Nous revenons à des écrivains considérés comme conservateurs, et parfois réactionnaires. Henri de Régnier, aux talents raffinés, Boni de Castellane, à l’élégance précieuse, font l’objet de rééditions multiples. Nous prisons hautement ce que Giorgio Bassani, dans « Le Jardin des Finzi-Contini » nommait « il pio, il dolce, il caro passato« .
Favoriser ce qui semble éloigné par le temps pourrait paraître un effort. Au contraire, c’est une facilité : nos goûts, le retour en force du dandysme effréné et épuisé, tout cela est si proche de la société littéraire du début du XXe siècle. En un sens, nous sommes des décadentistes perdus et renouvelés.
Rien de mal à cela, bien sûr. Cependant, le décadentisme, s’il n’est pas la déchéance totale, la décrépitude définitive de la civilisation, mais bien au contraire un âge riche de promesses et de beautés, tend pourtant à laisser dans l’ombre les tentatives plus puissantes, plus risquées.
Pour le dire autrement : les audaces plus pleinement intempestives sont effacées par la liquéfaction de l’espoir en une innovation.
Dans la solitude des mots, un écrivain paraît se livrer encore à quelques jeux sérieux, ces « joca seria » qu’appréciaient tant les Anciens. Il s’agit de Marc Cholodenko.
Marc Cholodenko, nous le connaissons pour son prix Médicis, remporté en ses jeunes ans, avec un livre qu’il considère lui-même comme un de ses plus formels et un de ses moins intéressants, « Les états du désert »
Les cinéphiles voient en lui le co-scénariste de Philippe Garrel.
Mais pense-t-on à Marc Cholodenko l’écrivain? Rarement, et c’est bien dommage.
Pourquoi une telle disparition des radars, et ce alors même que P.O.L continue de publier, ouvrage après ouvrage, son oeuvre?
Pourquoi aucun compte n’est-il rendu de ses textes, souvent passionnants, mais aussi difficiles et exigeants?
« N. Y. C ». : merveilleuse transcription des vibrations d’une ville. Un livre de 2004, probablement un des plus vivants consacrés à la patrie de Norman Mailer. Mais qui le connaît?
Où réside donc le problème? Dans quel ordre se situe-t-il?
Au fond, il est double : d’une part, Marc Cholodenko a choisi la voie d’une oeuvre. Son écriture mûrit de texte en texte, car chaque livre prouve qu’il a survécu à la tentation d’un parcours rimbaldien, auquel il rendait hommage il y plus de vingt-cinq ans.
Etre poète après Rimbaud : quel péril pour qui oeuvre au sein d’une veine poétique. D’une certaine manière, Marc Cholodenko est un auteur du dépassement de la mémoire : de la connaissance, mais du dépassement. Comment faire après? En faisant autrement. Tout est là, et une grande partie de son parcours esthétique se retrouve dans ces deux mots si simples : « faire autrement ».
Nous avons du mal avec la perspective élaborée et construite d’une « Œuvre ». Premier problème.
Le deuxième est lié à l’époque mentale qui est celle de Marc Cholodenko : le schéma sur lequel son style vient se greffer est celui des années 1970. On pourrait presque dire de lui qu’il est un écrivain post-barthésien. La quatrième de couverture de son dernier ouvrage, Deux cents et quelques commencements ou exercices d’écriture ou de lecture amusants, le manifeste sans ambages : Dans quelle mesure l’écrivain lit-il en écrivant et le lecteur écrit-il en lisant?, question qui pourrait passer pour un résumé de la recherche de Roland Barthes.
Il n’est guère besoin de preuve : Marc Cholodenko travaille sur cette matrice des années 1970, d’un temps où élaboration formelle et réflexion esthétique étaient conjoints et liés d’une façon indissoluble.
Cette union trouve des traces dans son travail au style, dans cette manière extrêmement fine qui est la sienne.
Elle s’exprime dans le questionnement qui est le sien, celui du « début », de ces « incipit » auxquels Aragon consacra alors un ouvrage moqueur, dans cette interrogation permanente et nécessaire sur ce que peut la littérature. Une interrogation souriante et émue, dont on ne saurait faire l’économie.
Elle se retrouve même et surtout dans l’exigence envers le lecteur, dans cette foi en un « suffisant lecteur » montaignien qui fera l’effort de comprendre ce qui est en jeu dans le texte
La question que nous devons nous poser, en pensant à Marc Cholodenko, et en le lisant : est-ce le passé de l’écriture ? Ou n’est-ce pas plutôt son futur rêvé, et, espérons, le plus immédiat ?