Vue du Québec, la controverse en France suscite surprise et incompréhension… l’impression de regarder le Moyen-Âge ! On est médusé, on se moque !
Cela fait longtemps que le Canada est une terre d’asile pour les homosexuels, hommes et femmes, qui se fondent dans la population sans former de ghetto, se mouvant ou s’embrassant ouvertement, et se mélangeant aux hétérosexuels dans les bars et boîtes de nuit. J’assistais dernièrement au mariage gay d’une collègue avec sa conjointe… Rien de marginal. Dans les familles également, la considération d’un homosexuel, son acceptation, semblent choses admises depuis longtemps. Mon expérience française et québécoise m’a enseigné nombre de différences entre les deux pays quant à l’accueil et la place réservés dans une famille à un homosexuel.
Depuis 1993, l’orientation sexuelle peut constituer un motif d’asile : il est possible d’immigrer au Canada lorsqu’on est homosexuel (en couple ou non) si l’appliquant craint, avec raison, d’être persécuté dans son pays d’origine.
Concernant le mariage gay — terme plutôt utilisé ici — tout a commencé, comme souvent en Amérique du Nord, par des batailles juridiques.
Batailles juridiques
Au Canada, l’institution matrimoniale a accueilli les conjoints de même sexe le 20 juillet 2005, avec l’adoption de la Loi sur le mariage civil.
Cependant, avant l’adoption de cette loi canadienne, huit provinces et un territoire, représentant environ 89 % de la population canadienne, offraient déjà un cadre juridique au mariage entre conjoints du même sexe. Dans chacune de ces régions, ce type de mariage fut légalisé suite à des procès, dans lesquels les juges ont déterminé que l’ancienne loi sur le mariage, le limitant aux couples hétérosexuels, était anticonstitutionnelle. Ces décisions se sont produites entre 2003 et 2005 (2004 pour le Québec) (1).
L’évolution de l’attitude des Canadiens face au mariage des conjoints de même sexe, ainsi que les arrêts judiciaires du début des années 2000, ont produit un virage majeur dans la position du Parlement fédéral au cours des années 1999 à 2005.
Dès 1999, une décision de la Cour suprême du Canada fait en sorte que les couples homosexuels soient inclus dans les unions de fait. À partir de juillet 2002, des décisions juridiques prises dans trois provinces contraignirent le gouvernement fédéral à octroyer le droit au mariage aux couples homosexuels dans un délai de deux ans, après quoi le mariage homosexuel entrerait en vigueur automatiquement. Le gouvernement fédéral essaya de porter ces arrêts en appel à la Cour suprême du Canada, mais il y renonça en juin 2003 après le rapport d’un comité parlementaire.
En 2003, ce Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des Communes procéda à une étude formelle du mariage entre conjoints du même sexe, par le biais d’une série d’audiences publiques à travers le pays. Ce comité influença l’abandon de tout recours juridique pour contrer la possibilité du mariage homosexuel, ce qui donne une idée de l’état d’esprit favorable de l’opinion publique de l’époque envers ces unions. Le gouvernement libéral introduira alors un projet de loi reconnaissant les mariages homosexuels, mais affirmant le droit des Églises de décider quels mariages solenniser, un droit qu’elles possédaient déjà en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.
En 2005, au moment de l’adoption de la loi canadienne (158 voix contre 133), la Chambre des Communes fut divisée au sujet de ce projet de loi, surtout parmi les libéraux. Le Parti conservateur du Canada (le plus à droite) était presque à l’unanimité contre le projet de loi ; le Nouveau Parti démocratique (à gauche) et le Bloc québécois, presque à l’unanimité en faveur. On retrouve le traditionnel clivage gauche-droite. Le gouvernement conservateur de Stephen Harper a tenté de renverser cette loi en 2006, mais cette motion a été défaite. Ces mêmes conservateurs tentèrent encore récemment de rouvrir subtilement le débat, en s’opposant à la reconnaissance des unions de personnes de même sexe contractées à l’étranger. Mais l’opposition parlementaire reste très vigilante, et l’opinion publique toujours en faveur des droits des homosexuels.
Depuis que le mariage de même sexe a été légalisé par le gouvernement libéral de Paul Martin en 2005, quelques 15 000 unions ont été célébrées au Canada — dont environ 5000 pour des couples d’étrangers venus des États-Unis ou d’ailleurs (2). Plus de 15 % des couples gays canadiens sont mariés.
Le divorce gay
Si les couples gays peuvent se marier, ils peuvent aussi divorcer. Jusqu’à février 2012, en vertu de la Loi sur le divorce, l’un ou les demandeurs devaient être des résidents canadiens, ce qui compliquait la situation des étrangers venus se marier au Canada, qui ne pouvaient y divorcer ! En février 2012, des amendements à la Loi sur le mariage civil ont été apportés pour permettre aux couples non résidents de dissoudre leur mariage célébré au Canada. Ces modifications ont rendu tous les mariages de couples non résidents célébrés au Canada valides en vertu du droit canadien, et ont permis à ces couples de mettre fin à leur union, s’ils ne peuvent pas obtenir le divorce là où ils vivent.
Ainsi, un couple n’a pas besoin d’habiter au Canada pour s’y marier. Les Canadiens peuvent parrainer leurs conjoints de même sexe pour permettre à ces derniers d’immigrer au Canada dans la catégorie du regroupement familial.
Le Québec, suite au long procès mené par le couple formé de René Leboeuf et Michael Hendricks, a reconnu ces unions en mars 2004.
Le combat de Leboeuf et Hendricks
Ce couple homosexuel soutenait que toute disposition légale, que ce soit en vertu d’une loi fédérale ou provinciale ou en vertu de la « common law », interdisant le mariage civil aux conjoints de même sexe, devait être déclarée inconstitutionnelle et inopérante en raison de son caractère discriminatoire prohibé par la Charte canadienne des droits et libertés (3).
L’Alliance Francophone des Protestants Évangéliques du Québec et La Ligue Catholique pour les droits de l’homme contestaient la demande des requérants.
Le Tribunal conclut que le Parlement avait la « compétence » législative pour modifier le sens initial du mot « mariage », afin d’inclure les couples de même sexe. Il fallut déterminer dans un premier temps si la définition du mariage avait pour objet ou effet d’imposer à messieurs Hendricks et Leboeuf un traitement discriminatoire ; et dans l’affirmative, la restriction était-elle justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique ? (4)
Suite à un appel de la Ligue catholique, non seulement la Cour rejeta l’appel, mais elle ordonna que la décision prenne effet immédiatement. Le couple ayant remporté le premier procès, Hendricks et Leboeuf, se marièrent le 1er avril 2004 au Palais de justice de Montréal, devant une foule de sympathisants.
Vérité au-delà de l’Atlantique…
Les Français seront sans doute surpris d’apprendre qu’au Québec, l’adoption homoparentale a été rendue possible avant la légalisation du mariage homosexuel.
Quelques-uns de mes analysants sont, entre autres, des pères homosexuels ayant adopté des enfants. Leurs situations sont plutôt faciles dans la vie courante au Québec. Pas de problème à l’école, ni dans leur vie sociale.
Mais tout se complique s’ils vont en France. Leur statut n’y est pas reconnu. Sur le territoire français, ils pourraient se retrouver privés de leur autorité parentale, par exemple, en cas d’intervention médicale sur leur enfant. Dans les hôpitaux français, leur statut vis-à-vis de l’enfant ne les autorise pas à signer les formulaires d’usage.
PMA et GPA
Les lois au Canada concernant les techniques de reproduction artificielle, le don de sperme et les droits homoparentaux, sont parmi les plus avancées au monde.
Pour la PMA, les personnes cherchant à avoir recours aux techniques de procréation assistée, telles que l’insémination artificielle ou un don de sperme, ne doivent en aucun cas faire l’objet de discrimination, notamment sur la base de leur orientation sexuelle ou de leur statut matrimonial.
L’insémination artificielle est accordée à tout couple lesbien ou femme célibataire souhaitant faire un enfant seule, le don de sperme est gratuit et le donneur peut choisir de rester anonyme ou non, et l’homoparentalité est légalement reconnue.
Par contre, les législations canadiennes en matière de gestation pour autrui, de filiation et d’accès à l’adoption pour les couples de même sexe ne sont pas harmonisées et varient d’une Province à l’autre.
L’adoption homoparentale
L’adoption homoparentale est possible dans sept provinces (Colombie-Britannique, Manitoba, Nouvelle-Écosse, Ontario, Québec, Saskatchewan, Terre-Neuve-et-Labrador) et dans les territoires du Nord-Ouest. Elle est donc officiellement autorisée et reconnue au Québec, où les Chartes des droits et libertés de la personne protègent contre la discrimination. Depuis 2002, les gays et les lesbiennes ont officiellement le droit d’adopter des enfants, au Québec ou à l’étranger.
Le site du ministère de la justice indique, à propos de l’adoption : « Lorsqu’un couple marié, en union civile ou en union de fait, adopte un enfant, la filiation de ce dernier s’établit avec les deux conjoints. L’inscription à l’acte de naissance par le Directeur de l’état civil se fait sur réception du jugement d’adoption.
Lorsque les parents de l’enfant adopté sont de même sexe, ils sont désignés, au registre de l’état civil, comme les pères ou les mères de l’enfant, selon le cas.
Dans le cas où la loi attribue à chaque parent des droits et des obligations distincts, celui qui a un lien biologique avec l’enfant se voit accorder ceux du père s’il s’agit d’un couple d’hommes et ceux de la mère s’il s’agit d’un couple de femmes.
Le conjoint adoptant a, quant à lui, les droits et les obligations que la loi attribue à l’autre parent.
Lorsque aucun des parents n’a de lien biologique avec l’enfant, c’est le jugement d’adoption qui détermine les droits et les obligations de chacun. » (5)
La sagesse de René Leboeuf
Quant au premier couple homosexuel marié au Québec, le secret de la longévité de leur union ? « Un sens de l’humour, s’aimer, prendre l’autre pour ses qualités et ses défauts », selon René Leboeuf, qui s’empresse d’ajouter : « S’il aime passer l’aspirateur, mais n’aime pas faire le magasinage, n’insiste pas pour le changer : prends-le pour l’aspirateur ! » (6)
Montréal, le 19 janvier 2013.
Anne Béraud est française, et canadienne depuis 2001 ; elle vit et exerce la psychanalyse à Montréal ; elle est membre de l’Association mondiale de Psychanalyse et de la NLS (New Lacanian School).
1 – Sources Wikipédia.
3 – Partie 1 de la Loi constitutionnelle de1982 sur le Canada, Annexe B, 1982 (R.-U.) c. 11.
5 – http://www.justice.gouv.qc.ca/francais/publications/generale/union-civ.htm#adoption
6 – http://www.lapresse.ca/vivre/societe/201207/27/01-4560202-sept-ans-de-mariage-gai.php