Je m’adresse à tous ceux qui, comme moi, seraient tentés d’aller ce dimanche à la pêche, à la plage ou bien de buller aux champs. A tous ceux qui auraient préféré voter pour Jean-Luc Mélenchon, Dominique Strauss-Kahn, François Bayrou, Eva Joly, Nicolas Dupont-Aignan et même Marine Le Pen, car l’heure est, pour le coup, au rassemblement. A ceux qui n’attendent rien du vote, ni même de la démocratie. Aux aquoibonistes. A tous ceux qui pensent que la politique n’a pas particulièrement d’influence sur leur vie quotidienne et qu’à tout prendre, l’issue du scrutin ne fera pas davantage de différence que bonnet blanc ou blanc bonnet. Aux déçus, aux blasés, à presque tout le monde en fait, à ceux pour qui voter représente la dernière naïveté. A tous ceux qui pensent que voter ne va rien changer.

Un candidat nous déclare cependant : « le changement, c’est maintenant ». C’est son slogan. Il vaut ce qu’il vaut.

Et si nous le prenions au mot ? En considérant que ce vote est décisif, car il nous demande un effort : celui d’y croire encore. Par le vote en François Hollande, nous pouvons donner une investiture, c’est-à-dire investir ce candidat de tout l’espoir que nous avons décidé de nous donner, celui d’un véritable désir de changement.

Si nous portons François Hollande au pouvoir, d’une manière franche et massive, c’est pour exprimer quelque chose. Ce n’est pas seulement contre Nicolas Sarkozy, car cela ne suffit pas et nous ne voulons plus nous contenter de « voter contre ». Nous réclamons davantage de contenu. Il n’est même pas certain que les électeurs de Jean-Luc Mélenchon se plient tous de bonne grâce à ce mot d’ordre minimaliste, aussi grande soit l’aversion qu’ils éprouvent à l’encontre du président sortant (et si tant est qu’ils n’aient pas quelques arrière-pensées trotskystes, en préférant la chienlit à une social-démocratie propre à endormir toute volonté proprement révolutionnaire). A quoi bon en effet voter contre, si l’on ne nous propose aucune alternative ?

La fonction fait l’homme, comme elle crée l’organe. On a dit François Hollande « mou », on l’a affublé du surnom de « Flamby », on l’a taxé d’être sans envergure. Or, dans certaines occasions, un homme se transforme et se révèle à lui-même ainsi qu’aux autres. C’est la rencontre d’un homme et d’une situation qui crée un destin. Un certain esprit de la France peut inspirer François Hollande, s’imposer à lui et lui donner la force et l’autorité nécessaires à la juste utilisation du pouvoir qu’il brigue aujourd’hui.

C’est tout l’enjeu de ce pari. Il s’agit d’y croire malgré tout, pour que notre croyance influence et pourvoie aux carences éventuelles ou supposées du candidat. Le changement, en définitive, ce n’est pas lui, c’est nous. Il l’affiche : essayons ensemble de lui donner un contenu qui soit une feuille de route.

Le changement, au-delà du changement de Président, c’est une réorientation complète de la vie politique fondée sur nos espérances et qui permette de les nourrir. C’est l’honnêteté, d’abord, et la justice, mais c’est surtout la possibilité concrète d’une évolution. La volonté que la crise ne soit pas l’horizon indépassable de nos sociétés occidentales. Le déclin n’est pas obligatoire. La peur et la haine de l’autre ne sont pas les seules réponses à nos angoisses de déclassement. Il ne s’agit pas d’élever des frontières ou de fourbir des armes en vue de je ne sais quelle guerre contre les Maures, les Chinois, les Brésiliens ou les Indiens. Il s’agit au contraire de construire ce que nous voulons défendre en termes de valeurs et d’identité. La France est la création continuée, enrichie à chaque instant, d’une identité culturelle dynamique, forte et généreuse. Car identité et intégration sont intimement liées. La culture française est mixte, diverse, et se nourrit de l’étranger. La politique culturelle et l’éducation devraient être au cœur de notre modèle social d’intégration, pour offrir aux étrangers que nous accueillons un autre modèle culturel que celui que propose Marine Le Pen. La xénophobie n’est pas le plus joli visage de la France.

Quel sens peut donc avoir le vote François Hollande ? Ce n’est certes pas un blanc-seing pour 5 ans de pouvoir sans partage. Ce système présidentialiste est mauvais. Il faudrait d’ailleurs en changer pour évoluer vers une 6ème République. C’est une nécessité, car nos institutions ont achevé de se démonétiser. Le cirque médiatico-politique de ces dernières semaines l’atteste piteusement. Il ne s’agit pas pour autant de remplacer une clique sarkozyste par une clique hollandiste. Faisons le tri et poussons gentiment vers la sortie tous ceux qui se sont trop compromis dans l’affairisme et les copinages du business politique. Soyons vigilants sur la question de la probité. Il est hors de question de laisser le pouvoir aux mêmes lobbyistes, aux compagnies pour qui l’alternance ne représente au fond qu’une sorte de blague plus ou moins drôle n’ayant qu’un impact relatif sur le bénéfice. De même, rétablir une Cour mitterrandiste serait la pire des choses. Ici encore, le devoir d’inventaire s’impose. De Mitterrand, François Hollande ferait bien de garder l’autorité, une saine distance et une indépendance d’esprit face aux influences dont il sera l’objet. Pour le reste, qu’il s’inspire plutôt de personnalités comme Pierre Mendès-France, Lionel Jospin ou Pierre Bérégovoy, auquel l’hommage rendu à Nevers est à ce titre plutôt de bonne augure. Qu’il se méfie de ses amis « bling-bling » et calme ses penchants à cet égard, s’il en avait. Les 5 dernières années lui auront, nous l’espérons, servi de contre-exemple et de leçon.

Mais François Hollande aura également à se garder de toute démagogie ou de toute tentation populiste. Il est bon de reconnaître la réussite quand elle est juste. Ce n’est pas le fait qu’un patron gagne de l’argent qui est scandaleux, c’est qu’il le gagne en exploitant outrancièrement des salariés empêtrés dans un rapport de forces inégal et injuste. La justice sociale dans l’entreprise n’est pas une utopie et mérite d’être visée. Les patrons doivent être respectés en fonction de leur vertu, c’est-à-dire de leur compétence et de leur témérité entrepreneuriale (la virtù qui est au cœur de l’art du Prince, selon Machiavel) et non pas en vertu d’une rente de situation.  Ce pouvoir de direction doit être mérité à chaque instant et l’entrepreneur être un capitaine courageux et responsable, et non un négrier chargé de galériens enfermés dans la soute. Nous n’admirons pas la réussite des voyoutocrates. Nous souhaitons des patrons qui reconnaissent et rétribuent le mérite et le travail à sa juste valeur, sans mettre lâchement leurs pratiques antisociales sur le compte de la crise. Le travail n’a pas de sens quand il ne rapporte plus rien et qu’il devient une forme insidieuse d’esclavage.

François Hollande devra se garder des absurdités économiques entraînant des drames massifs. Il aura à combattre un capitalisme financier amoral tout en restant responsable budgétairement. Cela signifie justifier l’utilité de chaque euro investi et recourir à un endettement intelligent, qui ne perde pas de vue la notion d’équilibre, tout en ayant le sens des priorités, humaines avant tout. En bon père de famille, il saura quand il convient de s’endetter pour investir, et quand il faut au contraire épargner ou rembourser. Il aura pour tâche de qualifier la dépense publique, de la rendre plus efficace et plus juste.  Il aura le sens du rythme budgétaire.

Socialistes, nous le sommons de défendre les faibles sans pour autant devenir les prisonniers des syndicats quand ceux-ci dévoient le système et deviennent des institutions opaques. Certains syndicats doivent nettoyer leurs écuries d’Augias pour retrouver leur rôle de défense des travailleurs et d’artisans du dialogue social. François Hollande pourra ainsi écouter la rue sans se laisser conduire par elle, et transiger, négocier et trancher, pour le bien supérieur de la Nation.

Plus que tout, François Hollande a pour devoir d’aider la France à sortir de la dépression qui la mine. Il lui revient pour cela d’être compétent et surtout fidèle à ses engagements et à son sens de la justice. Il n’y a que le Président de la République qui puisse insuffler de l’espoir et de la fierté à la communauté nationale. « Le poisson pourrit par la tête » dit un proverbe chinois. Gageons que c’est également par la tête qu’il peut se régénérer, si le corps lui en donne l’inspiration, le désir et le pouvoir.

Que risque-t-on si l’on s’abstient, si l’on ne fait rien ? Nous risquons de retomber dans ce que nous connaissons déjà… mais en pire. Réélu, Nicolas Sarkozy serait conforté dans sa ligne dure et droitière, et pourra se prévaloir du score significatif du Front National au premier tour. On aurait pu, un temps, croire à un possible tournant social du règne de Nicolas Sarkozy. Dans une comparaison saisissante entre le Président sortant et Napoléon III que Victor Hugo appelait « le Petit », à « l’empire autoritaire » aurait pu succéder « l’empire libéral ». Mais Nicolas Sarkozy n’a jamais écrit De l’extinction du paupérisme. C’est le titre d’un ouvrage de jeunesse de Louis-Napoléon Bonaparte (1844). Le fond de Nicolas Sarkozy n’est pas bon pour ce pays. Son dynamisme a pu plaire, car il est habile, adroit, et parfois sympathique, mais il n’a pas la fibre sociale dont la France a besoin aujourd’hui pour retrouver une véritable confiance et une perspective d’avenir. Son cynisme et son autoritarisme sont dépassés. Si Nicolas Sarkozy repasse, ce qui est encore tout à fait possible, cela accroîtra le sentiment de désespoir qui accable notre pays et réveillera des tentations violentes. Les extrêmes, qui canalisaient les mécontentements, se radicaliseront, nous entraînant progressivement dans un climat de guerre civile. A la gueule de bois risque de succéder la colère. Bien malin qui saura alors la contenir.

Cette élection est bien un pari, dont l’enjeu est d’imposer à François Hollande la responsabilité de son mandat, et de lui donner les moyens de réaliser le changement dont il se prévaut. Je rêve d’un vote qui soit l’expression de cet espoir, et qui plus qu’un pouvoir donne à François Hollande une feuille de route et des devoirs, dont il aura à nous rendre compte. Nous veillerons au grain.

 

Un commentaire

  1. Beau texte, mais je m’abstiens 😉 et j’en prépare un aussi…