Un texte, d’abord. La nécessité d’un texte.
Et le doute déjà. Cinq chapitres écrits à l’automne 2010. Puis l’assèchement, malgré la voie qui s’ouvre, évidente. Impossible d’avancer dans le langage de la fiction, quand les mots s’épuisent devant la réalité d’une mort annoncée.
29 juin 2011. Le passage. Peut-être la passation. Une vie s’en est allée, celle de ma mère. Alors le texte revient, brusque dans sa façon de s’imposer. De nouveaux chapitres, comme des vagues qui balayent une sensation primitive de vide, et l’écho d’un cri au petit matin, où la voix se surprend, étrangère à elle-même.
Aucun rapport de cause à effet, en apparence. Et pourtant.
Doutes, chronique du sentiment politique, n’est rien d’autre que l’exploration des ressorts de l’attachement.
L’objet de l’attachement premier n’est plus. Tous les autres, devant lesquels il s’effaçait, peuvent enfin se faire une place, se laisser interroger.
« La gauche, c’est pas comme ta mère » : Albertine tentera de contrer Judith sur ce terrain très exactement.
Alors oui : qu’est-ce qui nous arrime à des idées, à un homme, à une femme, n’est-ce pas la même chose d’ailleurs ? Comment peut-on en venir à rompre avec un principe, avec un être ? Qu’advient-il des croyances les plus constitutives lorsqu’elles s’effondrent, des liens les plus indéfectibles, quand l’autre est absent ou qu’il est là sans l’être vraiment ?
Plus loin encore, comment vit-on une amitié, qu’est-ce qui la soude, qu’est-ce qui l’anime, qu’est-ce qui la distend, qu’est-ce qui la ranime, où se situent exactement les points de rupture et ceux de possibles retrouvailles ?
Le texte vient de ce questionnement, et tente le rapprochement : nos vies bien françaises ne cessent de mêler l’intime et le politique. Nos existences, nos relations se tissent dans une toile dont l’arrière-plan n’est autre que le paysage politique en mouvement. A chaque table, dans toute rencontre familiale, ou amicale, au sein d’un couple même, il est question de ce champ de bataille, où l’on projette peut-être nos règlements de compte les plus personnels ou dans lequel on perçoit le vague reflet.
Récemment, je lis ceci dans l’ouvrage de Jacques Julliard, Les gauches françaises, paru en septembre : « les notions de droite et de gauche (…) sont en bout de ligne l’expression atténuée d’idées et de sentiments beaucoup plus forts, qui engagent la personnalité tout entière avec son histoire, sa condition, et pour ainsi dire son patrimoine génétique ».
Passion française, donc, éclairée par quatre personnages dans leur époque, c’est-à-dire maintenant, ou presque. 2006-2012. Comme un pan d’histoire. D’histoire de la gauche plus précisément. Pour Judith, Albertine, Chris et Paul, cette histoire les rassemble ou les oppose. C’est la matière vivante dont ils nourrissent leur proximité ou qui justifie leur éloignement.
Deux couples : pour l’un, Chris et Judith, la prétendue ou réelle neutralité politique de l’homme crée une tension dont on ne sait si elle est au fond l’origine du lien ou le point de départ de sa dissolution. En tout cas, la passion politique semble les réunir. Pour l’autre, Paul et Albertine, la politique ne cimente en rien la relation. Effet de génération, sans doute. Une quinzaine d’années les sépare. Dans les yeux d’Albertine, on perçoit l’intérêt, mais pas cette flamme qui consume son homme ou ses deux amis.
Les amitiés elles aussi sont traversées, parfois même percutées par le sentiment politique. Des divergences se font jour, et un beau matin, la concorde n’est plus possible. Ou alors, on passe outre, mais le malaise persiste. Aller y regarder de plus près, observer les connivences, les évitements, les lignes de partage et de fuite et sonder du même coup ce qui fait le mystère du rapport entre deux êtres, deux hommes, deux femmes, un homme et une femme.
Le texte avance dans cet entrelacs de l’intime, de l’amical et du politique et l’actualité n’a de cesse de l’alimenter et de donner matière à ce qui le traverse déjà : le désenchantement.
Mais c’est là, à ce point qui voit sa fin toute naturelle s’approcher, que le texte me surprend une fois de plus parce qu’il ne se donne plus seulement en mots mais en images. Nous sommes à la fin novembre 2011.
En quelques mois, je suis passée du doute initial (une écriture qui s’est interrompue face à une vie qui s’en va) à la certitude qu’il y a là matière à un film et peut-être même à une utopie de vie et de cinéma, tout au moins à ma propre définition de cette utopie : réconcilier toutes les dimensions d’une existence, mêler le texte, l’image, les passions et les lieux quotidiens, la famille, les engagements, les désillusions, les amitiés, l’histoire personnelle, la grande histoire, les générations, le couple.
Un film politique qui s’adosse à l’histoire immédiate, mélange les genres et brouille les pistes. De l’impur dans un monde à la recherche de pureté, et en quête, soi-disant, de sens.
Pour faire un film, pour faire ce film, peut-être, j’attendais que la vie soit passée par là. Pour rire, il y a quinze ans déjà, mais encore petite fille, je m’étais promis : quand tu seras grande, quand tu auras plus de quarante ans, ce sera le moment.
La vie, et la mort aussi, sont passées par là. Alors voilà : l’aventure peut commencer.
Il était temps qu’une femme signe un papier au sein la règle du jeu.
Mais vous êtes encore loin de la parité…
Qui est cette sublime jeune femme?
C’est intéressant de voir la genèse d’un film. J’ai lu tout dernièrement le journal de tournage de La Cittá delle donne, de Fellini.
Presque plus intéressant que le film lui-même.
C’est passionnant de voir la façon dont Fellini organise les choses. Le passage du texte aux images. Les choix, les doutes, les adaptations, les douleurs, les joies de la création…