Le film de Benoît Jacquot, un homme de cinéma qui se distingue par son talent à peindre une époque furieusement différente de la nôtre, met en évidence une question hautement contemporaine : à quel point la circulation de l’information conditionne la réalité ?

Les Adieux à la Reine s’articule autour de Marie-Antoinette, tout au long des jours qui précèdent et suivent la prise de la Bastille.

Sidonie Laborde, jeune lectrice attachée à la Reine, suit les événements depuis les coulisses de Versailles. Tandis que le château se vide peu à peu de ses occupants, un temps de latence s’instaure entre l’annonce de la Révolution et le moment où tous prennent conscience de l’évènement bouleversant. Dans cet entre-deux où le temps est suspendu, les personnages se croisent et s’entremêlent, sans comprendre ce qui se trame dans le réel et les guette.

Le thème de la communication est central au film. À notre époque où s’échange une quantité stupéfiante d’informations, réduites le plus souvent à leur strict énoncé, nous percevons dans ces Adieux à la Reine un monde, Ô combien, plus humain. Au lieu d’être sèchement échangées, les nouvelles prennent comme un visage, se teintent d’histoires personnelles et de sentiments. Plusieurs strates sont visibles dans le film, où se croisent le destin de la jeune lectrice, la passion de la Reine pour Madame de Polignac et la Révolution Française. Elles n’ont entre elles de cohérence que dans ce flou, où nul n’est sûr de rien, où nul ne comprend encore ce qui advient. La nouvelle des événements met des jours à parvenir à chacun. Certains faits, d’abord lointains, se rapprochent, puis s’éloignent à nouveau, pour enfin revenir. Il en est ainsi de la liaison entre Sidonie et le jeune gondolier, de l’imminence du départ, de la fuite. L’utilisation du zoom traduit cette intention de créer une impression de vague, puis de préciser le regard, pour ensuite dé-zoomer et revenir à un plan général. Nous adoptons de la sorte le point de vue de cette jeune servante, et nous nous promenons des greniers aux salons du château de Versailles, à la rencontre des différents personnages, non moins qu’à la recherche de l’événement central, qui n’est autre que la fin de la monarchie française. Les informations passent des Grands du royaume aux valets, sans distinction de rang et de classe, par un bouche-à-oreille qui forme une vaste chaîne humaine.

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Léa Seydoux, à droite, joue Sidonie, lectrice de la reine.

La Reine met du temps à dire adieu à sa servante, s’en éloigne petit à petit. Elle lui dévoile tout d’abord sa passion pour Madame de Polignac, blessant ainsi la sensibilité de Sidonie. Puis elle exige de la jeune fille qu’elle fuie en se faisant passer pour la princesse, ce qui humilie la jeune lectrice. C’est le contraire d’un adieu banal, rapide, brusque, mais destiné à ouvrir à des retrouvailles. Nous assistons à un départ lent mais définitif. Les deux femmes ne cessent de s’éloigner et de se rapprocher, jusqu’à la fin. Cet Adieu à la Reine n’est pas adressé à la femme-reine, mais à ce qu’elle représente, ce noyau autour duquel gravitent tous ces personnages, à la Cour.

Les interprétations de Kirsten Dunst dans le film de Sofia Coppola, et de Diane Kruger, toutes deux interprétant le rôle de Marie-Antoinette, sont similaires, tant, dans les deux œuvres, nous assistons progressivement à un départ et à l’effacement du personnage derrière l’Histoire en train de se faire. Dans les deux films, on ne nous montre pas le moment où la Reine quitte Versailles. En revanche, Benoît Jacquot, l’heure venue, fait partir hic et nunc Sidonie, son personnage principal – interprété par Léa Seydoux – qui fuit la Cour en compagnie de Madame de Polignac. Le départ de Marie-Antoinette, qui n’est pas celui de la chair, d’un corps mais de l’âme, restera, lui, symbolique. Dans les deux films, l’américain et le français, l’âme se perd à l’issue du récit.

Cette éclipse finale de la monarchie française, où chaque chose mettait du temps pour être et advenir, est à des années-lumière de nous, et le film de Benoît Jacquot illustre remarquablement cette révolution copernicienne inaugurée en 1789, avec l’accélération foudroyante de l’Histoire comme du temps et de la vie des hommes. L’Adieu à la Reine nous plonge au crépuscule d’une époque dont l’heure était passée, tout en nous invitant à reconsidérer le monde où nous vivons, en étoffant la réalité, tissée de mille liens.
C’est peut-être une façon de comprendre notre temps, de laisser mûrir ce qui nous touche.

2 Commentaires

  1. Dans « la régle du jeu » autre temps crépusculaire, d’un monde fini, ce sont des ombres qui rentrent au chateau à la fin du film – Ici aussi des ombres déguisées, et un chateau qu’on fuit.
    Patrick Altman

  2. Je sors de la projection du film – Et on pense plus qu’un instant à « la régle du jeu » de Renoir.
    Parmi bien des noms possibles pourquoi entend on citer le « marquis de la Chesnaye » ? Clin d’oeil de Benoit Jacquot ?
    On est aussi dans un film ou les relation maitresses suivantes sont importantes – et on repenses à « la régle du jeu » à propos de Lisette, Marceau disant à Schumacher « Ca n’est pas avec toi qu’elle est mariée, c’est avec Madame ».
    Comme Sidonie dont le lien avec la reine est semble t il indéfectible-
    Peut-être peut on aller plus loin dans l’analyse.

    Bien Cordialement
    Patrick Altman