Un combat de gladiateurs. François Fillon, dans le rôle de Draba. Jean-François Copé, dans le rôle de Spartacus. Voilà ce à quoi l’on s’attendait : une reprise du combat du film de Kubrick. Un affrontement tendu, et un Fillon vainqueur qui laisserait la vie à Copé.
Voilà ce à quoi l’on n’a pas eu droit. A la place, on a eu un combat de gladiateurs, mais sans réel affrontement. Un combat de gladiateurs, mais sans épée ; un combat à celui qui respecterait le plus son adversaire, à celui qui lancerait les fleurs les plus sublimes à son opposant ; un combat de sympathie et de félicitations, un combat d’autosatisfaction et de congratulations ; surtout, un combat encore plus vide que d’habitude, vide d’intérêt et vide de contenu. Il ne s’agissait que de célébrer la droite, avec de nombreuses évocations de Nicolas Sarkozy, homme qui a donné à Copé une « véritable leçon de vie » – à défaut de lui accorder un cours de rattrapage en politique. Il faut dire que ces hommes semblent en avoir bien besoin, de câlins, tant ils trompent et mentent en permanence pour être aimés de tous.
A ce petit jeu, Copé (« On est chacun dans nos meetings respectifs en train de dire qu’on est des gens extraordinaires ») s’est comporté en vrai champion. Il a réussi à faire l’éloge de son concurrent en même temps que le sien ; alors que Fillon s’est contenté d’un « Je n’ai pas d’adversaire dans cette campagne » bien faiblard.
On a, malgré tout, pu entendre quelques petites piques inoffensives. Difficile, en effet, de montrer une passion aussi dévorante lorsque l’on se déteste autant. Mais ces débordements furent très limités, et sont tous restés sans réponse. Ceux qui voulaient voir le scalp de Fillon ou de Copé devront encore attendre : ce fut, jeudi soir, un quasi-dîner aux chandelles. On a, en quelque sorte, assisté à de l’anti-catch : alors que le catch simule la haine entre les combattants, Fillon et Copé ont simulé leur amitié.
Paradoxalement, Fillon fut le plus « cinglant ». Ainsi, Fillon, après avoir prétendu que « vous n’avez entendu depuis le début de cette campagne, dans ma bouche la moindre formule qui puisse être désagréable à l’égard de Jean-François » [sic], a décidé de dégainer quelques flèches, taxant Copé d’ « hypocrisie » et réfutant l’affirmation de Copé selon laquelle « le PS et le FN sont la même chose » (sans pour autant se positionner en faveur du front républicain : question de logique).
Ce fut – aussi – un combat à celui qui attaquerait le mieux le protagoniste absent, c’est-à-dire Hollande. Non pas en argumentant sur les questions sensibles, parce qu’aucun des deux ne semble avoir d’avis construit sur ces questions ; mais simplement en adressant à Hollande de vagues reproches, sur tout et rien à la fois – parce que rien, c’est déjà beaucoup – ; un désaccord entier et complet avec son programme, mais sans rentrer dans les détails, parce qu’ils ne sont pas là pour ça. Un combat, mais pas un combat de pensées ; parce que c’est has been ; parce que discuter d’idées et de solutions serait complètement incongru dans un débat politique ; parce que cela ennuie(rait) l’audimat. Et, lorsque les attaques furent plus explicites, l’angle choisi a toujours été de mauvaise foi ; en effet, les angles d’attaque plus pertinents n’ont pas assez de charme aux yeux de nos deux combattants. Ainsi, Copé qui affirme que François Hollande « fait monter le Front national avec des sujets qui agacent les Français comme le droit des votes des étrangers », théorie qui a le mérite de n’avoir aucun sens : comment est-ce qu’un projet aussi opposé au Front national pourrait être la preuve d’une « alliance objective » ? Ainsi, Copé toujours, qui évoque le terrible mariage entre le Parti socialiste et le Front de gauche (qui serait donc, par ricochet, allié avec le Front national) ; mariage si profond que le Front de gauche ne fait pas partie du gouvernement ; mariage si fusionnel que Jean-Luc Mélenchon a parlé, de « cents jours pour presque rien » pour les débuts de Hollande. Ainsi, Fillon – pour changer –, qui, en discutant du mariage homosexuel, nous dit « Et même si, comme François Hollande, je pensais que ce texte est juste, eh bien, je ne le mettrais pas en débat maintenant […] Pourquoi? Parce qu’on est dans un pays extrêmement divisé, fragilisé et qui doute de son avenir » ; prétendant ainsi que le progrès sociétal ne doit être recherché que lorsque notre société n’en a pas réellement besoin.
Fillon, qui avait plus de mal à accepter le romantisme de la soirée que son « ami », s’est même mis à blesser un autre protagoniste. Il lui a planté un poignard dans le dos sans vraiment le faire exprès, en trébuchant, débordé qu’il était par son aversion envers Copé. Citation : « Repousser les plans sociaux après les élections? C’est absolument faux! Nicolas Sarkozy a demandé qu’on repousse le plan social, mais pas l’annonce du plan social. C’est un choix politique. » La première hypothèse suggère que le plan social devait avoir lieu le lendemain de l’élection. La seconde, elle, sous-entend que c’est l’annonce qui devait avoir lieu le lendemain de l’élection, et donc le plan social seulement le surlendemain. Une nuance essentielle…
La soirée ne se résumait pas à cela. Les deux adversaires ne devaient surtout pas oublier de rappeler leur grandeur : c’était à celui qui contait le mieux ses authentiques exploits. Là encore, Copé a su mettre en valeur son héroïsme, commentant, au sujet du désormais célèbre pain au chocolat : « Ce n’est pas une généralisation absolue, ce ne sont pas des millions par jour. Mais ce sont, à chaque fois, des souffrances qui ne passent jamais au Journal de 20 heures. Faut-il ne rien dire? Je ne serai jamais de ceux-là. » Espérons, pour le bien de notre pays, que France 2 saura l’écouter, et parler un peu plus de viennoiseries. Mais ce n’est pas là le seul acte de bravoure de Copé. En effet, tel Rodrigue dans Le Cid, il nous explique être « monté » avec ses amis « à Paris faire cette loi sur l’interdiction de la burqa ». Cela a dû être un trajet très pénible pour un Copé qui était, à l’époque, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale et qui y passait donc une grande partie de son temps. Espérons qu’il ne se soit pas perdu en route… Fillon a, comme pour le reste du débat, choisi d’être plus sobre (quitte à parfois être plus sec). Il s’est contenté de rappeler son expérience (il faut ici prendre le mot expérience au sens large) de premier ministre, expérience qu’il estime précieuse.
Mais l’essentiel n’était pas là. En effet, le plus important du combat s’est passé après, sur twitter. Il s’agit, là encore, d’asseoir sa présence médiatique en se félicitant de la victoire (dans les deux camps) et en répertoriant les « bons mots » de son favori. La différence est pourtant de taille : sur Twitter, on n’a même plus à faire semblant de réfléchir. Les tweets ne sont qu’une reformulation de : « Je défends Fillon » ou de : « Je soutiens Copé ». Une sorte de discussion de comptoir géante qui étouffe encore davantage les vrais sujets.
Copé et Fillon ont évité la confrontation violente, certes ; mais ils ont surtout évité le débat.
Belle analyse.