Le soir est tombé, Victor et Rainer sont assis l’un en face de l’autre dans un train de banlieue. Ils vont passer la nuit à Paris. Leur destination est une boîte de nuit dissimulée sous un pont. Victor drague une fille, qui le repousse. Un peu plus tard, devant la boîte, un grand jeune homme blond l’agresse, l’injurie. Victor est de la France d’en bas et le restera pour l’éternité, lui dit-on. Le garçon se défend tant bien que mal ; les deux ennemis finissent par se battre. Rainer, en retrait, observe, figé dans une posture mortuaire. Les deux amis s’éloignent dans les rues, errant sur les trottoirs, jusqu’à ce qu’une toute jeune fille accoste Victor, lui propose de la suivre et d’abandonner son ami. Victor, après un moment d’hésitation, décide de rester avec son compagnon fantomatique, ils sortent de la ville, entrent dans un bois.
C’est là qu’après ce long périple dans le néant, ils décident de s’unir.
Nous ne savons pas en quoi ce film nous frappe. À l’image de Victor, nous sommes portés par quelque chose dont nous n’avons pas conscience. Le garçon est sauvé par l’amour de son ami qui s’avère être ce qu’il a de plus proche, mais dont il ignorait l’importance jusqu’à la fin. Car le film n’est pas situé, on comprend que cela se passe à Paris ,de nos jours, mais les deux garçons portent des perfectos des années 70 et des coupes de loubars. Ils ne s’inscrivent pas dans une certaine jeunesse, ils ne font pas partie d’un groupe. Ils sont issus de nulle part et vont vers le néant.
Dès les premières images du film, nous embarquons avec ces deux jeunes vagabonds dans ce train, donnant une impulsion qui ne s’arrêtera qu’à la fin de la nuit. Ce train était presque vide, il circulait à l’heure où plus personne ne se déplace. On est frappé par les lumières et les couleurs apparues sur ces paysages de voie ferrée plongés dans une obscurité pleine de vies brèves et fulgurantes. Les visions des deux jeunes gens sont cataclysmiques, mais peu importe, elles les guident. Seuls leurs vêtements, peut-être, les rattachent à un monde. Le reste, ils le jettent par-dessus bord. Rainer égrène tout au long de la nuit des rimes. Il déclame « Le Dormeur du Val » de Rimbaud dans la profondeur d’une caverne.
Le présent lui-même est errant, ce n’est pas le seul privilège des deux enfants. C’est un maëlstrom où s’engouffrent les personnages, les actions, les lieux, le temps et les couleurs, pour se mélanger et jaillir dans une forme indéterminée, incertaine, et peut-être est-ce la première, ou la dernière fois, que nous y assistons.
Les dialogues sont maladroits, l’emploi de la musique électronique trop fréquent et systématique. Par moments, nous avons affaire à des clips. Le tout est d’une poésie trop gamine pour devancer la marche des deux amis, et les guider.
Mais le premier film d’Héléna Klotz, dans son heure dix d’errance, parvient à nous faire ressouvenir d’un temps qui est peut-être encore celui de notre nuit.