Michel Wieviorka l’a souligné à juste titre : le sentiment antijuif baisse en France de manière continue, du moins son expression ouverte dans les termes de l’antisémitisme traditionnel d’inspiration chrétienne, ultra-nationaliste et xénophobe. Parallèlement, le nombre d’actes antisémites est retombé en 2011 sous la barre des 400, une baisse de 16,5% par rapport à 2010. Peut-on en déduire que l’antisémitisme est marginalisé ? Nullement. Tout d’abord un palier quantitatif a été franchi en 2000 avec la seconde intifada : le nombre des actes antisémites n’est jamais retombé au niveau d’avant cette période. Ensuite la progression de ces actes, en nombre et en degré de gravité avec la multiplication des violences aux personnes, s’est produite alors même que les gouvernements successifs ont agi avec détermination pour la combattre. Résultat : depuis une dizaine d’années les juifs engagés dans la vie communautaire vivent, dans les édifices culturels et les écoles confessionnelles, sous une protection policière constante qui, pour être efficace et bienvenue, n’en est pas moins le signe d’une situation anormale, unique dans l’histoire d’après 1945.
Ce « bruit de fond » que constitue la violence antisémite est souvent présenté de manière commode comme la transposition du conflit israélo-palestinien et des soubressauts moyen-orientaux. Il est vrai que les « pics » de violence se nourrissent de ce conflit. Mais en dehors de ces moments les attaques antijuives perdurent sans lien avec eux et l’affirmation du contraire permet trop facilement d’incriminer la responsabilité d’Israël dans l’antisémitisme. Le contenu même des préjugés antisémites mute. L’impact de la réislamisation des musulmans français par des courants conservateurs voire fondamentalistes est moins important que le déchaînement d’un antisionisme radical qui a perdu toute mesure et qui n’émane pas de nos seuls compatriotes musulmans, loin s’en faut. Quant un militant communautaire connu, qui a fait carrière en tant que fonctionnaire de l’Etat français, est qualifié par une association qui dit défendre la cause palestinienne de « fanatique intégriste, colon négationniste et affabulateur », quand les enfants Fogel assassinés, 11 ans, 4 ans et 3 mois respectivement, sont appelés « colons » alors qu’ils ne sont pour rien dans le choix idéologique de leurs parents, quand la nazification d’Israël s’accompagne de la confusion constante entre israélien, sioniste et juif, nous sommes face à tout autre chose que l’antisémitisme classique. Une des conséquences de ces excès est de réduire le champ du débat souhaitable sur le conflit israélo-palestinien. Le risque est aussi de ramener la critique d’Israël comme sa défense à des échanges d’anathèmes et à des postures indignes d’un échange intellectuel sérieux.
La négation de la Shoah, c’est vrai, n’est portée que par une petite secte dont Valérie Igounet, dans sa magistrale biographie de Robert Faurisson, dresse un portrait accablant. Mais l’antisémitisme trouve aussi de nouvelles formulations négationnistes. On conteste l’historicité de la présence juive sur le territoire internationalement reconnu d’Israël, le caractère juif du Mur occidental à Jérusalem et même la réalité de l’existence du peuple juif. Il n’est pas question ici de recherche scientifique mais de constructions idéologiques dont le résultat est plus pernicieux que la ficelle, décidément trop grosse, consistant à masquer l’ antisémitisme derrière la négation de l’existence du génocide. Il s’agit de dire que tous les juifs sont des israéliens réels ou potentiels, que la manipulation est leur méthode, la spoliation leur moyen et la domination leur but.
En France, pour minoritaire qu’il soit, ce travestissement du progressisme a une audience et une influence non négligeables. L’antisémitisme recule, mais ce qu’il en reste produit un résultat monstrueux.
Très bonne analyse. Il en faut de cet ordre pour démontrer cette « réduction du champ » de la pensée dont les antisémites et autres racistes veulent nous conduire. L’extreme droit a toujours fait ainsi avec les euphémismes, la métonymie, les boucs émissaires, etc. Il en convient à démasquer ces mécanismes chaque fois qu’ils se présentent.
Je tiens à préciser que mon dernier propos n’est pas une réaction au pétard mouillé de Rouen dont je n’ai eu connaissance qu’après l’avoir tenu. Mais ce que je puis affirmer sans peine, c’est qu’un déroulement identique, effectué par un ancêtre du RAID qui aurait opéré au temps de la création d’SOS Racisme, – génial instrument d’unification des fils migratoires composant la trame nationale conçu pour opposer une sérénité artisanale à une géopolitique mondiale entrée en perpétuelle convulsion et étirant le tissu social jusqu’aux déchirements, – eût immanquablement causé chez ma chienne de prof d’Histoire le réflexe vengeur d’une minute de silence à la mémoire du martyr de la police, et qu’à la différence des Rouennais, j’eus été le seul Caennais à me lever de ma chaise et sortir de ma classe. Je l’affirme, car je l’ai fait, à l’occasion d’un cours où était abordée la question de l’illégitimité d’Israël à partir de l’inexistence des Juifs en tant que peuple, – pas de suspension de prof; pas de propension de presse. Je n’ai jamais refoutu les pieds dans ce cours jusqu’au jour du Bachot dont je dus l’obtention aux seuls maîtres que je me choisissais dans les allées du XXe siècle, librairie mémorable entre toutes. Une dernière réflexion. La prof du lycée de Rouen connaît ses élèves. Or ses élèves ont quitté la classe aussitôt après qu’elle leur eut demandé de faire l’apologie du salafisme djihadiste en une prière laïque où le silence tient lieu de temple sans murs. Si elle s’était sue entourée d’une majorité de lycéens acquis à la cause qu’elle partage, elle ne se serait jamais sentie le devoir de venger la mémoire de Merah, aucun incident n’eût été remarqué, aucun professeur n’eût été suspendu.
P.-S. : La mise sur le même plan d’une minute de silence à la mémoire d’un terroriste et de la dénégation de l’État d’Israël pourra certainement choquer tous ceux qui appellent à ce que l’on importe pas en France le conflit israélo-palestinien. Leur indignation serait justifiée si le Jihâd islamique et l’antisionisme n’étaient consubstantiels l’un de l’autre, ce qui me permet de poser une question supplétive. La prise de distance de l’autorité palestinienne avec les revendications de Mohamed Merah signifie-t-elle une condamnation du terrorisme en tant que tel, ou sert-elle comme au lendemain du 11 septembre 2001 à écarter la condamnation éventuelle par la communauté internationale du terrorisme palestinien requalifié par ses alliés de «résistance nationale»?
Un ex-présentateur des JT de midi bombardé candidat à une présidentielle martienne, hurlait il y a quelques années en meeting : «Le Hamas vaincra!» Ce petit homme vert est fréquemment interrogé par ses anciens confrères sur les micro-événements de la campagne actuelle comme porte-voix du courant politique qu’il incarne. Médias dont la prêtresse du 20 heures de la première chaîne européenne opte, pour les défendre, de séniliser une accusation du président du CRIF concernant leurs responsabilités relatives dans la perception qu’ils donnent des victimes arabes du conflit israélo-palestinien, qu’elle qualifie de «polémique» attribuable à l’émotion du moment. La personnalité décrite par ceux qui ont côtoyé Merah désarçonne les commentateurs. Quand on souhaite ardemment tomber de son cheval, un rien vous fait chuter. Il disait toujours bonjour. Il n’hésitait pas à rendre service, par exemple, il avait aidé ses voisins à transporter un canapé. Et puis, les vidéos. Le sourire presque enfantin de Mohamed. Le sourire attendrissant de Mohamed tirant à bout touchant dans la tête d’Aryeh, 5 ans, de Gabriel, 4 ans. Le sourire attendrissant de Mohamed courant après Myriam, 7 ans, l’attrapant par les cheveux, posant son Colt contre sa tempe, et appuyant sur la gâchette. Je demeure persuadé de ce que la prévention doit de loin dominer la répression en matière d’éducation, et j’ajouterai ce nombre à la somme athéologique, ce nombre proéminent, ce nombre protubérant de membres du corps enseignant qui aurait pu signer des deux mains la déclaration de Mrs Ashton, hommes et femmes d’influence formés par les anciens compagnons de route de Pierre Goldman, ceux-là même qui alors qu’il se refusait à trahir l’idéal qu’il portait tellement mieux, tellement plus réellement qu’eux tous, l’ont rejeté dans l’angle mort d’un socialisme juif conduit à fuir d’un côté les manifestations antisionistes de ses camarades communistes, et de l’autre, les manifestations communautaires de la rue des Rosiers au moment de la guerre des Six jours. Leur influence sur la jeunesse française est considérable. Leur nombre n’est nullement négligeable.
Les méfaits du progressisme ne sont pas un reste mutant de l’Histoire de la droite. Ils appartiennent entièrement à l’Histoire de la gauche, laquelle se grandirait à ne plus repousser aux lendemains qui déchantent l’inventaire exhaustif de son bilan, néanmoins largement positif, ce qui à première vue devrait faciliter la tâche, et couper l’herbe sous les semelles pataudes qui écrasent ses pieds nus.
Je ne suis pas sur que l’antisemitisme « classique » baisse en France.
Un dernier sondage de l’ADL montre que 24% des Francais ont des sentiments antisemites , chiffres qui sont
en augmentation constante depuis le debut des annees 2000. En Europe c’st presque 40% de la population qui eprouve des sentiments antisemites classiques , avec des pics a 50 ou 70% dans des pays comme la Hongrie , Espagne ou Pologne , pays ou il n’y pas ou presque plus de Juifs.
Très bonne analyse et on fait quoi après ce triste constat ?? Il manque juste une petite chose essentielle a mon avis : L’europe se sert de ce conflit comme d’un exutoire a un passée qui ne passe pas. La Shoa crime Européen par essence est un fardeau bien trop lourd a porter, alors quoi de mieux pour se déculpabiliser que de rendre les Juifs odieux et nazis en les transformant en bourreaux……..