Le premier film de Sophie Schoukens est le récit d’une reconstruction.
Marieke perdit son père quand elle avait huit ans. Elle en a vingt, travaille dans une usine de chocolats et additionne les aventures avec des hommes âgés, clichés photographiques à l’appui. Sa mère refusant d’évoquer le passé, la rencontre d’un ancien ami de son père va l’éclairer sur la mystérieuse disparition qui a marqué son enfance et sa vie. Les éléments qu’elle rassemble ne nous sont pas divulgués. Car le film est d’abord l’histoire d’un monde qui, peu à peu, reprend sens à ses yeux.
Les dialogues nous en apprennent peu, s’effacent derrière une réalité aride, semblent privés de signification. Souvent presque inaudibles, sans portée narrative, ce sont des conversations banales, et nous ne pouvons compter sur ce flatus vocis pour pénétrer la vie de Marieke. Les images, elles, sont beaucoup plus loquaces car, bien que saisies, de même que les paroles, sur le vif, leur incohérence nous plonge au cœur de la névrose de la jeune fille. Les plans fixes sont comme des cadres dont les protagonistes ne semblent pas connaître les limites, tant ils sont proches, parfois, de sortir du champ de la caméra. La fragilité de la construction illustre remarquablement le mal-être de Marieke, dont l’existence n’est rythmée que par son labeur dans la chocolaterie et ses aventures sans lendemain.
Le récit des diverses rencontres amoureuses de la jeune fille est mis au second plan, et leur faible incidence sur l’histoire accentue encore l’impression de flottement et d’inertie du personnage, au sein d’un temps sans but. Marieke emprunte une trajectoire tout intérieure, qui émerge rarement des tréfonds du mal-être. Quelques indices sont disséminés ici et là, comme ces visions de la jeune fille qui revoit son enfance, ou son père mort dans sa baignoire à l’eau teintée de son sang.
Ce n’est qu’à la fin du film, lorsque Marieke, prise de rage, dévaste une cuisine, qu’une émotion se dégage de la mystérieuse jeune fille. Enfin nous est donné le signal de sa guérison, de la fin de son apathie, illustrée par la révolte qui naît en elle et la révélation de son destin.
Marieke photographie différentes parties du corps des hommes qu’elle séduit. Une fois seule, elle les assemble et forme un corps unique qui est, on le comprend vite, celui de son défunt géniteur. Ce schéma freudien, par-delà son simplisme, est une manière de disséminer le corps du père dans chaque scène. Les images, une par une, portent la trace de cet être perdu. Il y a là une métaphore de la perte : on peut retrouver un mort puisqu’il est dispersé en tous lieux. Ce message d’espoir habite de part en part le film, qui ne se résout à aucune conclusion, à aucun jugement sur le personnage principal. Sa quête est personnelle et son but est, en toute chose, dans une même sombre attitude à adopter face au monde.
Comme nombre de premiers films, Marieke de Sophie Schoukens est parfois maladroit. Il manque de clarté, il manque de précision. Mais une vraie recherche esthétique l’habite. Et ce parcours vers les confins de l’au-delà donne à cette œuvre inaugurale une dimension quasi mystique.