollah, principaux soutiens régionaux de Bachar.

Mère Agnès-Mariam de la Croix est donc l’une des figures moyen-orientales préférées des antisémites qui veillent soigneusement à se présenter en anti-sionistes et font leurs délices de Dieudonné, Soral, Faurisson ainsi que de quelques autres de moindre notoriété (ces pauvres malheureux dont Daniel Schneidermann déplorait dans Libération qu’ils figurent sur une «liste noire» dressée au nom d’un «dogme» par le journaliste de France Inter Patrick Cohen). En se rangeant au côté de Bachar al-Assad, l’extrême droite «antisioniste» se retrouve à faire bloc, intentionnellement ou non, avec le régime des mollahs, lequel sait d’ailleurs reconnaître les siens et arrose financièrement ceux qui s’allient le plus clairement avec lui.

On n’entendait plus trop parler ces derniers temps de la Mère supérieure de l’antique monastère de Saint Jacques l’Intercis, mais voilà qu’elle est l’invitée vedette, ce jeudi 21 mars à Paris, d’une conférence-débat intitulée : « Situation des chrétiens en Syrie, quel message pour Israël et pour la France ? » Qui lui a offert cette tribune ? Les conspirationnistes du Réseau Voltaire ? Le Parti Antisioniste ? Dieudonné ? Non point. La puissance invitante est… France-Israël. Connue pour son hostilité sans faille aux plus modestes revendications des Palestiniens, voici que cette association déroule maintenant le tapis rouge à une agitatrice relayant la propagande du régime syrien et donc de l’ennemi numéro 1 d’Israël qu’est l’Iran d’Ahmadinejad. On pourrait se croire chez les fous si ce n’était que France-Israël est présidée par Gilles-William Goldnadel. Cet avocat, très apprécié de la Droite forte de l’UMP, est « juif et le revendique sans honte, ni vanité », comme il l’a écrit dans sa préface au livre Vendée, du génocide au mémoricide. Il s’est aussi employé depuis quelques années à établir des ponts avec des fractions radicales de la droite la plus extrême, s’acoquinant parfois avec des antisémites notoires. S’il ne s’agissait que de la dérive ultra-droitière de l’individu, il n’y aurait pas de quoi en faire ici un article. Mais Goldnadel invite Agnès-Mariam de la Croix en se servant de l’association qu’il préside et dont le nom de France-Israël peut laisser croire qu’elle représente peu ou prou les positions de l’Etat d’Israël. Dès lors ça devient un acte politique grave que l’on se doit de combattre fermement. La question s’envenime encore du fait que le président de France-Israël est également membre du comité directeur du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France).

Quand il s’agit du Moyen-Orient, les politologues de comptoir sont trop souvent prompts à déceler le complot israélien. C’est ainsi que parmi les partisans de la révolution syrienne il n’est pas rare d’entendre expliquer le peu de soutien occidental par l’intérêt qu’aurait l’Etat juif à laisser la Syrie devenir un champ de ruines. En offrant une tribune à la religieuse militante pro-Bachar, Goldnadel non seulement relaie la propagande de la mafia criminelle qui massacre sans vergogne en Syrie, mais il alimente de surcroît tous les fantasmes complotistes ainsi que l’antisémitisme qui les accompagne nécessairement. On se demande ce qu’attend Ahmadinejad pour le décorer. Et le Crif pour s’en séparer.