De toutes les publicités vues, entrevues, depuis des décennies, c’est sans doute l’une des plus sordides, des plus pornographiques. Disons-le : des plus choquantes. Or, nous ne sommes point très faciles à choquer. Cette publicité, nous la trouvons en première page du Monde daté du mercredi 14 décembre 2011. C’est une publicité, cette publicité, pour le livre de Stéphane Hessel dont nous ne pouvons mais : Indignez-vous !. Une publicité qui (ce n’est pas le propos de mon indignation à moi de ce jour, mais je le souligne quand même, mais je le souligne malgré tout) annonce une édition « revue et augmentée ». L’indignation de M. Hessel faisait douze pages, elle en fera peut-être dix-huit. C’est que les motifs d’indignation ont dû eux-mêmes augmenter depuis la précédente édition – ou bien est-ce peut-être, ou bien est-ce sans doute que M. Hessel ne s’était pas suffisamment indigné dès le départ. Alors, il faut rectifier le tir. Édition augmentée : vous verrez, il restait de l’indignation, je n’avais pas tout fourbi, il me restait des munitions. Il me restait des cartouches. J’en avais encore un peu en réserve, de l’indignation. Et pour la prochaine édition, il y aura encore du rab au fond de ma casserole, au fond de ma gamelle indignée. Vous ne croyiez pas, tout de même, que j’allais livrer toute mon indignation d’un seul coup ? Edition augmentée : « achetez-la, vous n’aviez rien vu ».
Et puis édition « revue » surtout. M. Hessel est quelqu’un qui revoit, qui révise, qui rectifie, qui modifie, qui affine ses indignations. Dans la précédente édition, M. Hessel était indigné, mais pas suffisamment (« édition augmentée ») ; en sus, il était indigné, mais mal, mais moins bien que maintenant, mais moins bien que dans la nouvelle édition (« revue ») dans laquelle il s’indigne non seulement plus, mais mieux. Il s’indigne qualitativement mieux et quantitativement plus. Auparavant, il s’indignait comme tout le monde : maintenant, il s’indigne comme personne : il est devenu vraiment professionnel, il s’est spécialisé, il a progressé. Il faut donc ré-acheter le livre pour voir comment M. Hessel aurait dû s’indigner dès le départ. Si vous voulez vraiment tout savoir sur l’indignation portée à son paroxysme (provisoire), c’est cette dernière édition qui est utile : l’indignation de l’année dernière est déjà obsolète : on a trouvé depuis des manières de s’indigner plus efficaces, plus neuves, plus appropriées. M. Hessel a peaufiné son indignation. Il rigole, relisant ses indignations de l’an passé, de voir à quel point ce n’était pas de l’indignation sérieuse, mais de l’indignation bâclée. C’est, aujourd’hui, en comparaison de l’indignation de cette année, de l’indignation datée. L’indignation, ça s’actualise.
Mais cet exercice commercial, pour pitoyable qu’il soit, n’est pourtant pas le motif de mon indignation à moi. Il y a pire dans cette publicité. « Ceux qui marchent contre le vent » (les éditeurs) devraient s’intituler : « ceux qui marchent dans le sens des ventes ». Car voici ce que dit cette publicité (qui est honteuse, qui est scandaleuse, qui est dangereuse, qui est vénéneuse) : « ‘‘…pour nous, ce livre est l’ultime recours contre une situation atterrante.’’ , Noura Z., depuis Homs, ville martyre de Syrie. » Voilà. Vous avez bien lu. En Syrie, on meurt. On torture des enfants, on énuclée des fillettes, en Syrie on arrache les ongles des garçonnets ; on décapite des bébés ; on ébouillante des femmes, on empale des hommes – mais il est bien évident que ce petit livre est l’ultime recours contre les tortures, les meurtres, les viols et il est bien évident (bien naturel aussi) qu’on organise des soirées pour le lire, qu’on s’en récite des passages, que tout repose sur lui – comme il est bien normal, et si naturel, que des éditeurs utilisent ces morts, ces meurtres, ces trépanations, ces écartèlements, ces éventrations, ces empalements, ces noyades, ces fusillades, ces crémations, ces énucléations pour faire leur publicité ; la publicité d’un livre qui n’a nul besoin d’une Noura Z., douteuse et anonyme, qui « depuis » Homs, ville « martyre » viendrait dans un dernier souffle dire tout le bien qu’elle pense de M. Hessel et de sa maison d’édition.
Et quand bien même existerait cette jeune Noura peut-être déjà morte, peut-être déjà cadavre tandis que j’adresse tout mon mépris à Madame Sylvie Crossman et à M. Jean-Pierre Barou (j’épargne M. Hessel au vu de son grand âge – mais il eût dû faire interdire cette pornographie), quand bien même elle existerait qu’il ne fallait pas avoir recours à cette ignominie. Indignez-vous ! par son titre et sa « philosophie » (je veux être charitable, ici) en appelle (je crois) à la dignité – se servir indignement de la dignité, c’est pire que de se servir dignement de l’indignité (définition habituelle de la pub) : c’est se faire bourreau soi-même. C’est détourner du sang pour écrire avec ce sang des logos, des enseignes, des marques. C’est faire mentir la souffrance puisque c’est la faire parler en dehors de la victime : c’est de la ventriloquie. C’est un hold-up, avec de la douleur à la place de l’argent. Nous devrions, tous, nous indigner devant ce procédé de la société moderne pour qui les tragédies de l’Histoire deviennent des supports, des prétextes marchands – même les maux, et les mots provenant de ces maux, deviennent une valeur capitalistique, économique : il y a valeur ajoutée parce que la torture fait foi. Le supplicié, qu’on supplicie deux fois, doit hurler son calvaire pour augmenter le nombre des lecteurs de l’indignation augmentée de M. Hessel. On veut marquer du sceau de la tragédie, c’est-à-dire par le truchement du vécu, et du vécu récent, du vécu historique en temps réel, comme d’un label de qualité, et de crédibilité surtout, les pensées feutrées, écrites au chaud, d’un vieux monsieur que tout le monde s’accorde à trouver sympathique (et qui l’est assurément).
Pour 3 euros et 10 centimes, comme l’indique un cercle rouge bien visible et bien net, vous avez à la fois bonne conscience et un peu de sang syrien venu vous rappeler, en un clin d’œil, que vous êtes un rebelle, un indigné, un indigné revu et augmenté.
Tout est suspect chez ce monsieur Hessel, triste sire faussement modeste, content de lui, invité sur tous les plateaux TV. Sa voix doucereuse qui donne des leçons de vie à la terre entière sans compter la mise en avant de ses livres sur tous les comptoirs de librairie, de grandes surfaces tout cela donne la nausée et est grandguignolesque. Le public est là et en redemande et achète pendant que de vrais philosophes, de vrais écrivains et poètes ont du mal à faire entendre leur voix….Décadence quand tu nous tient…cet homme n’est pas épais : il est comme son livre…merci à Yann Moix d’essayer de faire entendre une autre vérité.
Il est tout de même drôle de constater que le seul et unique objet de l’indignation de M. Hessel n’est autre que le conflit israélo-palestinien. N’y a t-il rien d’autre vraiment? Non, non rien.
M. Hessel n’a trouvé qu’un pays démocratique à critiquer. Surtout ne pas montrer du doigt certains pays où l’on tue chaque jour, où l’on massacre chaque jour. Surtout éviter de désigner quelques pays à la tête desquels quelques tyrans trônent.
Un pays démocratique, avec toutes les réserves que l’on peut imaginer, ne vaut il pas mieux qu’une dictature sanglante? L’aveuglement est-il si fort chez Stéphane Hessel qu’il ne peut distinuer l’évidence?
N’ajoutons pas la stupidité et le mensonge à l’indignation que m’inspire Stéphane Hessel.
En 2007, Moix a publié hors-commerce un hommage personnel au judaïsme intitulé Apprenti-juif, d’abord paru dans la revue La Règle du jeu, dirigée par Bernard-Henri Lévy
Le 5 janvier 2009, Stéphane Hessel déclare à propos de l’offensive israélienne dans la bande de Gaza : « En réalité, le mot qui s’applique – qui devrait s’appliquer – est celui de crime de guerre et même de crime contre l’humanité »
Ceci explique, peut-être, cela…
je ne porterai pas de commentaire n’ayant pas lu cet ouvrage mais l’age ne peut il pas excuser les écrits…
» Nous devrions, tous, nous indigner devant ce procédé de la société moderne pour qui les tragédies de l’Histoire deviennent des supports, des prétextes marchands – même les maux, et les mots provenant de ces maux, deviennent une valeur capitalistique, économique… »
Absolument d’accord. Mais cette indignation-là monsieur Hessel ne semble pas avoir. C’est qu’il a l’indignation sélective.
(D’ailleurs pourquoi Moix l’épargne-t-il dans son article? On peut être vieux et C…..)
Peut pas mieux dire. BD
Heureuse de tomber sur ça. Je cherchais justement à montrer à une copine cette publicité.
J’avais pourtant aimé le livre. Non comme un « donneur de leçon » mais comme comme un témoignage personnel de vie.
Mon choc a été profond en voyant ça. Je suis intimement convaincue que monsieur Hessel n’y est pour rien et j’aimerais pourvoir être rassurée là-dessus.
Je doute que l’article ne cherche à parler du fond de l’essai de Stéphane Hessel, il critique avant tout la forme de commercialisation et s’indigne d’ailleurs lui aussi des atrocités commises; il s’agit avant tout d’une attaque contre les publicitaires de la maison d’édition de M. Hessel.
L’atrocité est surtout l’accroche qui profite de la répression en Syrie: l’indignation est un argument de vente, la mort des syriens le devient aussi par là-même, et chaque tué syrien supplémentaire devient un argument de vente du bouquin: c’est triste pour les syriens qui deviennent des commerciaux malgré eux et qui font face à des réalités où la vente de ce livre est le cadet de leurs soucis. Leur mort est exploitée à des fins qui ne leur profitent même pas.
Il n’existe qu’une obscénité. La bêtise emphatique de l’homme qui se place à la place de ce qu’il n’est pas, celle du Guide. L’homme qui non content de dissimuler à autrui sa contradiction intrinsèque, la dissimule à lui-même. Le délateur de la pornocratie est un petit branleur, un enculeur de mouches à merde eschatologique. Il pinaille, il ne fait que ça. Régler les comptes de monsieur le Comte pour mieux lui régler son compte. Or le comté céleste se régule tout seul. À la fin du sale temps qu’il leur fait traverser, il reconnaîtra les siens. Les encycliques et les encyclopèdes, ceux qui ne veulent rien savoir et ceux qui veulent tout voir. Toutes âmes en dedans, tous corps dehors, tout tenant tout en joug. Nous sommes devenus les webspectateurs de l’e-monde. Mais pour qu’il y ait spectateurs il faut que place fût faite pour le spectacle. Étaler le pire sous les yeux du meilleur, et vous avez créé les conditions idéales pour abaisser une âme durant un instant, deux ou davantage, au niveau de la plus basse de ses inclinations. Ainsi vous étalerez de la chair fraîche sur le rebors de la fenêtre virtuelle d’un affamé, que vous vous plairez à bannir dès le premier de ses reniflements. Vous irez le flasher quand il jouera au jokari avec ses yeux de Tex Avery, vous approchant de lui tel un prédateur domestique tourne autour d’une proie inerte, feignant de craindre un mouvement redoutable dont elle s’est assurée qu’il ne surviendrait pas. Et on s’amuse à se faire peur. Et on recommence, parce que ça manque dès que ça s’arrête. Et puis on se trouve en face de l’objet dont on devrait instinctivement avoir peur. Et on y réagit comme on le fait face au sujet de la peur. On s’amuse avec.
Par «délateur de la pornocratie» je fais allusion au dénonciateur des exhibitions du mal, lesquelles, bien trop malignes pour se laisser saisir, ont toujours procédé par imitation du bien, d’où quelques parallèles obscènes convenant aux indignes renversés sur eux-mêmes à la recherche d’une bonne conscience.
Le ventre bien noué à l(a larme) sédimentaire qui s’arrache à un monde toujours réel-à-soi, la souffrance intériorisée n’a pas la tête à intercaler, entre deux froncements d’intimidation comblant jusqu’à l’extase le socle bordé de gravats de son patriarcat, un sourire béat.
En «gross», au sein d’une société où tout devient spectacle, y compris la protestation contre le tout-spectacle, et où tout spectateur du Moi de transfert est transformé dans ce voyeur onanistique, ce suicidaire narcissique final, nul ne doit s’étonner de ce que l’empathie, ce sentiment de loin le plus intransmissible, soit vendue en pilules.
Vous essayez de noyer la verité en faisant silence sur des abominations perpetrées par les criminels que vos medias et vos dirigeants ne cessent de proteger…
J’adore le livre. Indignez-vous est beaucoup critiqué mais il est important de faire passer à monsieur tout la monde la notion de citoyenneté. Incroyable pari réussi dans ce livre.
Je regrette juste que Hessel n’appelle pas d’avantage au vote en tant qu’arme – c’est l’arme la plus forte – dans son livre.
Mais je dois dire que dans ce cas-là, je rejoins tout à fait Yann Moix.
Hessel n’est sans doute pas au courant de ce que ces publicitaires font. Il devrait se manifester sur le sujet.
Ce sont des publicitaires. pornocrates
ou d’indignes cons, en parlant du régime.
semantic porn ps: la fabuleuse histoire un digne con?
Pour moi ce qui est pornographique c’est toute l’ énumération que vous faites des sévices que le tyran syrien ferait subir à son peuple ..
Au fait, elles sont où les preuves de ces crimes que vous dénoncez ?
Du même tonneau que celles de BHL quand dans son dernier opus il parle de BOMBARDEMENTS sur la ville de Tripoli ?
» On décapite des bébés » …
Tout cela me fait penser aux bébés sortis de leurs couveuses et jetés par terre par les sbires de Saddam Husseïn ..
Lisez le rapport rendu par François Zimmeray, Ambasseur des Droits de l’homme, au sujet de la Syrie. Une abomination. Les preuves y sont. BD
Yann Moix s’indigne, à son tour. C’est fou ce que Stéphane Hessel s’est attiré d’antipathies depuis qu’il a osé critiqué la politique israélienne.
Le prochain livre de Yann Moix, Alignez vous !
A la lecture rapide de la première édition, il est tout de même difficile de comprendre en quoi les motifs d’indignation de Stéphane Hessel seraient de nature à soutenir les révoltés syriens.
Sans doute ce slogan publicitaire, et votre article, Yann, le démontre, est-il devenu un cri de ralliement pour toutes les indignations, de celle naît de la baisse du pouvoir d’achat à celle provoquée par les massacres orchestrés par des dictateurs !
Cela ne peut que troubler: le simple intitulé a dépassé le contenu du feuillet et vient par lui-même à l’existence.
Il a suffi littéralement de deux mots pour faire jaillir les gens de leurs fauteuils remplis de colère.
Le terme « indignés » vient à désigner cette « vrac-itude » qui bouge depuis qu’elle a un nom.
De quoi l’indignation est-elle le mot ?