Les joueurs de rugby sont encore parfois comparés à de belles bêtes tout en muscles, impressionnants paquets de viande pure, mixte d’hommes et d’animaux de concours, mastodontes fonçant dans le tas embrocher l’adversaire, demis de mêlée et piliers forts comme un bœuf, voire deux ou davantage. Pour autant, à la différence des boxeurs qui, avant chaque match, pour se donner du cœur à l’ouvrage, se gorgent symboliquement de sang, engouffrant un énorme pavé de viande bien bleue comme s’ils mangeaient tout cru l’adversaire à venir, le rituel des joueurs de rugby ne relève en rien d’une pratique carnivore. Tout juste, à onze heures du matin, le déjeuner précédant le match est-il inévitablement composé d’un steak-purée. Rien que de plus banalement convivial que ce steak-purée sans prétention entre membres d’une même équipe. Aucune charge symbolique. On pourrait presque dire un plat popote. Rien à voir avec ces grands carnassiers de boxeurs. La force, oui ; pas l’instinct du sang. Le pack, dans un match de rugby, n’est pas sur le terrain pour « dévorer » l’adversaire, le bouffer tout cru, mais, plus simplement, pour le défaire puissamment dans les règles.
À cette sage tradition du steak-purée (aujourd’hui quelque peu battue en brèche par les diététiciens du sport), deux exceptions. Un jour de jadis, l’équipe des All Blacks venue affronter les nôtres demeurait à l’hôtel Lutétia, à Paris. Un employé de l’établissement, fou de rugby et à l’entière dévotion du capitaine des All Blacks, une légende vivante à laquelle il portait un véritable culte, ne cessait de lui demander ce qui pourrait lui faire plaisir. Fatigué de ces préventions à répétition, l’intéressé finit pas répondre au : « Qu’est-ce que je peux faire aujourd’hui pour vous ? » de l’employé, par ceci : « Eh bien, procurez-vous un bœuf pour mon déjeuner, enlevez-lui les sabots, les cornes et la queue, et mettez le reste dans mon assiette. »
Ce qui était une plaisanterie gargantuesque à Paris est, en revanche, une stricte réalité sur les bords du Río de la Plata, à Buenos Aires, en Argentine. Là-bas, on fait cuire des vaches entières, comme ici on cuit un steak. Cela s’appelle un asado. C’est un barbecue géant. Et c’est la meilleure viande du monde. Toutes les vaches argentines vivent en liberté. Comme on dit, « elles ont vu le soleil ». Et ce, tous les jours de l’année.
Je rentre d’Argentine avec les Barbarians, une sélection de joueurs de tous les clubs français, qui ont affronté les Pumas, l’équipe nationale d’Argentine.
C’était amical et sérieux. Et j’ai mangé la meilleure viande du monde.