Philippe Lacoche : Le parti d’extrême droite, Le Bloc patriotique, fait penser au Front national. C’était, bien sûr, voulu ?
Jérôme Leroy : Je ne sais pas, en fait. Bien sûr que pour écrire ce roman sur l’extrême droite je me suis documenté sur le FN mais en même temps quand je suis entré dans l’écriture romanesque, Le Bloc Patriotique, c’est devenu autre chose. Un parti « archétype » de l’extrême droite française, en quelque sorte, et d’abord un objet fictionnel.
P.L. : Son leader, Roland Dorgelles, lui, est une manière de Jean-Marie Le Pen, à part qu’il est manchot, comme Blaise Cendrars, et pas borgne, comme notre singulier homme politique français. C’est bien sûr à lui que vous avez pensé, à Le Pen, en dessinant ce personnage charismatique?
J.L. : Je ferai la même réponse. J’ai forcément pensé à Le Pen mais évidemment aussi Dorgelles n’est pas Le Pen. Déjà l’itinéraire biographique n’est pas le même et mon Dorgelles est en plus lui aussi le symbole du leader d’extrême droite, grand orateur et amateur de baston. Le Pen est loin d’être le seul à correspondre à ce profil. Songeons à l’avant-guerre par exemple, ou à Poujade dans les années cinquante.
P.L. : Pourquoi lui avoir donné le nom de Roland Dorgelles qui rappelle le nom du très grand écrivain patriote, ancien combattant de 14 et communiste Roland Dorgelès ? Nos bons amis procureurs gauchos-bobos de la gauche molle, pétionnaires en pantoufles, communicants habiles, si loin de la réalité des usines et du chômage, qui s’indignent sans prendre beaucoup de risques, ne vont-ils pas encore aboyer en hurlant au complot «rouge-brun»?
J.L. : En fait, l’origine du nom, ce n’est pas Dorgelès dans mon esprit. Mais plutôt, et uniquement pour la sonorité, le nom d’un leader «agrarien» de type fasciste des années trente; Roland Dorgères qui était le chef d’un groupe appelé Les chemises vertes et assez bien implanté dans l’ouest de la France et je crois un peu en Picardie aussi. La gauche bien-pensante, de toute façon, si elle décide de faire semblant de ne pas comprendre ce livre, elle n’aura pas besoin de s’appuyer sur des détails. Elle sera sur un livre comme Le Bloc dans un procès d’intention global.
P.L. : Agnès Dorgelles, sa fille, est une sorte de Marine Le Pen mais vous dressez d’elle un portrait beaucoup plus clean, presque sympathique. Pourquoi?
J.L. : Le portrait d’Agnès Dorgelles paraît plus clean tout simplement parce que j’ai choisi de faire raconter l’histoire du Bloc à travers deux personnages dont Antoine Maynard qui est son compagnon et qui est fou amoureux d’elle. C’est même pour elle qu’il est entré au Bloc. Tout cela participe de ma part, en tant qu’auteur, d’une déstabilisation du lecteur. Je ne veux pas qu’il se trouve face à des caricatures. Il ne s’agit pas d’humaniser, il s’agit de montrer la réalité sous un autre angle. Pour la comprendre, pas pour excuser.
P.L. : Comment avez-vous travaillé pour parvenir à si bien décrire l’extrême droite de l’intérieur ? C’est si bien fait, les propos sont si dégueulasses, le racisme si finement analysé, qu’on en ressent parfois un malaise. Était-ce voulu?
J.L. : Oui, c’est voulu. Je veux, encore une fois, faire perdre des repères trop confortables au lecteur. C’est quoi le fascisme, c’est quoi l’extrême droite, c’est quoi le racisme ? Ceux qui s’y opposent depuis trente ans, enfin la plupart, ont fait de la morale et le résultat est là. L’extrême droite est à 20%. Ils se sont donc plantés. Il faut reprendre ça au début. Et le roman peut ça. Changer d’angle. Ne pas faire de morale. Sinon, j’ai travaillé avec 50% de documentation et 50% d’intuition, disons…
P.L. : Le personnage de Stanko, malgré ses convictions, est parfois émouvant. Fils de communistes, homo, fasciné par la violence, broyé par la mort de son père… N’aurait-il pas pu se retrouver dans les rangs des communistes, du PC d’avant Hue, ou chez les autonomes. Qu’en pensez-vous?
J.L. : Disons que tous ceux qui se sont retrouvés dans la situation de Stanko n’ont pas viré skins, puis exécuteurs des basses œuvres de l’extrême droite. Mais disons que les Stanko sont notre responsabilité collective, à nous tous, qui avons abandonné la classe ouvrière balayée par la crise économique et les débuts de la mondialisation. C’est bien dommage, parce que pour des tas de raisons, cela a coïncidé avec le déclin du PCF, un déclin dû à des tas de raisons. Il y a eu comme un appel d’air. La société comme la nature a horreur du vide. L’extrême droite a eu la stratégie du coucou avec le PCF, elle a volé le nid (et les petits). Quant à la gauche sociétale, la plupart des socialistes et tous les verts, le mot ouvrier n’appartient plus à leur vocabulaire depuis longtemps.
Le livre
Le personnage central, le héros, c’est Maynard. Maynard, c’eût pu être Drieu chez les communistes, et Vailland à l’Action française. « C’est un Drieu qui serait né dans les années soixante, et qui aurait le même goût des femmes, des livres et pour son malheur des idées politiques », reconnaît Jérôme Leroy. « Par la faute d’un dilettantisme qui peut passer en art mais pas dans le combat politique. Maynard, aussi, comme Drieu, est un peu lâche, en plus ». Autre personnage criant de vérité : Brou. L’auteur se serait-il inspiré d’un personnage qu’il aurait connu à Rouen où il a longtemps vécu. « Brou, comme beaucoup de mes personnages dans Le Bloc est un « compact » de garçons rencontrés effectivement au début des années quatre-vingt à Rouen et qui se la jouaient soldats sans causes et qui étaient d’extrême droite comme d’autres étaient punks » confie Leroy. Quand on lui fait remarquer que son roman, très politique, sort à quelques mois des élections présidentielles et qu’on lui demande si la Série noire l’a fait exprès, il pense que oui. « Mais en même temps, je crois que l’histoire du Bloc a un intérêt au-delà des circonstances. Ça raconte comment peut mourir une démocratie à force d’encaisser les chocs du capitalisme sauvage sur des décennies ». Et la présence récurrente d’Amiens dans son livre: « Juste parce que je connais un peu cette ville et que j’ai toujours besoin de lieu que je peux visualiser pour placer une action ! ».
Ph.L.
A savoir
Né à Rouen, Jérôme Leroy a été professeur de français dans différents collèges du Nord. Désormais, il se consacre uniquement à la littérature. Il est l’auteur de romans, de nouvelles et de poèmes. Il écrit des chroniques pour Causeur et Valeurs actuelles. Il a créé et dirigé la collection «novella sf» au Rocher.