Cette accablante adaptation du célèbre conte est une adaptation qui se voudrait conforme au monde de la modernité posé d’emblée, ici, par un contraste au forceps, comme appauvrissement, désillusion. D’où, produire un conte à notre époque désenchantée a impliqué de nos « adaptateurs » non moins désenchantés, d’y inclure, par mimésis, une dimension comique et des traits également vulgaires, ces supposées idiosyncrasies de notre triste modernité. Sauf que la réalité moderne est plus riche, parce que bien plus rude, que ce postulat trivial sur lequel est construit Blanche Neige, et qu’il n’y a nul lieu, en son sein, de prendre, comme ici, les contes à la légère.
L’adaptation conserve le décor du conte des frères Grimm, avec le château, la forêt enneigée, les paysages féeriques. Toutes choses qui ne suffisent en rien à rendre la rudesse d’une histoire où la vie même était censée se jouer. Pour commencer, le Prince Charmant, dans le film de Tarsem Singh, est transformé en parfait benêt, sans rien de la noblesse de celui qui apparaît fugitivement à la fin de l’histoire, réveillant la princesse endormie. Dans le conte des frères Grimm, ce Prince était un ultime recours, un sauveur, une sorte d’étoile filante. Il est devenu ici, par la grâce des studios de Hollywood, un personnage de série américaine, genre Ken de Barbie. Pas davantage, la simplicité du conte n’est respectée dans le film, qui comporte moult histoires annexes et personnages secondaires dont nous n’avons que faire, tel le valet de la Reine. Car, signant le soucis des scénaristes de démocratiser l’héroïsme, les nains et les serviteurs font preuve d’autant de bravoure que le Prince. Qui, en conséquence, n’a plus rien d’un héros singulier. La lutte étant collective, elle ne traduit plus rien de l’angoisse et de la terreur propres au conte de fées. Dans le récit des frères Grimm, Blanche Neige croquait la pomme, le fruit défendu, symbole de l’accès de la jeune fille à la sexualité. C’était l’adolescence qui était décrite, ses craintes, horreurs. Le conte vénéneux contenait le poison que chacun de nous a en soi. Il agissait comme une guêpe, il piquait, et, in extremis, nous délivrait de nos peurs, comme d’un cauchemar dont on se réveille. Le film, lui, n’est qu’une comédie, ce n’est plus un conte. Il illustre une époque où, de moins en moins, on ose user de la cruauté pour transcender le quotidien.
Le sommeil de Blanche Neige — où on a lu à tort la passivité féminine — est absent au film. Le Prince ne tombe pas amoureux de la Belle endormie en découvrant son corps dans un cercueil de verre. Son esprit n’est pas plongé dans un sommeil dont n’émergerait que l’âme. Nous avons affaire dans ce Blanche-Neige normalisé à un monde où les personnages sont dotés d’un caractère comme vous et moi, à la place du monde idéal où les êtres se voyaient sublimés, simplifiés à l’extrême. On a substitué à l’enchantement du monde un univers où l’esprit est roi.
Aux antipodes de ce qui est fait ici, il ne fallait pas craindre de montrer aux enfants le monde comme un spectacle cruel, plein de terreurs et d’angoisses, la lice de tous les dangers. Telle est, de tous temps, la vraie vocation des contes. L’enfance est l’un des âges les plus troubles de la vie. Le film, lui, la transforme en âge bête. Les enfants ne sont pas ces adolescents qui s’abrutissent devant la télévision. Ce sont les êtres les plus subtils parce que les moins innocents. La perception de l’enfance en dit long ici sur l’époque et la manière moderne de réagir aux craintes et aux douleurs de la condition humaine à ses débuts, jetée sans crier gare dans le tohu bohu du monde.
Non, nous ne sommes pas encore totalement amorphes. Il y a grand tort à croire que notre monde n’a plus rien de terrible ni de féerique, et que l’un se dit, s’apprend et s’exorcise par l’autre.
On ne regrette cependant pas que soit montré aux petites filles un monde où elles ne sont plus passives (car c’est bien de ça dont il s’agit quand elles dorment en attendant le prince sauveur) mais délivrent leur prince et se battent!
Un article bien ronflant pour nous dire que cette adaptation de Blanche Neige devrait être une resucée du dessin animé de Walt Disney. Et non, point de grincheux ou de simplet. Pourtant, Tarsem Singh n’utilise aucun artifice, pas de 3d, pas de performance capture ou de motion capture, le prince est un niais, même la bête est amusante, la reine est pleine d’humour et Blanche Neige adorable. Que demander de plus ?