Le plagiat est une pratique ambiguë : assimilé à un délit de vol, il peut être aussi valorisé par les écrivains qui en font un lieu de révérence ou un jeu transgressif. Pour Sartre enfant dans les Mots, le «plagiat délibéré me délivrait de mes dernières inquiétudes : tout était forcément vrai puisque je n’inventais rien». Le libre jeu de la mémoire et de l’imagination donne à la littérature sa puissance d’expression et de déflagration. Si la frontière est parfois difficile à établir entre emprunt concerté et plagiat pur et simple, susceptible de faire l’objet d’une condamnation juridique, il arrive aussi que ce soit un faux problème, ou qu’on l’exagère à dessein.
Je vois un des symptômes du refus de la littérature dans notre société contemporaine dans l’émergence d’une obsession du plagiat qui le détourne à la fois de sa vérité pratique et de ses fonctions. Je ne parle pas ici des accusations classiques, qui repèrent légitimement des appropriations frauduleuses et qui font l’objet de la part du plagiaire d’une défense plus ou moins adroite. Je parle d’une extension du domaine du plagiat où celui-ci ne renvoie plus seulement au texte, mais à l’univers des choses, à la réalité même. Ainsi est apparue une catégorie surprenante de plagiat : le plagiat du réel ou le plagiat de la vie. Il n’y a pas meilleur façon d’ôter ses pouvoirs à la littérature que de considérer qu’elle plagie la vie. Si tout ce qui fait sa matière est condamné au nom d’une intégrité prétendue de la réalité que l’art viendrait contaminer, alors elle est assimilée à une activité doublement secondaire : elle viendrait après et, en vertu d’un platonisme dégradé, elle ne serait que la pâle copie d’un original solide et satisfaisant.
Un article récent du Nouvel Observateur se targue d’avoir retrouvé la «vraie» Hélène du dernier roman de Christine Angot, les Petits. Cet article repose sur une escroquerie, qui est de considérer que la personne réelle qui est derrière un personnage de roman est celle-là que nous avons sous les yeux, 1,80 m, «corps superbe». Si son identité ne nous était pas dévoilée par le journal, personne ne serait susceptible de la reconnaître. L’article dénonce comme la faute morale du livre la sienne propre : rendre reconnaissable, s’emparer de la vie d’autrui et, ce faisant, nier la littérature comme entreprise de vérité générale et de remédiation. L’escroquerie se double d’un paradoxe qui apparaît clairement dans les propos de la femme. Elle reproche à l’auteur d’avoir repris tous les éléments de sa vie, «mais tout est déformé, d’où le sentiment d’être vraiment salie». Difficile de condamner à la fois l’appropriation et la transformation, le reconnaissable et le méconnaissable. Si l’art ne «déformait» pas le réel et le laissait tel qu’il est ou que l’on croit qu’il est, alors il serait acceptable.
Mais c’est l’inverse qu’il faut penser : c’est la réalité qui est inacceptable, pas la littérature. Et c’est parce qu’elle est inacceptable que la littérature existe. Si l’on croit, à l’inverse, que l’art est là pour confirmer la vie, s’adapter à elle, en être une copie conforme, alors on le voit comme un accessoire inoffensif, juste bon à renvoyer une image désirée.
L’idée selon laquelle la littérature plagierait indûment, voire criminellement, le réel, condamne très précisément sa fonction première qui est de montrer ce qu’on ne voit pas, de dégager une vérité inaperçue, de dire ce que la quantité informe de la réalité ne peut exprimer. Or à l’informe répond la forme, même si cette dernière ouvre une entaille dans le réel qui est parfois inacceptable, parce qu’on ne veut pas l’accepter. Non, la littérature ne plagie pas la vie, car la vie n’est pas une forme, car elle n’est littéralement rien si l’on n’entreprend pas d’en faire quelque chose, de la donner à lire.
L’atmosphère dans laquelle nous nous trouvons et qui permet que se répande une telle idée – qui s’apparente à une forme de censure – témoigne certes d’un tournant judiciaire de la société actuelle, où tout se juge à l’aune de critères moraux élaborés sur une base relative, changeante. Elle inscrit aussi une méfiance à l’égard du non-conforme, assimilé à une déformation néfaste, tenant pour acquis que le danger est partout et qu’il menace (d’où le caractère souvent terroriste des conformismes). Elle voudrait en outre conduire à penser que la littérature aurait perdu sa force d’émancipation. C’est un moyen imparable de l’étouffer que de tenter de faire croire cela. Et si des écrivains rappellent un peu vivement qu’elle sert encore à se libérer des mensonges, des adhésions fausses, ou de soi, il est plus commode de les condamner. Alors on n’aura pas le choix. Il faudra retrouver la clandestinité qui, on le sait, n’empêche l’exercice ni du beau ni du vrai.
Article publié originellement dans Libération.
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2011/07/27/01016-20110727ARTFIG00544-divorce-le-droit-de-visite-de-moins-en-moins-respecte.php Voilà de quoi parle roman
Ca sent le règlement de comptes…
Une chose m’échappe…. Si cette femme souffre du fait de figurer dans un livre sous des traits non flatteurs, pourquoi médiatiser tant la chose.
Ils ne sont pas nombreux ceux qui allaient faire le rapprochement. J’ai lu le livre. Je ne savais si ce personnage précis était réel ou inventé. Les écrivains, nous avons l’habitude, mixent le réel et l’invention. Maintenant, je viens de faire un coup de google images pour voir si elle correspond à l’image que je me faisais du personnage. Et, en ce faisant, je me dis que quelque chose ne va pas. Si cette femme est si « blessée » pourquoi convoque-t-elle la presse pour le dire? N’est-ce pas une vengeance personnelle? Ou pire: une envie de récupérer un peu le succès du livre. Exister non pas en tant que personnage – pas assez visible – mais en tant que soi?
C’est raté. S’attaquer de façon si caricaturale à un grand écrivain lui fera certes exister mais le portrait que nous nous faisons d’elle est bien pire que celui qui donnait à voir le personnage du livre…
« Je vois un des symptômes du refus de la littérature dans notre société contemporaine dans l’émergence d’une obsession du plagiat qui le détourne à la fois de sa vérité pratique et de ses fonctions. »
Moi aussi!
Euh… Je ne comprends pas… S’inspirer du réel ce serait faire du plagiat?
Ne pense pas… Et tous les artistes vous le diraient.
Ce n’est pas l’art qui s’inspire de la réalité mais l’inverse.
La preuve avec ce procès.
Bientôt, il n’y aura plus de livre que sur Mars, sur les extra-terrestres…