Irène Théry* le rappelait : en 1792, au moment de la création du mariage civil, un député de l’Assemblée législative se proposa de le définir. Cette définition disait : « Le mariage est un contrat civil qui unit pour vivre ensemble deux personnes de sexe différent ». Les députés éclatèrent d’un rire bruyant. L’idée de définir le mariage fut abandonnée.
Si l’on songe cependant aux débats et aux passions que déchaine aujourd’hui la définition du mariage, on peine à prendre ce rire au premier degré. N’y avait-il pas là plutôt un malaise ? La question s’éclaire si l’on situe le contexte. Cette période révolutionnaire fut pour les femmes l’occasion d’une entrée inédite sur la scène publique, où elles rivalisèrent avec les hommes. Cette intrusion remettait en cause l’étanchéité de la barrière des sexes et dénudait l’impossibilité qui était la leur de dire et d’écrire ce qu’est leur sexe, car rebelle à tout discours.
Lacan disait ainsi dans Je parle aux murs (Seuil, 2011, p. 61) que savoir « quelque chose de réel sur [l]es hommes et [l]es femmes comme tels » était impossible. Ainsi, au moment où la Révolution éclate et où l’ordre ancien s’effondre, les députés se trouvent confrontés à ce réel, et ils rient. Et ils renoncent à l’idée de définir le mariage civil qu’ils ont voté. Le rire occupe le devant de la scène, il esquive l’envers du décor : l’inquiétude qui grandit dès lors que les identités sexuées se brouillent.
Des mesures sont rapidement prises par les révolutionnaires pour rétablir une barrière étanche entre les sexes. Les clubs de femmes sont fermés dès 1793. Lorsque certaines viennent sur le terrain masculin de la lutte, à l’image de la jeune et enthousiaste Pauline Léon, qui s’est saisie d’une pique « pour aller combattre le tyran », elles sont désarmées.
Le vent de « mixité » qui a soufflé sur les journées révolutionnaires a ainsi produit au moins deux effets : l’éviction des femmes hors de la Révolution ; la tentative de les réassigner à une place plus conforme à leur « nature ».
La chute de l’Ancien Régime a fait entrapercevoir le chaos des sexes. Il faut rétablir de l’infranchissable, de la dichotomie, de l’ordre. Ce sera fait avec le Code civil de 1804, qui réaffirme la puissance maritale. Ce texte est l’héritier symptomatique de la période révolutionnaire.
C’est la raison pour laquelle le XIXe siècle sera aussi l’âge d’or de la théorie des sphères, réservant le privé aux femmes et le publique aux hommes. Il s’épuisera à définir « La » femme, et à mettre des mots là où les révolutionnaires de 1792 en avaient manqué. « La » femme dont Lacan disait qu’elle n’existe pas, est une création de la période post-révolutionnaire.
Et c’est une fiction qu’on peut, d’une certaine manière, attribuer à un éclat de rire.
Deborah Gutermann-Jacquet est membre de l’École de la Cause freudienne.
*Irène Théry est le co-auteur du rapport réalisé par les chercheurs en sciences sociales de l’EHESS pour appuyer et éclairer les enjeux de la loi relative au mariage pour tous.