On se souvient sans doute d’Asia Bibi arrêtée le 14 juin 2009, condamnée à mort au Pakistan pour blasphème. Femme d’une quarantaine d’années, chrétienne et mère de cinq enfants, elle s’était rendue « coupable » d’avoir offert un peu d’eau à deux musulmanes. Dans la dispute qui s’en était suivie, Asia Bibi avait affirmé que Jésus était mort sur la croix pour les chrétiens, puis demandé ce que le Prophète, quant à lui, avait fait pour ces femmes. Suite à son procès en première instance où elle fut condamnée à la mort par pendaison, elle fit appel en novembre 2010. Elle vit depuis emprisonnée dans des conditions indignes et infamantes.
Extrêmement médiatisée au Pakistan et en pays anglophones, cette affaire commence seulement à bruisser en France grâce au témoignage qu’elle publie ces jours-ci à Paris sous le titre Blasphème. L’indignation que suscite cette affaire vise, au-delà du cas d’Asia Bibi, une loi pakistanaise de 1986 interdisant rigoureusement toute parole jugée irrévérencieuse à l’égard de la religion coranique. Souvenons-nous que le Gouverneur musulman du Penjab, Salman Taseer, fut assassiné pour avoir pris fait et cause pour Asia Bibi. Que le même sort fut réservé au ministre des minorités Shahbaz Bhatti, catholique par ailleurs.
Blasphème a été écrit par Anne-Isabelle Tollet, grand reporter en poste au Pakistan, à partir du témoignage d’Asia Bibi. Anne-Isabelle Tollet ayant pu à maintes reprises rencontrer Asia dans sa prison et longuement enquêter sur la condition des chrétiens en terre islamique.
Cet événement dramatique ne rappelle que trop les accusations fallacieuses portées à l’encontre des juifs au cours de ces deux millénaires de civilisation chrétienne. Aujourd’hui, ce type d’accusations connait un regain dans des civilisations religieuses revenues à des pratiques fanatiques, détournant ici le message de l’islam, là de l’hindouisme. On voit même dans certains milieux chrétiens ou juifs, certes minoritaires, un penchant à nourrir la haine de l’autre de manière tout aussi démente et aberrante.
Depuis cette fameuse loi pakistanaise de 1986, de nombreux observateurs chrétiens ont dénombré non moins de mille victimes accusées du délit de blasphème, dont nombre de musulmans tentant de se libérer de l’islam radical.
Nous nous sommes récemment fait l’écho, ici, du procès qu’Arundhati Roy intente depuis de nombreuses années aux différents gouvernements hindous de New Dehli pour ces crimes d’Etat (ou couverts au sommet de l’Etat) qui ont eu lieu en Inde. Il s’agit aujourd’hui du Pakistan même si nous n’oublions pas pour la cause les crimes commis partout ailleurs au nom de cette loi sacro-sainte.
Que des musulmans et musulmanes de notre temps osent braver la fatwa et la mort pour dénoncer les crimes commis au nom de lois islamiques comprises de façon criminelle, est tout à l’honneur de l’islam. L’urgence aujourd’hui est de sauver, parmi tous les autres chrétiens et musulmans, parmi tous les autres croyants appartenant à d’autres minorités religieuses, et persécutés en terre d’islam (ou ailleurs) au nom de leur foi, cette femme pakistanaise, Asia Bibi.
Le 21 novembre 2010, une association pakistanaise, All Pakistan Minorities Alliance, a dénoncé la condamnation à mort d’Asia Bibi et demandé l’abrogation de cette loi.
Que la sortie de ce livre-document apporte à ses avocats de nouvelles preuves de son innocence.
[1] Oh ! Editions – 192 p. – 16,90 euros.
Je soutiens la cause d’Asia
Ce qu’ignorait Asia, la deux fois hérétique, c’est que la sagesse de son geste elle ne la puisait pas dans ses sources, mais dans les sources de ces sources. Et si Abrahâm a envoyé son serviteur chez son neveu afin qu’il en ramène une épouse pour son fils, il fallait que la paganicité du clan de Harân auquel il s’était soustrait ne constituât pas un obstacle à ses yeux. Car la sagesse de Ribca ne tarda pas à se manifester, instantanément même, lorsque l’eau qu’elle venait de puiser lui apparut destinée à l’inconnu qui venait de lui apparaître, puis qu’elle redescendit emplir sa cruche à l’intention d’en abreuver ses chameaux épuisés, renouvelant son geste jusqu’à plus soif. Le blasphème d’Asia n’aurait pas eu lieu si on ne lui avait a priori reproché son geste. Comme si les mains infidèles avaient forcément contaminé la sainteté présumée de l’élément primordial au cours du transport. Or l’eau n’est pas sainte par nature, elle est à sanctifier, et quelle plus noble bénédiction que celle de l’empressement à calmer la souffrance d’un être qui me ressemble? Ces hantises revenant des âges démoniques où les esprits malins passent de soute en soute et vont décharger leur poison au premier pore venu, stagnent à des années-lumière des trajectoires transcendantales inhérentes au monothéisme.