Mme Le Pen fait huer mon nom dans ses meetings.
Elle ne perd aucune occasion de m’abreuver, avec quelques autres, d’injures parfois ordurières.
Et cette nécrophage du mal français, cette femme qui n’aime parler de la France que pour la décrire abaissée, humiliée, souillée par une vermine imaginaire, cette amie des dictateurs arabes, des nostalgiques du nazisme autrichien, des factieux de tous pays, bref, des ennemis de son pays, a le culot de me présenter, de surcroît, comme un représentant de l’anti-France.
Tout cela n’a, en soi, guère d’importance.
Et il y a des gens auxquels, par principe, on ne répond pas.
Un point toutefois.
Un point, un seul – car il touche à l’essentiel et l’on ne peut pas, sur l’essentiel, laisser dire, et accréditer, n’importe quoi : la guerre en Libye.
Je passe sur le malin plaisir que prend la candidate au rictus gras à associer systématiquement mon nom à celui du président sortant. Cette association « libyenne » m’honore tant Nicolas Sarkozy aura été, dans cette affaire, exemplaire (déterminé, courageux, fidèle à l’idée que je me fais des valeurs de mon pays). Elle néglige juste le fait (mais ce n’est pas très grave) que notre compagnonnage aura, comme je l’avais toujours annoncé, duré très exactement le temps de cette guerre inédite, de ce sauvetage sans précédent de civils menacés de destruction par un Néron arabe : après quoi la politique a repris ses droits, chacun revenant à ses fidélités d’origine – dans mon cas, depuis quarante ans, avec plus ou moins de ferveur, la gauche.
Ce que je ne peux, en revanche, laisser passer, ce sont les points suivants.
1. L’idée que l’on aurait, en la personne de Kadhafi, abattu une dictature laïque, hostile au terrorisme. C’est absurde. Et le savent, pour ne parler que d’elles, les milliers de victimes de l’Ira irlandaise, des attentats de Lockerbie et du vol UTA 772, ou des attentats antisémites fomentés par les Abou Nidal et autres extrémistes palestiniens sponsorisés par Kadhafi.
2. L’idée selon laquelle sa chute aurait créé un désordre régional dont la guerre civile au Mali serait le premier épisode. Comme si le sécessionnisme touareg, lancinant depuis la révolte de Kaocen, au Niger, en 1916, datait de la mort de Kadhafi ! Comme si la question de l’unité territoriale du pays ne se posait pas depuis un demi-siècle au moins ! Et comme si, surtout, le millier d’ex-mercenaires kadhafistes passant la frontière en janvier, après la disparition de leur maître, posaient un problème au Mali (quand ils font la jonction avec les indépendantistes de l’Azawad) mais n’en posaient aucun en Libye (quand ils y semaient la terreur et y tuaient en masse).
3. L’idée, répétée jusqu’à la nausée, que la Libye post-kadhafiste serait la proie de divisions tribales qui auraient, entre autres effets, celui d’avoir déjà fait éclater le pays en deux, voire trois, entités. C’est faux, bien sûr. Et ce n’est pas parce que des délégués autodésignés ont, le 6 mars, unilatéralement annoncé la création d’un « Conseil provincial » sans ressources, sans pouvoir et aussitôt désavoué, d’ailleurs, par les forces vives de la population de Benghazi et de Tobrouk, que le pays serait déjà fédéralisé !
4. L’image d’une Libye que l’on aurait, en l’aidant à se libérer, livrée aux partisans de l’islamisme radical et de la soumission à la charia. Faux, encore. Ridicule et faux. Un responsable, un seul, Mustafa Abdeljalil, s’est exprimé, pour le moment, en ce sens. Il l’a fait, le 13 septembre, lors d’un meeting, à Benghazi, où il a effectivement émis le vœu de voir les lois civiles décrétées nulles et non avenues si non conformes au commandement divin. Mais c’était une opinion personnelle. Il n’avait ni le pouvoir ni même la prétention de se substituer à l’Assemblée constituante qui, seule, aura mandat de dessiner les contours de la future Libye. Et il est à noter qu’aucune autre personnalité libyenne, aucune autorité morale ni politique, n’a repris cette proposition à son compte.
5. Et quant à la description, enfin, d’un pays livré à l’arbitraire, quand ce n’est pas à la sauvagerie, de milices sur lesquelles les autorités n’auraient aucun contrôle, il faut l’ignorance crasse des « experts » du FN pour l’avoir mise dans la tête de la pauvre candidate. Il se trouve que je suis, avec mon ami Marc Roussel, coauteur de mon futur film sur la révolution libyenne, récemment retourné à Tripoli. Alarmés par des rapports d’ONG faisant état de mauvais traitements infligés par les vainqueurs aux vaincus en attente de jugement, nous avons exigé d’entrer, puis de filmer, dans les prisons de Misrata. Et je rassure ceux que le pilonnage de la désinformation pourrait avoir ébranlés : il n’y a pas de check-points à chaque carrefour des villes libyennes ; on y respire un air de liberté dont on avait, depuis quarante-deux ans, oublié jusqu’au souvenir ; et les geôles de Misrata ne sont ni le goulag ni, surtout, les mouroirs qu’elles étaient du temps du « Guide ».
Que Mme Le Pen, fidèle, sur ce point comme sur tant d’autres, à son père, soit nostalgique des tyrannies, qu’elle pense que le monde arabe est voué à l’humiliation et à l’esclavage, qu’elle se refuse, par exemple, à avoir un mot, un seul, de compassion pour ces civils de Homs et d’Alep qui sont dans l’exacte situation où seraient ceux de Benghazi si la communauté internationale n’avait, sous l’impulsion de la France, réagi avec force et célérité, c’est son droit. Mais c’est le mien de m’insurger quand je la vois salir, à longueur de journée, l’événement le plus incertain mais le plus prometteur de ce début de XXIe siècle.
Ces nouvelles de Libye me rassurent en m’assurant que la charî’a des millénaristes n’a que peu de chances de venir empêcher l’édification d’une synagogue sur le sol de Benghazi. Mais après une intervention telle que celle qu’un certain nombre d’entre nous, en France ou ailleurs, ont soutenu avec une ferveur qui se manifestait jusque dans la prudence, je dois avouer qu’on a peine à comprendre que les rencontres au sommet entre les dirigeants des principaux pays protagonistes de cette guerre, une guerre contre l’un des précurseurs les plus accomplis de l’hyperterrorisme, une guerre défensive car celui qui tira le premier sur l’autre fut celui des deux qui avait démontré d’un certain goût pour la mort, ne se soient pas multipliées. Je dis cela, et je pense immédiatement à l’hypersensitivité d’une période post-tyrannique où une humanité tremblante doit réapprendre à frissonner pour des raisons moins terrorisantes que la terreur elle-même, et là, je suis pris de l’envie de me taire.
Quant aux injures de la figurante d’À mort l’arbitre que par inadvertance, Mocky aura laissée s’échapper de sa boîte, la tradition veut qu’un soldat de la république se les accroche à la poitrine.
1. L’idée que l’on aurait, en la personne de Kadhafi,..
2. L’idée selon laquelle …
3. L’idée, répétée ..
Encore une anaphore?…
« on y respire un air de liberté dont on avait, depuis quarante-deux ans, oublié jusqu’au souvenir »
ça me rappele un air (est-ce un plagiat?)
« Ah monsieur d’Ormesson
Vous osez déclarer
Qu’un air de liberté
Flottait sur Saïgon
Avant que cette ville s’appelle Ville Ho-Chi-Minh »